COP30 au Brésil : pénurie de logements, manque d'infrastructures... Pourquoi est-ce si compliqué de se réunir à Belém ?

Face aux prix pratiqués par les hôteliers et les particuliers, plusieurs délégations ont demandé que le sommet de l'ONU soit en partie organisé ailleurs. Mais sans faire plier les autorités brésiliennes, bien décidées à tenir cette conférence sur le climat aux portes de l'Amazonie, malgré des difficultés inédites.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Une vue aérienne de Belém (nord-est du Brésil), le 26 août 2025, montrant la ville qui s'étale derrière le parc (Parque da Cidade) qui accueillera les négociations de la COP30, en novembre. (ANDERSON COELHO / AFP)
Une vue aérienne de Belém (nord-est du Brésil), le 26 août 2025, montrant la ville qui s'étale derrière le parc (Parque da Cidade) qui accueillera les négociations de la COP30, en novembre. (ANDERSON COELHO / AFP)

Les travaux battent leur plein à Belém, en prévision de la COP30. La capitale de l'Etat brésilien du Para se prépare à accueillir, du 10 au 21 novembre, plus de 50 000 personnes venues du monde entier pour faire le point sur les efforts de la communauté internationale en matière de lutte contre le changement climatique. Dans l'immense Parque da Cidade, dans le nord de la ville, les espaces qui accueilleront les officiels de la Conférence des Nations unies (la zone bleue) et la société civile (zone verte), sont sortis de terre.

Au milieu des arbres et des terrains de foot de ce parc, les ouvriers s'affairent sur une longue structure de verre et de béton recouverte de panneaux solaires. Mais à un peu plus de deux mois du coup d'envoi des discussions, la majorité des délégations craignent de ne pouvoir fouler les couloirs de ce bâtiment flambant neuf.

Sur les 198 pays conviés à la COP30, seuls 47 ont confirmé (et payé) leurs réservations, a annoncé vendredi 23 août le gouvernement brésilien. Face aux prix prohibitifs pratiqués par les hôteliers et les particuliers (le coût moyen d'une chambre simple dans la ville à ces dates se situe autour de 1 170 euros la nuit, a calculé le journal O Globo), l'organe qui gère la COP, le bureau de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), a demandé au Brésil d'intervenir pour faire baisser les prix. Pour l'instant sans succès. 

L'offre, la demande et le chaos 

Dès la désignation de Belém, le manque d'infrastructures hôtelières inquiétait. Six mois avant la conférence, les organisateurs dénombraient 36 015 lits dans la capitale du Para et annonçaient que deux navires de croisière de 3 000 couchages chacun seraient mis à quai au terminal d'Outeiro, à une trentaine de minutes au nord du Parque da Cidade. "Des hôtels en cours de construction, des écoles transformées en foyers, des casernes militaires et des lieux de culte en fourniront encore au moins 9 877", listait début août le média Brasil do Fato.

"Le gouvernement a avancé les vacances scolaires et les écoles publiques et municipales seront disponibles en novembre, ce qui pourrait augmenter le nombre de lits", ajoutait le quotidien. Selon O Globo, 900 agents de police seront logés dans des salles de classe, tandis que de petits bureaux flottants de la Sécurité sociale accueilleront des officiels brésiliens.

Un motard passe devant l'hôtel COP30, le 26 août 2025, accusé par le quotidien brésilien "O Globo" d'avoir multiplié ses prix par 80 aux dates du sommet de l'ONU sur le climat. (ANDERSON COELHO / AFP)
Un motard passe devant l'hôtel COP30, le 26 août 2025, accusé par le quotidien brésilien "O Globo" d'avoir multiplié ses prix par 80 aux dates du sommet de l'ONU sur le climat. (ANDERSON COELHO / AFP)

Pour Bruno Soeiro Vieira, chercheur à l'université fédérale du Para et basé à Belém, cette situation illustre la loi de l'offre et de la demande, ici poussée à l'extrême par la cupidité de certains acteurs privés. "Même les hôtels bénéficiant de fonds publics refusent de proposer des prix raisonnables", fustige-t-il dans un article publié par The Conversation. Il y dénonce la politique d'un hôtel de la chaîne Tivoli : en construction dans un bâtiment loué par le gouvernement régional et en partie rénové avec des fonds publics, il propose, pendant la COP30, la chambre au prix moyen de 2 300 euros.

Le quotidien O Globo a quant à lui révélé début août qu'un petit hôtel du centre-ville, récemment rebaptisé "COP30", a multiplié par 80 le prix de la nuitée (de 11 à 900 euros) à ces mêmes dates. L'argument du gérant est imparable.

"Nous nous adaptons à la demande. Pourquoi, avec nos 17 chambres, ne pouvons-nous pas louer 800 euros la nuit, alors que les grands hôtels peuvent pratiquer des prix plus élevés ?"

Alcides Moura, gérant de l'hôtel COP30

dans le quotidien brésilien "O Globo"

Basée dans le quartier aisé d'Umarizal, une agente immobilière expliquait en janvier au quotidien local O Liberal que "l'un des facteurs clés pour attirer le public de la COP30 [était] l'équilibre entre durabilité et sophistication." Parmi les pépites proposées : "une maison durable sur l'île de Combu, construite par des artisans autochtones grâce à un projet de bioconstruction" ou des maisons en copropriété avec "accès aux salons de beauté, services de traducteurs, visites guidées et repas préparés par des partenaires locaux". Le tout pour quelques milliers d'euros la nuit. Loin des besoins réels des délégations, habituées à négocier jusqu'au bout de la nuit dans des préfabriqués. 

Le prix du symbole 

Agents de sécurité ou d'entretien, chauffeurs, serveurs, représentants d'ONG venus de pays en développement, journalistes, scientifiques... Les invités d'une COP ne sont pas des touristes comme les autres. Aussi, le sociologue David Dumoulin classe ces rendez-vous itinérants dans la catégorie des "méga-events". "Ceux qui y participent parlent parfois de 'cirque' des COP", note-t-il. "Parce qu'il y a une dimension 'infrastructure événementielle' qui se reproduit partout à l'identique. On a besoin de connexions internet, de repas, d'une logistique importante. Et parce qu'une partie des participants se retrouvent d'une COP à l'autre".

"Belém ne répond pas aux critères habituels de la ville hôte avec, comme à Rio, des centres de conférences où se tiennent régulièrement des colloques énormes."

David Dumoulin, professeur de sociologie à l'Institut des hautes études de l’Amérique latine

à franceinfo

A défaut d'être pratique, le choix de Belém, métropole portuaire sur l'embouchure de l'Amazone, se veut "politique" et "symbolique". Le président du Brésil, Lula, assume : "J'ai déjà participé à des COP en Egypte, à Paris, à Copenhague, et tout le monde parlait de l'Amazonie. Alors, je me suis dit : 'Pourquoi ne pas faire la conférence en Amazonie, pour que tout le monde connaisse l'Amazonie ?'" "Ce choix permet d'approcher le sommet au plus près des mouvements sociaux-environnementaux amazoniens, en particulier des organisations indiennes", relève David Dumoulin, qui souligne la détermination des organisateurs à maintenir la COP à Belém malgré les protestations.  

Un pont en construction en vue de relier, d'ici la COP30, en novembre 2025, les quartiers de Icoaraci et Outeiro, dans le nord de la ville de Belém, au Brésil, le 25 août 2025. (ANDERSON COELHO / AFP)
Un pont en construction en vue de relier, d'ici la COP30, en novembre 2025, les quartiers de Icoaraci et Outeiro, dans le nord de la ville de Belém, au Brésil, le 25 août 2025. (ANDERSON COELHO / AFP)

Selon la ministre des Peuples autochtones brésiienne, Sonia Guajajara, le sommet affichera en effet la plus grande participation autochtone jamais enregistrée en 30 ans de COP. Craignant que la pénurie de logements n'entrave cet objectif, la Commission internationale des peuples autochtones, l'un des groupes de coordination de la présidence de la COP30, a d'ailleurs annoncé le 9 août que l'université fédérale du Para abriterait un "village COP" : un camping pouvant accueillir jusqu'à 3 000 personnes et qui servira de point de rencontres et d'espace de conférences aux représentants présents des peuples indigènes du monde entier.

Si les coûts du logement font craindre l'absence de nombreux représentants des pays en développement, "il est temps de cesser d'organiser des COP dans des villes-boutiques, des complexes touristiques ou des capitales européennes", a argumenté l'urbaniste Lucas Nassar, dans une tribune publiée le 24 juin.

"Comme des milliers d'autres villes du Sud, confrontées à de sérieux défis, (...) Belém est un microcosme des inégalités mondiales, ce qui rend son choix si puissant."

Lucas Nassar, urbaniste

dans une tribune

De l'assainissement aux transports, en passant par l'hébergement ou le ramassage des ordures, Belém cumule les difficultés. A l'échelle du Brésil, elle fait d'ailleurs figure de capitale régionale pauvre, note David Dumoulin, qui décrit en quelques mots un centre moderne et congestionné, auquel s'ajoutent d'immenses bidonvilles. Ici, dit-il, "comme dans tous les événements qui se déroulent à l'échelle mondiale, comme une COP ou des Jeux olympiques, il y a l'ambition de créer des infrastructures qui vont perdurer". 

Les inégalités sur le devant de la scène

"En ce moment même, plus de 5 000 personnes travaillent sur des chantiers", a déclaré le gouverneur de l'Etat du Para, Helder Barbalho, le 13 août à la radio brésilienne. "Tout sera prêt comme prévu pour la COP en novembre." Selon les organisateurs du sommet pour le climat, 279 rues ont déjà été réhabilitées, dont 60 dans des quartiers populaires, pour un total de près de 90 kilomètres. La flotte de bus de la ville a été renforcée de 265 nouveaux véhicules, payés par le gouvernement fédéral. "D'importants travaux de drainage et d'assainissement bénéficieront directement à plus de 500 000 personnes, soit plus d'un tiers des près de 1,4 million d'habitants de la ville", se félicite l'organisation. 

Reste que ces chiffres sont contestés. "Lorsqu'il s'agit spécifiquement de la collecte des eaux usées, ce chiffre tombe à 40 000, soit seulement 3% de la population", calculait en juin le quotidien Folha de Sao Paulo.

Des personnes passent en vélo à proximité de canaux en travaux en prévision de la COP30, à Belém (nord-est du Brésil), le 23 mars 2025. (JORGE SAENZ / AP / SIPA)
Des personnes passent en vélo à proximité de canaux en travaux en prévision de la COP30, à Belém (nord-est du Brésil), le 23 mars 2025. (JORGE SAENZ / AP / SIPA)

Sur place, des voix s'élèvent pour dénoncer des travaux menés à la hâte, qui sacrifient les plus vulnérables. Dans une vaste enquête, le site d'information Sumauma montre ainsi que les habitants précaires des maisons sur pilotis de Vila do Barca ont découvert sur le tard que la station de pompage des eaux usées en construction chez eux, en prévision de la COP, n'avait pas vocation à améliorer leur quotidien à eux. Mais d'abord celui du quartier aisé voisin d'Umarizal.

"La question qui se pose dépasse celle de la nécessité ou non de tels projets", argumentent trois urbanistes et géographes de l'université fédérale du Para, dans une autre tribune publiée par le média Brasil de Fato. Le problème "concerne la manière dont le gouvernement agit en matière d'information et d'indemnisation équitable des familles", écrivent-elles, dénonçant "l'expulsion d'une dizaine de familles" à cause des travaux pour accueillir la COP.

"La population locale est extrêmement mobilisée pour la conférence, mais elle souffre également de cette confusion" autour des logements, abonde le secrétaire exécutif de l'Observatoire du climat, Marco Astrini, interrogé le 25 août sur la radio locale Eldorado.

"Des habitants de Belém perdent leur bail, et les prix exorbitants les empêchent de le renouveler car les propriétaires préfèrent louer leur appartement ou leur maison pour la COP."

Marcio Astrini, secrétaire exécutif de l'Observatoire du climat

à la radio Eldorado

"Belém a la capacité d'accueillir tout le monde", veut croire la propriétaire d'une agence de voyages, citée par Brasil de Fato. "Non pas parce que nous n'avons pas de problèmes, mais parce que les gens qui viennent à la COP viennent pour s'attaquer aux problèmes auxquels nous sommes confrontés". C'est aussi ça, la diplomatie climatique.

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