"Conclave" sur les retraites : on vous raconte comment la concertation lancée par François Bayrou a volé en éclats

Article rédigé par Paolo Philippe
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le Premier ministre, François Bayrou, le 11 mars 2025 à l'Assemblée nationale, à Paris. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
Le Premier ministre, François Bayrou, le 11 mars 2025 à l'Assemblée nationale, à Paris. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

Les déclarations du Premier ministre, qui a écarté un retour à l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans, ont fortement compromis l'avenir des discussions sur ce sujet politiquement explosif.

Le "conclave" sur les retraites ira-t-il jusqu'au bout des concertations, théoriquement prévues jusqu'à fin mai ? Plus les jours passent et moins cette hypothèse semble crédible. Mercredi dans la soirée, c'est la CGT qui en a claqué la porte : sa secrétaire générale, Sophie Binet, a notamment accusé sur France 2 "le Premier ministre et le patronat" d'avoir "enterré ce conclave", jugeant aussi que le chef du gouvernement avait "trahi sa parole". Depuis les déclarations de François Bayrou, qui a écarté dimanche un retour à l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans contre 64 ans dans la loi actuelle, les syndicats et le patronat, qui se réunissent une nouvelle fois jeudi 20 mars, s'interrogent sur leur participation à cette concertation censée retravailler la très contestée réforme des retraites de 2023.

La CFDT souhaite revoir les règles de ce "conclave", après que le Premier ministre a "rompu le contrat" qu'il avait fixé aux partenaires sociaux, selon les mots de Marylise Léon, secrétaire générale de la centrale réformiste. Force ouvrière (FO) avait de son côté quitté la table des négociations dès le début du "conclave". Côté patronat, l'organisation patronale U2P, qui représente les entreprises de proximité, a annoncé mardi matin ne plus participer aux discussions, les qualifiant de "jeu de dupes", tandis que le Medef estime que "les perspectives d'aboutir [à un accord] sont minces".

François Bayrou avait promis de discuter "sans aucun totem"

Les partenaires sociaux ont-ils un jour vraiment cru pouvoir s'entendre sur la réforme des retraites, tant leurs positions divergent ? Mi-janvier, le Premier ministre avait rouvert, lors de sa déclaration de politique générale, le dossier des retraites, en promettant de discuter "sans aucun totem" ni "tabou" de tous les sujets, y compris celui du recul à 64 ans de l'âge de départ à la retraite. François Bayrou avait chargé les partenaires sociaux de trouver un "accord" dans les prochains mois pour une réforme "socialement plus juste" mais "équilibrée".

Mais après avoir demandé aux négociateurs de ne pas "dégrader" l'équilibre financier du système, dont le déficit devrait atteindre 6,6 milliards d'euros en 2025, le chef du gouvernement avait écrit aux syndicats et au patronat, à la veille de la première réunion du "conclave", pour leur demander de "rétablir l'équilibre financier du système de retraites à un horizon proche", en 2030. Ce premier changement de cap, fin février, intervenait quelques jours après que la Cour des comptes avait estimé que le déficit du système des retraites atteindrait près de 15 milliards en 2035. Et il avait irrité les syndicats : dès la première réunion du "conclave", le 27 février, Force ouvrière (FO) a claqué la porte, dénonçant la lettre de François Bayrou mais aussi "le format", "le périmètre" et "la méthode" de ces concertations.

Le "conclave" perturbé par la guerre en Ukraine

La machine à peine lancée, le "conclave" a été perturbé par le contexte géopolitique. Lors de son allocution consacrée à la guerre en Ukraine début mars, le chef de l'Etat, Emmanuel Macron, a promis des "investissements supplémentaires" dans le domaine de la défense, tout en laissant entendre qu'un nouvel effort budgétaire attendrait les Français, "avec des réformes, des choix, du courage". Pour le président du Conseil d'orientation des retraites (COR), l'augmentation des dépenses militaires "rendra secondaires, sinon dérisoires, les débats actuels sur l'âge légal à 64 ans". Gilbert Cette estimait aussi, dans un article publié par le site Telos.eu, que "la question deviendra[it] plutôt (...) comment augmenter rapidement cet [âge] au-delà des 64 ans". Une déclaration qui a de nouveau irrité les syndicats, Sophie Binet estimant que le président du COR avait "un devoir de réserve".

Au moment même où la France souhaite rediriger ses investissements vers un réarmement massif, revenir sur la retraite à 64 ans serait trop risqué pour des finances publiques déjà très dégradées, alertent certaines personnalités. Deux jours avant l'intervention de François Bayrou, l'ancien Premier ministre Edouard Philippe a ainsi jugé ce "conclave" "complètement hors sol". "Compte tenu des menaces, on ferait bien de réunir les forces sociales et politiques, non pas pour leur demander s'il faut revenir sur une réforme déjà votée, mais pour se demander comment s'adapter à un effort à venir considérable, presque existentiel", a jugé dans Le Figaro le maire du Havre.

"Foutage de gueule"

Au sein des oppositions, la gauche et le Rassemblement national ont vivement réagi aux propos de François Bayrou. Questionné pour savoir si cela pouvait être un motif de censure, Sébastien Chenu, député RN du Nord, a assuré que ce serait "un élément à mettre dans le débat". Le chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a lui dénoncé un "foutage de gueule", tout en avançant que "le 'conclave' est fini". Alors que la réouverture des discussions sur la réforme des retraites était l'une des concessions de François Bayrou faites aux socialistes, le PS aussi a exprimé sa colère.

Si le ministre de l'Economie, Eric Lombard, a jugé qu'il incombait "aux partenaires sociaux de décider", la suite du "conclave" semble plus que compromise sans la CGT, sans FO, ni l'U2P côté patronat. Mais pas totalement enterrée. "On a un gouvernement qui change les règles du jeu, des organisations qui décident de partir et un patronat qui reste mais qui boude dans son coin et qui ne fait aucune proposition, a déclaré mercredi Marylise Léon. Nous, on veut discuter de l'âge, l'âge de départ. C'est le cœur du réacteur. C'est la raison pour laquelle on s'est mobilisés et pour laquelle on a souhaité reprendre le fil des discussions." D'autres syndicats comme la CFTC espèrent encore parler de la pénibilité, de l'emploi des seniors ou des inégalités salariales entre les femmes et les hommes.

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