: Reportage "On a recréé un chemin direct de la fourche à la fourchette" : à Auray, une ferme municipale alimente les cantines en circuit court
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Notre série "En toute sobriété" met en avant des solutions locales pour réduire nos consommations et agir face à l'urgence climatique. Dans cet épisode, une commune bretonne prépare les repas servis aux enfants de la crèche et aux pensionnaires de la résidence pour personnes âgées avec les produits bio cultivés par les maraîchers municipaux.
"Combien de louches, monsieur ?" Dans le réfectoire de la résidence publique pour personnes âgées d'Auray, dans le Morbihan, c'est l'heure du potage. Et personne ne rechigne à se servir. "Avant, les légumes surgelés n'avaient pas de goût, maintenant oui", se réjouit Guy, 92 ans. Dans l'assiette, en ce début du mois de septembre : des tomates, des concombres et des courgettes biologiques fraîchement récoltés dans la ferme municipale, située à moins de trois kilomètres. Depuis quelques mois, deux maraîchers employés par la mairie fournissent la cuisine qui prépare les 80 repas quotidiens des résidents, ainsi que celle de la crèche d'à côté.
"Nous voulons reprendre le contrôle de notre alimentation", explique Claire Masson, la maire de cette commune de 15 000 habitants. Ce circuit (très) court permet également de réduire les trajets en camion effectués par les denrées et l'utilisation d'emballages plastiques. "On a recréé un chemin direct de la fourche à la fourchette", se félicite l'élue écologiste. Et ce n'est que le début. A partir de septembre 2026, la ferme municipale devra approvisionner – en toute sobriété – une nouvelle cuisine centrale qui concoctera plus de 600 repas quotidiens pour toutes les cantines des écoles publiques de la ville.
"On veut que tout le monde puisse accéder au bio"
Sous les serres de cette ferme, les pieds de tomates commencent à montrer quelques signes de faiblesse, après avoir croulé sous les fruits cet été. "On a eu un beau pic de production, jusqu'à 400 kg par semaine", se félicite Jocelyn Clerc, en plantant des blettes pour l'automne. Le maraîcher s'active depuis mars dernier sur ces terres rachetées par la mairie en 2022 à un agriculteur qui partait à la retraite.
"Le projet politique d'un service public alimentaire bio et sain m'intéressait."
Jocelyn Clerc, maraîcher municipalà franceinfo
Depuis son arrivée, quatre tonnes de légumes ont déjà été récoltées, soit l'équivalent de 23 000 euros de chiffre d'affaires. "C'est une première année encourageante", glisse le quadragénaire avec humilité. Il faut dire que la météo a été favorable cet été et les sols particulièrement fertiles après plusieurs années sans plantations, mais la menace des insectes ravageurs n'est jamais loin et les opérations de désherbage prennent plus de temps que prévu.
Sur les trois parcelles de l'exploitation, choux, salades, courges et poireaux sont tous cultivés en pleine terre et sans engrais chimiques et sans pesticides. "On veut que tout le monde puisse accéder au bio", explique la maire de la ville. Des pommiers et des poiriers ont également été plantés sur les terrains les plus pentus, mais il faudra patienter quelques années pour cueillir des fruits pour les petits et les grands.
"On fait du zéro déchet ici"
En attendant que l'exploitation tourne à plein régime, les premières livraisons ont débuté entre la ferme et la résidence pour séniors. "On commence à être relativement huilé avec les cuisiniers", assure Jocelyn Clerc, brouette à la main. Dans la chambre froide de la maison de retraite, les cagettes de légumes frais se sont peu à peu imposées face aux autres aliments achetés en priorité chez des producteurs locaux et quelques compléments toujours issus des grands distributeurs. "Regardez-moi ce basilic !", lance le chef cuisinier en soulevant un bouquet de la taille de sa tête. "Je vais utiliser les feuilles pour le coulis de tomate et les tiges pour le bouillon, sourit Arnaud Le Flohic. On fait du zéro déchet ici !"
Si la qualité de ces produits fait l'unanimité, ils nécessitent quelques adaptations en cuisine. "Ça nous impose de réfléchir à de nouvelles recettes et de modifier parfois nos menus", explique le chef, installé depuis quinze ans derrière ses fourneaux. Les légumes tout juste sortis de terre demandent également plus de travail. "On a dû créer un mi-temps supplémentaire pour l'épluchage et le nettoyage", complète Marie-Odile Belz, la responsable de la résidence.
"On découvre des légumes qu'on ne mangeait pas"
Face aux montagnes de haricots en provenance de la ferme municipale, les résidents ont également mis la main à la pâte. "Ils ont écossé les petits pois, équeuté les haricots..." liste Marie-Odile Belz. Pas de problème pour Josette, 95 ans, qui avait un potager avant de rentrer en maison de retraite. "Les légumes sont excellents et on en découvre d'autres qu'on ne mangeait pas avant", se félicite-t-elle. Les choux-raves, par exemple, ont fait leur apparition récemment. De quoi améliorer l'équilibre des assiettes qui étaient un peu trop remplies de féculents, selon la responsable de la résidence.
"Même les récalcitrants aux légumes ont demandé du rab !"
Marie-Odile Belz, responsable de la résidence pour seniors d'Aurayà franceinfo
Des diététiciens sont aussi intervenus pour sensibiliser les cuisiniers et les résidents aux bienfaits d'une alimentation plus végétale. Avec un produit star : les lentilles. Cette légumineuse, riche en protéine, a été l'une des premières plantes à pousser dans la ferme municipale. "On en a récolté plusieurs centaines de kilos ; ils en ont mangé !" sourit la maire de la commune. Du côté des résidents, certains en redemandent, quand d'autres frôlent l'overdose.
La diversité de la production locale relève du casse-tête pour les équipes municipales. "Produire beaucoup l'été, ce n'est pas ce qui nous arrange le plus pour les cantines scolaires" , pointe notamment Claire Masson. Alors pour ne pas manger que des choux de novembre à février, une partie des légumes sont envoyés dans une conserverie du coin, avant d'être dégustés cet hiver. Le reste du surplus estival a été donné à des associations.
"C'est du boulot supplémentaire et cela coûte plus cher"
De la ferme aux assiettes en passant par les cuisines, cette révolution alimentaire à l'échelle municipale bouleverse toute l'organisation du secteur. Une transformation orchestrée par Chloé Pétetin, chargée de mission alimentation durable. "Ce projet a un intérêt pour le goût, mais aussi pour la santé et l'environnement" , expose-t-elle, sans esquiver les difficultés. "Il y a eu des réticences, parce qu'en effet, c'est du boulot supplémentaire et que cela coûte plus cher que de se fournir chez des producteurs."
Rien que l'achat de la ferme et des terres représentent un investissement de plus de 400 000 euros. La cuisine centrale a coûté plus d'un million d'euros à la commune, sans compter les agents municipaux embauchés pour faire tourner le projet. Le coût de revient d'un repas scolaire devrait ainsi passer de 4,93 euros à 5,84 euros, selon la municipalité. "Un gouffre financier" , tacle la liste d'opposition "J'aime Auray" dans le bulletin municipal.
"Nous investissons dans la pierre, dans les sols et nous remettons les mains dans la terre."
Claire Masson, maire d'Aurayà franceinfo
"Si toutes les institutions publiques se mettaient au bio, on changerait l'agriculture de Bretagne", martèle la maire, droite dans ses bottes. Avec cette ferme municipale, les repas de tous les enfants ne seront plus de simples barquettes en plastique à réchauffer et dont la provenance est parfois floue. "Tout ce que l'on fait pour l'environnement, c'est pour la santé et pour le plaisir de tout le monde", assure l'édile.
La ferme municipale doit aussi devenir un lieu de sensibilisation à l'environnement. "Cela faisait longtemps que je n'étais pas venu, c'est vraiment magnifique", s'émerveille Giselle, emmitouflée dans sa parka rose, devant les rangées de choux de toutes les couleurs. La retraitée de 93 ans est passée à la ferme avec plusieurs de ses voisins de la résidence pour prendre l'air et se remémorer leurs potagers d'antan. "Je faisais des pommes de terre, des carottes, des poireaux, des salades, il y en avait même de trop", se rappelle Ernest, 93 ans.
"J'aimais ça tant que je n'avais pas mal au dos… Mon médecin m'avait prévenu, mais je ne l'ai pas écouté", souffle-t-il, en dépliant un petit tabouret face aux serres. Avec ce circuit court, les mangeurs de la cantine peuvent directement échanger avec les producteurs des légumes. "J'adore la mâche et la roquette", glisse une nonagénaire au jeune maraîcher. Le cahier de doléances est bien passé. "Je dirais aux cuisiniers que c'est validé par vous", sourit Jocelyn Clerc, avant de retourner cultiver les légumes qui atterriront bientôt dans les assiettes des résidents.
Depuis le XIXe siècle, la température moyenne de la Terre s'est réchauffée de 1,1°C(Nouvelle fenêtre) (Nouvelle fenêtre) (Nouvelle fenêtre) . Les scientifiques ont établi avec certitude que cette hausse est due aux activités humaines, consommatrices d'énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). Ce réchauffement, inédit par sa rapidité, menace l'avenir de nos sociétés et la biodiversité. Mais des solutions – énergies renouvelables, sobriété, diminution de la consommation de viande – existent. Découvrez nos réponses à vos questions sur la crise climatique.
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