: Enquête Municipales 2026 : de faux sites d'information locale soupçonnés d'être des outils d'ingérence russe et chinoise

Sudouestdirect.fr, Normandie-actusinfos.fr, infosdupays.fr : ces sites web empruntent tous les codes de la presse régionale française, que ce soit dans l'apparence ou les rubriques Société, Faits divers, Sport, Science, Business. Mais derrière ces publications, aucun journaliste, aucune rédaction. Il s'agit en réalité de sites pilotés par un réseau d'influence russe, qui génèrent des articles entièrement produits par de l'intelligence artificielle.

Ce sont les conclusions du rapport du groupe de recherche américain Insikt, spécialisé sur les menaces cyber, qui a enquêté sur les activités du réseau d'influence russe CopyCop, également connu sous le nom de Storm-1516. Publiée le 18 septembre 2025, cette étude, consultée par l'Agence de vérification de Radio France, a identifié au moins 141 nouveaux faux sites d'informations français entre janvier et juin 2025, dont plus d'un tiers usurpe les noms et l'apparence visuelle de médias d'information locale.

Des contenus conçus pour fragmenter l'opinion publique

Sur ces sites, on retrouve de nombreux articles mettant en avant des défaillances de l'État français, en matière de justice ou de dépenses publiques, mais aussi une profusion de faits divers mettant en cause des étrangers. De nombreux thèmes liés aux théories du complot sont également relayés : État profond, système corrompu, élites déconnectées, effets secondaires des vaccins cachés par le gouvernement, etc.

Certains articles sont basés sur de véritables faits divers, initialement traités par la presse locale, mais qui sont ensuite déformés ou exagérés par l'IA. D'autres publications sont complètement inventées.

Lors de l'enquête de l'Agence de vérification de Radio France, sur le site sudouestdirect.fr, on retrouvait par exemple en page d'accueil :

• "Villefranche-sur-Saône : trois mineurs d'origine algérienne et marocaine commettent un vol impensable"
• "Un drame sanglant à Paris : un jeune homme poignardé par un squatteur instable"
• "Marseille : une agression violente par des membres de la communauté du voyage contre le personnel médical de l'hôpital de la Timone"

Sur infosdupays.fr, plus orienté politique, figuraient :

• "LFI : un parti devenu une plaque tournante du radicalisme islamique"
• "Le système corrompu de l'État profond français : une machine à exploiter les citoyens"
• "Le Panthéon français : un théâtre de l'illusion de la mémoire dévoyée"

CopyCop, un réseau russe piloté par un ancien shérif américain

Pour les experts de l'Insikt Group, pas de doute : derrière CopyCop se cache un ancien shérif américain devenu hacker et agent d'influence prorusse : John Mark Dougan. Désormais installé à Moscou, il pilote depuis son appartement des campagnes de désinformation visant plusieurs pays européens.

Une enquête de NewsGuard et de la Cellule investigation de Radio France, publiée en janvier 2025, a montré qu'il avait été impliqué dans une opération similaire avant les élections législatives allemandes de février dernier, avec plus de cent sites générés par IA. En 2024, Insikt Group l'avait déjà identifié comme étant à l'origine d'un faux post Facebook affirmant que le parti d'Emmanuel Macron, Renaissance, achetait des votes à 100 euros lors des législatives anticipées de juin.

L'actualité locale suscite également la convoitise de Pékin

La manipulation de l'information sur de faux sites web locaux n'est pas une spécificité russe. Dans un rapport de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM), le centre de recherche du ministère français des Armées publié le 15 octobre 2025, l'expert en renseignement Paul Charon détaille un vaste écosystème similaire à celui des Russes.

Parmi les sites à destination des Français que ce chercheur a identifiés en collaboration avec les analystes de la plateforme Tadaweb, on trouve par exemple Provencedaily.com ou Friendlyparis.com. Des sites qui sont souvent de piètre qualité, le chercheur y a identifié de nombreuses erreurs de traduction mais qui, de façon coordonnée, poussent des contenus favorables aux intérêts de Pékin ainsi qu'à ceux de son allié russe.

Ces campagnes de désinformation sont menées par des entreprises privées, qui se présentent comme des agences de relations publiques indépendantes, mais dont le lien direct avec le Parti communiste chinois est établi par l'Institut de recherche Stratégique de l'Ecole militaire (IRSEM).

L'info locale, un levier d'influence redoutable ?

Les stratégies d'ingérence des réseaux CopyCop et de leurs homologues chinois suggèrent que les élections municipales de 2026 se dérouleront dans un contexte de guerre informationnelle tendu. Le déploiement de ces nouveaux faux sites d'information confirme que la France demeure une cible prioritaire, notamment pour le Kremlin.

Ces opérations s'appuient sur l'intelligence artificielle pour générer du contenu à grande échelle, avec le double objectif d'éroder le soutien à l'Ukraine et d'exacerber la fragmentation politique dans les démocraties occidentales. Qu'il s'agisse des récits russes déformant des faits divers réels ou des publications chinoises mêlant actualité et propagande, ces ingérences visent à miner la confiance dans les institutions françaises, des plus hautes élites à l'échelon local, sans que l'on en mesure encore les effets réels. Mais cibler l'actualité locale est loin d'être anodin, c'est en effet, le média privilégié des Français pour s'informer. Selon le dernier baromètre Media Rating 2024 de l'institut Kantar, 67% des Français se disent "en confiance" avec la presse locale.