Vague de chaleur : comment les immeubles de bureaux, "de moins en moins viables", peuvent s'adapter au réchauffement climatique
/2021/12/14/61b8b9946b6b4_louis-san.png)
/2025/06/19/050-only-0459317-68543fb907f23572757512.jpg)
Face à la hausse des températures, les tours vitrées, symboles des quartiers d'affaires, se révèlent de plus en plus inadaptées. Mais des solutions techniques existent pour modifier les édifices déjà construits. Et de nouveaux projets architecturaux sont aussi pensés pour affronter les coups de chaud.
En pleine vague de chaleur, un soleil de plomb frappe la façade vitrée d'un immeuble de bureaux. Dans la rue, alors que le bitume devient brûlant, et la journée de labeur pénible pour les ouvriers travaillant en plein soleil, les passants subissent la désagréable réverbération des rayons ardents. Mais à l'intérieur du bâtiment, les employés sont parfois à deux doigts de sortir une petite laine pour se prémunir d'une climatisation trop forte. Cette situation illustre à quel point ces constructions typiques des quartiers d'affaires deviennent "un modèle de moins en moins viable" à l'heure du réchauffement climatique, estime l'architecte Emmanuelle Patte.
"L'architecture internationale a exporté un modèle partout dans le monde sans prendre en compte le climat local", relève cette spécialiste des bâtiments bioclimatiques, conçus en harmonie leur environnement extérieur. L'experte résume comment sont construits le plus souvent ces immeubles de bureaux : "une structure en béton et métal, une enveloppe totalement vitrée et des systèmes pour chauffer et rafraîchir". Un modèle qui n'a pu se développer que grâce à la climatisation : "une sorte de drogue", car "il faut de l'énergie tout le temps", souligne Emmanuelle Patte.
Le cercle vicieux de la climatisation
L'Agence internationale de l'énergie avait d'ailleurs désigné, dans son rapport annuel de 2024, la climatisation comme l'un des "moteurs" majeurs de la hausse de la demande mondiale d'électricité, qui est encore produite aux deux tiers par des énergies fossiles. Le poids de ce symbole de la mal-adaptation ne doit pas être minimisé.
A l'échelle locale, les climatiseurs rejettent de l'air chaud à l'extérieur des bâtiments, renforçant l'inconfort des îlots de chaleur urbain. A l'échelle mondiale, cette technologie engendre un cercle vicieux : avec l'élévation générale des températures causée par le réchauffement climatique le besoin de refroidissement augmente, les climatisations tournent davantage et les centrales électriques à charbon doivent intensifier leurs activités, ce qui fait augmenter les rejets de dioxyde de carbone (le CO2 est le principal gaz à effet de serre), renforçant ainsi le réchauffement climatique.
Adapter les tours vitrées existantes au réchauffement climatique signifie réduire leur consommation en énergie, tout en améliorant leur confort intérieur face à des températures parfois caniculaires. L'idéal, selon les spécialistes joints par franceinfo, serait d'installer des brise-soleil à l'extérieur des bâtiments pour empêcher la lumière de frapper directement la façade. Sauf que ces édifices n'ont pas été conçus pour cela et que les coûts de modification peuvent être importants.
Vitrages innovants et ventilateurs au plafond
Malgré les obstacles, des solutions existent. L'Ecole nationale supérieure d'architecture de Montpellier a par exemple subi entre 2022 et 2023 une importante rénovation pour améliorer ses performances énergétiques. Il était impératif de préserver l'esthétique du bâtiment construit au milieu des années 1970 et labellisé "Architecture contemporaine remarquable". Pour y parvenir, les anciennes vitres ont été remplacées par du double vitrage intégrant un store miniaturisé, note Cédric Lentillon, directeur adjoint département bâtiments durables au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema).
L'orientation des petites lames d'aluminium est calculée par ordinateur pour chaque fenêtre afin de bloquer la lumière en été et la laisser passer en hiver. "Notre produit est simple à fabriquer et simple à installer. Il ne nécessite pas d'entretien ni de réparation", ont assuré les dirigeants de la start-up toulousaine Immoblade, qui a mis au point cette innovation, interrogés sur France Culture. Les concepteurs vantent des économies d'énergies de l'ordre de 10 à 15% par an. Mais à l'achat, il faut payer environ 20% plus cher que pour des vitres classiques : 400 euros par m2. Pour l'instant, elle a équipé une quarantaine de bâtiments du secteur public et du privé et compte parmi ses clients de grands groupes du CAC 40, assure Patrick Callec, cofondateur de la société, à franceinfo.
Une solution à moindre coût, et facile à mettre en place, consiste à appliquer sur le vitrage des films solaires, pointe Clément Gaillard, docteur en urbanisme et spécialiste de l'adaptation au changement climatique. Un autre levier réside, selon lui, dans l'installation de ventilateurs au plafond. D'après l'expert, ces dispositifs, pour l'instant surtout observés dans les régions chaudes, peuvent faire baisser de 30% la consommation électrique liée à la climatisation. Dans le même temps, ils permettent de maintenir une atmosphère intérieure agréable jusqu'à des températures maximales d'environ 32°C. Il faut toutefois veiller à ne pas placer ces ventilateurs à plus de 2,30 m du sol, et garder en tête qu'à des vitesses puissantes, les feuilles peuvent s'envoler. "Cela peut être dérangeant dans des bureaux", remarque-t-il.
Moins de verre, plus de bois et de paille
Ces ventilateurs se retrouvent notamment au plafond du bâtiment "Luc Hoffmann" de la Tour du Valat, édifice de 652 m2 construit à Arles en 1954, qui a été converti en 2015 selon des principes de l'architecture bioclimatique. "On a une inertie qui est retrouvée dans le bâtiment. On peut couper le chauffage du vendredi soir jusqu'au lundi matin sans que les salariés ne s'en rendent compte", avait expliqué Nicolas Deck, chef du projet au sein de l'établissement, à France 3 Provence Alpes-Côte d'Azur, en 2023.
Comme la Tour du Valat, certains bâtiments plus récents abritant des bureaux se distinguent souvent par des surfaces vitrées moins importantes, le recours à des pare-soleil extérieurs, l'utilisation fréquente de structures et de bardages en bois, mais aussi d'isolation en matière naturelle comme la paille. Ils tentent également de miser sur des systèmes de ventilation passifs, pour profiter de la fraîcheur nocturne en été. "La démarche est de réduire au maximum les besoins en énergie, de retarder au maximum le recours à un système de refroidissement actif", c'est-à-dire à de la climatisation, insiste Cédric Lentillon. Il s'agit aussi de respecter la réglementation environnementale RE2020, qui vise "un objectif de sobriété énergétique et une décarbonation de l'énergie", "une diminution de l'impact carbone" et "une garantie de confort en cas de forte chaleur".
Les immeubles de bureaux seront-ils totalement passifs à l'avenir ? L'agence d'architecture Baumschlager Eberle a dévoilé en 2015 un prototype baptisé 2226, qualifié de "prometteur" par Emmanuelle Patte. "Le 'chauffage' provient uniquement de la chaleur résiduelle des utilisateurs, des ordinateurs, de l'éclairage, ainsi que du rayonnement solaire", avait exposé le Pavillon de l'Arsenal, centre consacré à l'architecture et l'urbanisme. "Le nom du bâtiment, 2226, représente le programme : il se réfère à la contrainte de température de confort idéale, située entre 22 et 26°C", avait-il expliqué. L'immeuble se rafraîchit également sans intervention d'énergie extérieure, avait salué le prix international d'architecture Brick Award de l'entreprise Wienerberger.
Au fil des décennies, l'immeuble de bureau s'est imposé dans les villes comme dans l'imaginaire collectif sous la forme d'une structure massive, souvent élancée, recouverte de verre, de béton, de métal et de pierre. Un modèle statutaire à même de représenter la puissance d'un grand groupe. Cette certaine idée du prestige doit désormais être interrogée, selon Clément Gaillard, qui préconise un bâtiment "bien équilibré dans sa conception, confortable et avec de bons matériaux".
"Flex office" et "cool biz" ?
Parmi eux, Emmanuelle Patte cite la terre crue : en plus d'être nettement moins polluante que le béton, elle présente l'avantage, notamment pour des cloisons intérieures, d'avoir une excellente capacité à absorber la chaleur et à la rediffuser de façon douce. Sans compter, qu'elle contribue à réguler l'humidité de l'air, un élément important pour le confort des occupants. Si l'évolution du regard des clients et des professionnels de la construction peut prendre du temps, Cédric Lentillon note une "sensibilité croissante" du secteur à ces problématiques.
Les transformations envisagées ne sont pas que matérielles, mais aussi culturelles : elles interrogent les usages. Le mode d'occupation des bureaux va peut-être évoluer, suggère Clément Gaillard. Avec le développement du "flex-office", c'est-à-dire l'absence de bureau fixe, pourraient naître dans certains locaux des quartiers d'été, qui resteront frais grâce à leur emplacement et leur orientation, et d'autres d'hiver qui garderont la chaleur. D'ici là, l'urbaniste encourage des gestes plus ordinaires, comme la pratique du "cool biz", évoquée par Reuters. Popularisée au Japon dès 2005, elle tolère que les salariés des bureaux (strictement vêtus de costume-cravate) puissent s'habiller de manière plus décontractée, sans risquer le regard réprobateur de leur hiérarchie et de leurs collègues, en cas de fortes chaleurs estivales. "Dans l'urgence, plaide l'urbaniste, ce sont les usages qu'il faut modifier."
Depuis le XIXe siècle, la température moyenne de la Terre s'est réchauffée de 1,1°C. Les scientifiques ont établi avec certitude que cette hausse est due aux activités humaines, consommatrices d'énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). Ce réchauffement, inédit par sa rapidité, menace l'avenir de nos sociétés et la biodiversité. Mais des solutions – énergies renouvelables, sobriété, diminution de la consommation de viande – existent. Découvrez nos réponses à vos questions sur la crise climatique.
Commentaires
Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.
Déjà un compte ? Se connecter