Enquête "La perversité était ce qui le caractérisait le plus" : après le suicide d'un professeur accusé d'agressions sexuelles, d’anciens élèves d’un lycée de la Marne attaquent l'Etat

Article rédigé par Cellule investigation de Radio France - Claire Checcaglini
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 25min
Le lycée Pierre Bayen à Châlons-en-Champagne (Marne), le 7 juin 2018. (FRANCOIS NASCIMBENI / AFP)
Le lycée Pierre Bayen à Châlons-en-Champagne (Marne), le 7 juin 2018. (FRANCOIS NASCIMBENI / AFP)

Plusieurs des victimes présumées de ce cadre du lycée Pierre Bayen de Châlons-en-Champagne, mort en décembre 2023 estiment que l’Education nationale ne les a pas protégées. L'homme est visé par neuf plaintes, dont une pour viol.

"Les gamins ont été abandonnés", dénonce aujourd'hui une ex-professeure de sport du lycée Bayen de Châlons-en-Champagne (Marne), qui estime avoir agi en lanceuse d’alerte. Marie-Pierre Jacquard s’apprête à déposer plainte contre l'Etat devant le tribunal administratif, considérant avoir été harcelée par sa hiérarchie. Des représailles qui, selon elle, feraient suite à sa dénonciation d'un violeur présumé : Pascal Vey, professeur de français, enseignant charismatique et codirecteur de la section cirque du lycée Bayen, mort depuis. Plusieurs de ses anciens élèves et ex-collègues le décrivaient comme un excellent pédagogue, cultivé, brillant. Mais d’autres l'accusaient d'être un pédocriminel.

Selon les informations de la cellule investigation de Radio France, trois de ses victimes présumées vont également porter plainte devant le tribunal administratif, tout comme deux associations de parents d’élèves. Elles reprochent à l'Education nationale de ne pas les avoir protégées. Dès 2021, des alertes avaient pourtant été adressées par Marie-Pierre Jacquard à la direction du lycée et au rectorat. Sans effet. Il a fallu attendre avril 2023 pour qu'une enquête judiciaire soit finalement ouverte et fin septembre de la même année pour que l’enseignant soit suspendu de son poste, soit après la rentrée. Le 7 décembre 2023, le corps de Pascal Vey est finalement découvert à son domicile par les policiers venus l’interpeller. Il s’est suicidé.

Dans cette affaire, neuf élèves ont porté plainte pour viols, agressions sexuelles et harcèlement moral et sexuel, mais la mort de l’enseignant a éteint l’action pénale, d’où ce recours aujourd’hui à la justice administrative. Cette affaire a été évoquée mardi 8 avril 2025 par la Commission d’enquête parlementaire consacrée aux violences en milieu scolaire. L’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IgéSR) a pointé des manquements à tous les niveaux, du lycée au rectorat. La cellule investigation de Radio France a rencontré les principaux témoins de ce dossier.

Sous l'emprise de son professeur

Les premiers faits dénoncés remontent à 1998. Cette année-là, Pascal Vey "tombe amoureux' d’un élève. C'est du moins la version que l'enseignant donne de cette relation à certains de ses proches que nous avons interrogés. L’élève en question l'accuse aujourd'hui de viols sur mineur par personne ayant autorité, viols qui auraient duré de 1998 jusqu’en 2000.

"La perversité était ce qui le caractérisait le plus', se souvient Sylvain (nom d'emprunt). Après avoir fait partie d’un cercle réduit de lycéens autour de l’enseignant, Sylvain, alors âgé de 16 ans, devient l’objet de toute l’attention de Pascal Vey. Au printemps 1998, il l’invite, seul, chez lui. Le professeur veut échanger autour d'un texte qu'il a rédigé. Il oblige Sylvain à lire le récit d’un crime sexuel sur un enfant, faisant clairement référence au viol que Pascal Vey dit avoir subi de la part de ses cousins dans sa jeunesse. Puis il impose des fellations à Sylvain. "Le piège était en train de se refermer', analyse l’ex-lycéen, conscient d’avoir été sous l’emprise de Pascal Vey durant deux ans. "Mais à l'époque, on ne parlait pas de cette notion", se justifie un ancien collègue de l’enseignant.

Des collègues dans la confidence

"Trois adultes du lycée Bayen sont alors dans la confidence", affirme encore Sylvain. Parmi eux : le conseiller principal d'éducation de l'époque : E.P. "Il s'était renseigné sur l’aspect juridique de la situation, puisque Pascal était mon professeur. E.P avait pris en compte le fait que j’étais majeur sexuellement", se souvient Sylvain. Le CPE, aujourd'hui proviseur d'un lycée dans les Ardennes, n'a pas souhaité répondre à nos questions, tout comme une professeure de mathématiques, elle aussi au courant de cette relation, selon Sylvain. "J'avais en tête l'affaire Gabrielle Russier* et il me semblait difficile de formuler un jugement moral", explique un professeur de français, ex-ami de Pascal Vey, qu’il qualifie aujourd’hui de "gourou'.

Cet homme – qui enseigne toujours au lycée Bayen – se souvient s’être retrouvé au restaurant en présence de Pascal Vey et de l’adolescent pour "parler histoire de l'art'. "J’avais l’impression qu’il me présentait à [Sylvain], un excellent élève que j’imaginais très autonome', ajoute-t-il. Au fil des soirées, "le réseau qui était au courant de notre histoire [à Pascal Vey et moi] s’est élargi à des amis médecins, ou encore des collègues qui travaillaient au rectorat de Reims, raconte Sylvain. Ce cercle d'adultes me permettait en fait d'échapper au face-à-face avec Pascal'. Son professeur l’emmène en Italie, en dehors du cadre scolaire. "Il présentait notre relation comme hors du commun, non conformiste, que les gens ne pouvaient pas comprendre', témoigne encore Sylvain, incapable à l’époque de se rebeller. "Le secret le protégeait et m’emprisonnait', conclut-il.

Extraits du profil Facebook de Pascal Vey. (DR)
Extraits du profil Facebook de Pascal Vey. (DR)

"Comme dans un harem"

Il échappe finalement à l’emprise de son professeur lorsqu’il s’installe à Paris pour suivre ses études. "Pascal [Vey] a essayé de me rendre jaloux. Il avait repéré un nouvel élève, brillant, qu'il avait l’intention de séduire, reproduisant ainsi le même mécanisme qu’avec moi. J'ai voulu sauver ma peau et retrouver ma liberté. J'en conserve une très grande culpabilité, confie Sylvain, car j'aurais pu empêcher ce qui est arrivé à d'autres'.

Lorsque Pascal Vey complimente Laurent (nom d’emprunt) sur ses copies, l'adolescent de 16 ans est flatté. Plus encore, quand le professeur lui propose des cours particuliers pour améliorer son écriture... au domicile de l’enseignant. "Je le revois fermer puis tourner la clé dans la porte, se souvient Laurent. Dans son salon, il y avait des coussins au sol, comme dans un harem". L'adolescent se souvient avoir éprouvé un profond malaise.

Les images deviennent ensuite plus floues. Laurent accepte un Coca-Cola. Rapidement, il commence à avoir la tête qui tourne et ressent une intense chaleur. Pascal Vey lui se concentre sur de prétendus désirs cachés du jeune homme. "Il me dit avoir entraperçu des désirs homoérotiques dans mes devoirs. C'était n'importe quoi !' Pourtant, le lycéen acquiesce mécaniquement aux insinuations de son interlocuteur. "Il savait que mes parents étaient divorcés, alors il essayait de me faire dire que j'étais abandonné, se rappelle l’ancien élève. Et que j'avais besoin de protection.' L'homme se rapproche de l'adolescent, lui prend la main. À cet instant, l'image que Laurent a gardée en tête est celle "d’un animal qui fait le mort pour ne pas être dévoré. J'ai des flashs de lui sur moi, de moi sans pantalon. Après je ne sais pas comment j'ai réussi à rentrer à l'internat. C'est le black-out'.

"Il m’enfonçait des trombones sous les ongles"

Ce témoignage fait écho à celui de Quentin, 26 ans aujourd'hui. Pour lui aussi, le Coca-Cola a eu des effets soporifiques. Les souvenirs restent précis en revanche sur les sévices corporels et les séquestrations qu'il dit avoir subis au fil des mois où il dit avoir été sous l’emprise de Pascal Vey. "Il m'enfonçait des trombones sous les doigts pour savoir à quel point je pouvais avoir mal. Il m'enfermait dans la salle de bains pour que je réfléchisse sur moi, il m'a déjà giflé', énumère Quentin, qui fait partie de ceux qui portent aujourd'hui plainte contre l'État. Du vivant de Pascal Vey, le jeune homme n’a pas eu la force de déposer plainte. 

Un autre ancien élève accepte de témoigner auprès de la cellule investigation de Radio France : Camille Brunel, devenu écrivain grâce à celui qu'il qualifie désormais de "mystificateur'. "Dans ma classe de première littéraire, la moitié des garçons – nous étions six ou sept – ont couché avec Pascal [Vey]', assure-t-il. Lui aussi a été courtisé par son professeur avec qui il nouera finalement une solide amitié. Il garde d'ailleurs pour lui une grande estime intellectuelle : "Je n'ai jamais eu de cours aussi géniaux par la suite !' Des cours, où l’enseignant s’appuie sur les œuvres étudiées pour faire passer des messages à son auditoire masculin. Exemple avec Les mémoires d'Hadrien, de Marguerite Yourcenar, livre dans lequel l'Empereur s'éprend d'Antinoüs, un adolescent de 16 ans. "Il se prenait pour Hadrien et nous enseignait la transgression', se souvient Camille Brunel. "On trouvait ça super d'avoir un prof qui parlait de cul en classe. On pensait que c'était Robin Williams dans Le Cercle des poètes disparus, mais mélangé avec Valmont !' [Le héros libertin du livre Les Liaisons dangereuses, de Pierre Choderlos de Laclos]

Codirecteur de la section cirque

Cette image d'un professeur hors normes et brillant, Pascal Vey va la soigner durant toute sa carrière. En 2012, l'agrégé prend du galon. Il contribue à l’ouverture de la section cirque du lycée qui va bientôt faire la renommée de l'établissement. Les élèves viennent alors de toute la France. Pascal Vey intègre le conseil des programmes au ministère de l'Education nationale pour l'enseignement des arts du cirque. Il est fait chevalier de l’ordre des Arts et des lettres par le ministère de la Culture en 2013. Un an auparavant, il accède au titre de codirecteur des classes de circassiens avec une nouvelle recrue : Marie-Pierre Jacquard. Sa collègue d'EPS apprécie alors cet "homme plein d'humour, extrêmement cultivé". Ils deviennent amis.

Extraits de la nomination de Pascal Vey au grade de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, le 2 septembre 2013. (DR)
Extraits de la nomination de Pascal Vey au grade de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, le 2 septembre 2013. (DR)

Des comportements problématiques signalés dès 2016

En 2016, une élève tente de tirer la sonnette d'alarme. Dans un courrier anonyme adressé à la proviseure de Bayen, la lycéenne demande que Pascal Vey revoie son comportement avec les garçons de sa classe. Sans donner plus de détails. Catherine Corvellec dirigeait alors l’établissement scolaire. "Pascal Vey avait une forme d'emprise intellectuelle sur le personnel', reconnaît-elle aujourd'hui.

Néanmoins, elle prend rendez-vous avec son directeur académique. "Je lui montre la lettre. Des choses m'ont déjà été rapportées, avec des 'il paraît', des 'on dit' que Pascal Vey pourrait [se livrer] à des attouchements, mais c'est flou. Il n'y a aucune preuve'.

Conclusion : il est simplement conseillé à Catherine Corvellec de rester vigilante. Aujourd’hui à la retraite, elle ne comprend toujours pas pourquoi l’enseignant soupçonné d’agressions sexuelles n'a pas été convoqué au rectorat.

Des cœurs et le message "douce nuit" envoyés régulièrement à un élève

À la même époque, un autre épisode aurait également pu alerter sur le comportement de Pascal Vey. Les parents d'un élève avertissent la direction au sujet d’un coup de téléphone du professeur. Il les a joints pour les mettre en garde. Leur fils aurait de mauvaises fréquentations. Dans le viseur de l'enseignant, Louise (nom d'emprunt), accusée de tirer le lycéen vers le bas. Le jeune homme est amoureux de sa camarade de classe. Or, il reçoit régulièrement sur son portable aux alentours de minuit des petits cœurs assortis du message "douce nuit", signé Pascal Vey. L’enseignant fait aussi grimper les notes du lycéen en français, et par la même occasion baisser celles de Louise.

Lors d’un bac blanc, l’adolescent rend une copie quasi blanche. Qu'importe, Pascal Vey lui donnera une meilleure évaluation que sa petite amie. Louise porte également plainte pour harcèlement et réclame aujourd’hui des comptes à l'Etat, estimant avoir subi injustement le comportement de Pascal Vey. À l’époque, ce dernier, spécialiste des arts du cirque, s'occupe aussi des spectacles de ses élèves.

Le déclic "Balance ton cirque"

Il faut attendre l’été 2021 pour que, dans le sillage du mouvement #MeToo, un collectif baptisé "Balance ton cirque" dénonce le cas d’un "prédateur sexuel' au sein du Centre national des arts du cirque, le CNAC, qui figure parmi les plus prestigieuses écoles de cirque en France et qui est situé, lui aussi, à Châlons-en-Champagne. Or, Pascal Vey, en tant que codirecteur de la section des circassiens au lycée Bayen, y intervient également. C'est lui qui est visé. Le CNAC exige donc que l'enseignant aille donner ses cours ailleurs dès la rentrée suivante. Le rectorat de Reims n’en sera informé que deux ans plus tard.

Le message de "Balance ton cirque' agit comme un révélateur pour Marie-Pierre Jacquard. Après les vacances de Toussaint, elle convoque tous ses élèves. "Il y a eu un grand silence d'abord. Au fond de moi, j'étais liquide", témoigne l'enseignante. Elle apprend par ses élèves que son ami Pascal Vey montre ses suçons en cours, ne parle que de sexe ou presque en classe et surveille de très près ses élèves sur les réseaux sociaux. À cet instant, pas de dénonciation de crimes, mais l’impression pour elle que certains silences pesants cachent des faits d'une extrême gravité. Les adolescents évoquent alors un "prof crade".

Alertes lancées à la direction et au rectorat de Reims

Marie-Pierre Jacquard en avise sa proviseure, l'adjoint de celle-ci et deux inspectrices académiques. Aucune de ces personnes sollicitées par la cellule investigation de Radio France n'a souhaité répondre à nos questions. Elles font aujourd'hui l'objet d'une plainte pour harcèlement au pénal, déposée en août 2024 par Marie-Pierre Jacquard, codirectrice de la section cirque de l’établissement. Cette dernière expose à la police la teneur de ses échanges avec sa supérieure directe, qui lui aurait répondu qu''elle ne pouvait rien faire, faute de traces et de preuves écrites'.

Le Centre national des arts du cirque (CNAC) de Châlons-en-Champagne (Marne). (CEDRIC HERMEL / RADIO FRANCE)
Le Centre national des arts du cirque (CNAC) de Châlons-en-Champagne (Marne). (CEDRIC HERMEL / RADIO FRANCE)

Au fil des mois, Marie-Pierre Jacquard continue d'alerter. Elle appelle tous ses anciens élèves de la section cirque qui la mettent en relation avec d'autres victimes présumées. "Mais la proviseure disait que cela ne relevait pas de sa compétence et qu'elle ne recueillerait pas de témoignages d'anciens élèves", explique l’enseignante aux policiers. "La direction du lycée n'a pas fait son travail, malgré les témoignages dont elle disposait', estime Sébastien Soulas, de la FCPE de la Marne.

"Une cocotte-minute qui ne demande qu'à exploser"

Le 27 février 2023, Marie-Pierre Jacquard écrit à nouveau au proviseur et à son adjoint pour leur faire part de son extrême préoccupation : "Depuis presque deux ans, j’ai voulu savoir. D'anciens lycéens et parents m'ont parlé. La situation est grave. Aujourd’hui les élèves, mais aussi les anciens, avertissent d’éventuels candidats à la section cirque, pour qu’ils postulent ailleurs [qu'au lycée Bayen]. Les étudiants du CNAC questionnent nos jeunes (pour savoir si ça va, et leur faire savoir qu’ils sont à l’écoute si besoin). Nos anciens parlent dans les écoles supérieures. Au fond, nous le savons tous : nous sommes assis sur une cocotte-minute qui ne demande qu’à exploser'.

Une caméra dans la salle de bains

En mars 2023, faute de réaction de ses supérieurs, selon elle, Marie-Pierre Jacquard se tourne vers l’association "Colosse aux pieds d’argile', spécialisée dans la lutte contre les violences sexuelles.

En moins d’un mois, l’association fait considérablement avancer le dossier : plus d’une dizaine de témoignages sont collectés. Les récits ne font pas état de viols, mais de harcèlements sexuels et d’humiliations régulières. Une élève raconte qu’un de ses camarades a eu une expérience particulièrement malaisante auprès de Pascal Vey. L'enseignant aurait proposé au jeune homme en question de passer chez lui pour se doucher et laver ses vêtements, prétextant qu’il fallait faire disparaître des traces de cannabis sur lui avant un voyage scolaire. Mais au moment de se déshabiller, l'adolescent remarque qu’une caméra installée dans la salle bain est en train de le filmer. Un autre lycéen se rappelle être sorti en courant de chez Pascal Vey, celui-ci, allongé, commençait alors à se masturber devant lui, alors qu’il lui avait proposé des cours particuliers de français.

D’autres témoignages recueillis par l’association (auxquels la cellule investigation de Radio France a pu avoir accès), sont tout aussi éloquents sur l’ambiance au sein de l'établissement : "Il nous a parlé du troisième étage du lycée réputé pour être un lieu où des élèves peuvent coucher ensemble", "Quand il demandait à une élève de brancher son ordinateur et que lui était assis, la fille devait se mettre à quatre pattes sous le bureau, il faisait des bruitages et des remarques à caractère sexuel", "Avec les garçons, il était très tactile, il posait sa main sur leurs épaules, leurs cuisses et leur demandait de contracter leurs muscles pour les toucher. Une fois, il a mis une claque aux fesses d'un camarade'.

Début avril 2023, l'association envoie l'ensemble des témoignages à la justice et au rectorat de Reims. Une enquête préliminaire est ouverte par le parquet de Châlons-en-Champagne mais à ce stade, il n’y a encore aucune plainte.

À la rentrée 2023, Pascal Vey toujours en poste

À cette époque, Marie-Pierre Jacquard a pris un avocat pour tenter de faire reconnaître son statut de lanceuse d’alerte, en vain. Le 19 juillet 2023, le recteur Olivier Brandouy écrit dans un courrier adressé au conseil de l’enseignante que "cette affaire requiert la plus grande prudence et ne doit pas être traitée dans l'urgence afin d'éviter toute violation de la présomption d'innocence'. Pascal Vey reste donc en poste. Pour justifier l’absence de suspension de l’enseignant, le haut fonctionnaire met en doute la bonne foi de Marie-Pierre Jacquard : "Je dispose d'un témoignage évoquant une complicité intellectuelle manifeste entre M. Vey et Mme Jacquard, les amenant à faire des plaisanteries douteuses lors d'une séance d'entraînement", écrit-il. Contacté, Olivier Brandouy n’a pas donné suite.

Marie-Pierre Jacquard avait alerté le rectorat et sa hiérarchie dès 2021 sur les doutes qui pesaient sur le comportement de Pascal Vey. (CLAIRE CHECCAGLINI / RADIO FRANCE)
Marie-Pierre Jacquard avait alerté le rectorat et sa hiérarchie dès 2021 sur les doutes qui pesaient sur le comportement de Pascal Vey. (CLAIRE CHECCAGLINI / RADIO FRANCE)

"Pascal Vey est resté en poste malgré les élèves qui sont allés voir eux-mêmes l'institution pour dire qu’ils étaient en danger, estime Marie-Pierre Jacquard. Ils devaient aller en cours avec lui, c'était terrifiant." Le 1er septembre 2023, l’enseignante alerte à nouveau l'académie de Reims via le portail intranet du rectorat. Elle indique avoir eu des témoignages de lycéens sur "des comportements abusifs de la part d’un collègue toujours en fonction', et rappelle le signalement fait à la justice. Mais rien ne bouge. Neuf jours plus tard, elle écrit "en dernier recours' par mail au recteur : "J'ai essayé depuis plus d'un an d’alerter [direction et rectorat] sur une situation de harcèlement moral et sexuel présumé. Je suis auditionnée ce jour au commissariat dans le cadre de l’enquête [préliminaire]." Mais Pascal Vey reste toujours en poste.

Marie-Pierre Jacquard se tourne alors vers Sylvain, la première victime présumée de Pascal Vey. Une plainte est alors déposée pour viols sur mineur de plus de 15 ans et par personne ayant autorité. Sylvain, devenu enseignant à l’université, prend à son tour rendez-vous avec l’académie de Reims. Le recteur qui avait jusque-là géré l’affaire a été remplacé. Cette fois, Sylvain est "écouté et cru', se souvient-il avec émotion. Pascal Vey est alors immédiatement suspendu.

"Aucune volonté délibérée d’étouffer l’affaire"

Une inspection académique est ordonnée. Son objet : le maintien ou non du professeur auprès des élèves. Deux mois et demi après sa suspension, le 7 décembre 2023, le corps de Pascal Vey est retrouvé à son domicile. Après son suicide, l'inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IgéSR) est chargée d'évaluer d'éventuels dysfonctionnements. Selon le recteur de l’académie de Reims, Vincent Stanek, l’inspection conclut qu''il n’y a eu aucune volonté délibérée d’étouffer l’affaire', tout en reconnaissant que "la situation aurait pu être plus rapidement traitée".

La proviseure du lycée Bayen a été mutée à Evian dans les Alpes, son adjoint est devenu principal dans la Marne. Dès l’été 2023, L'ex-recteur, Olivier Brandouy, a quitté la Champagne pour rejoindre le cabinet de Gabriel Attal au ministère de l'Education nationale comme directeur adjoint, poste qu'il occupera ensuite auprès de Nicole Belloubet, puis d'Amélie Oudéa-Castera. Il est désormais directeur général de France Education international, un établissement public placé sous la tutelle du ministère de l’Education. Quant à Marie-Pierre Jacquard, elle a été mutée à la rentrée 2024 dans l’académie d’Aix-en-Provence comme professeure d’EPS remplaçante.

*Gabrielle Russier s’est donnée la mort après la révélation de sa liaison avec un de ses élèves de 17 ans, histoire qui avait fait l’objet du film Mourir d’aimer, d’André Cayatte.


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