De 4 à 52 km/jour parcourus, de la marche à la voiture toute-puissante... Un expert a visualisé l'évolution de la mobilité des Français en deux siècles
Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports, illustre dans une infographie l'évolution de nos modes de déplacements. Face aux conséquences de l'utilisation des énergies fossiles, il appelle à une transition pour relever les défis sanitaires et climatiques.
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C'est le pétrole qui a propulsé notre mobilité. Voilà le résumé qui pourrait être fait du travail réalisé par Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports, et Daniel Breton, expert en visualisation de données. Le binôme a publié, mardi 1er juillet, une infographie vidéo représentant l'évolution des modes de transport des Français depuis plus de deux siècles, et des énergies qui les font avancer. Marche, vélo, voiture, avion, train… Chaque usage est illustré dans le temps, sur la base de données ministérielles et autres, en fonction des kilomètres parcourus.
Le récit démarre en 1800 : les Français font alors en moyenne 4 kilomètres par jour à pied. "Quand on avance dans le temps, on voit l'arrivée de nouveaux modes de transport. Dans les années 1870, le vélo, puis, sur la toute fin du XIXe siècle, la voiture, avant son boom dans les années 1950", retrace Aurélien Bigo auprès de franceinfo. Une croissance de la voiture permise par celle du pétrole, énergie fossile représentée dans l'infographie ci-dessous en rouge. "D'une mobilité dominée par l'énergie humaine – plus de 90% des distances jusqu'à 1850 et plus de 50% jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale –, on est passé à une mobilité dominée par le pétrole, qui représente moins de 5% à la fin de la Première Guerre, jusqu'à plus de 50% à partir du début des années 1950 et environ 90% des années 1970 au milieu des années 2000."
Arrive enfin l'aérien, qui se hisse à la deuxième place en termes de distance parcourue dans les années 1990-2000. Le nombre de voyages en avion, ramené au nombre d'habitants, a été multiplié par 85 entre 1950 et 2024, révèle le chercheur. Une moyenne nationale qui cache de gros déséquilibres : "Ce mode comporte des inégalités plus fortes que les autres. Aujourd'hui, la part des personnes qui ont accès à l'avion a augmenté, mais pour autant, ce moyen de transport dépend encore très fortement des revenus", commente Aurélien Bigo.
Au cours de ce voyage dans le temps, le chercheur remarque des virages "abrupts". Il cite les expositions universelles, qui ont développé les transports en commun à Paris, les guerres mondiales, qui ont mis un coup de frein à la voiture, notamment entre 1935 et 1945, les chocs pétroliers, après lesquels le TGV électrique a été développé, ou plus récemment le Covid, qui a donné un coup de boost à la pratique du vélo.
Tableau final de cette histoire : les Français parcouraient en moyenne 52,3 km par jour en 2023, dont 34 en voiture, 9,3 en avion, 5 en train, 2,2 en transport en commun routier, 0,9 à pied, 0,7 en deux-roues et 0,1 en bateau. Le pétrole reste dominant pour faire fonctionner tout cela. Il représentait, cette année-là, 81% des distances parcourues par les voyageurs, bien loin devant l'électricité (11%), les biocarburants (5%), la traction humaine (2%) et le gaz (0,6%).
Des risques sociaux, sanitaires et climatiques
Plus d'énergies fossiles dans nos moteurs, moins de déplacements actifs... Ces deux constats posent de sérieux problèmes sanitaires, sociaux et climatiques. La combustion du pétrole contribue d'abord largement au réchauffement climatique, menaçant nos modes de vie et les écosystèmes. "Les transports sont le premier secteur d'émissions de gaz à effet de serre en France, et ils le sont de plus en plus chaque année", rappelle Aurélien Bigo. Mais ils contribuent aussi à l'augmentation de la pollution de l'air, à laquelle 40 000 morts sont attribuables chaque année, selon Santé publique France. Le chercheur cite également la pollution sonore, "qui montre des impacts sanitaires très significatifs, presque similaires à la pollution de l'air", l'extraction de ressources naturelles, l'occupation des sols par les infrastructures de transport ou encore l'accidentalité sur les routes. "Concernant l'activité physique, les déplacements actifs ont beaucoup diminué. On a un vrai problème de sédentarité dans la population", alerte Aurélien Bigo. Pourtant, une transition ambitieuse vers des modes plus actifs (marche et vélo) pourrait offrir trois mois d'espérance de vie à la population française, comme l'a montré une étude à laquelle a participé le chercheur.
Face à ce tableau, une transition est nécessaire. Le passage à l'électrique pour se séparer du pétrole, d'abord. "Cette source d'énergie ne représente que 11% des kilomètres parcourus en 2023, principalement grâce au ferroviaire. D'ici 2050, si on respecte nos engagements, elle devrait représenter 80% des distances parcourues", dessine Aurélien Bigo. Pour relever les défis climatiques et sanitaires, le chercheur évoque plusieurs leviers. "Essayer de limiter les distances en favorisant plus de proximité dans les déplacements du quotidien – et ça, c'est une question d'aménagement du territoire – comme en voyage, avec du tourisme local", commence-t-il. Il évoque le report modal vers des transports actifs et décarbonés, le covoiturage et le passage à des énergies moins carbonées.
Autant de choix parfois individuels, mais surtout collectifs et politiques. "Les changements qu'on a observés au cours de l'histoire suivaient les avantages et inconvénients présentés par les nouveaux modes émergents, mais c'étaient aussi des choix humains. Ils étaient portés politiquement pour accompagner la croissance de l'économie, en soutenant les industries automobile ou aéronautique par exemple", éclaire Aurélien Bigo. Or, selon lui, les politiques actuelles sont "peu cohérentes". "On favorise des modes de transport plus vertueux, mais ce n'est pas suffisant. Peu de politiques publiques assument clairement le besoin de réduire le trafic en voiture et en avion. Ce qu'il faut, c'est remettre en cause certains avantages historiques accordés à ces modes de transport, pour que les alternatives deviennent plus intéressantes."
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