Traité mondial contre la pollution plastique : les quatre points qui ont fait échouer les négociations

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
Des déchets le long d'une route, dans la région du Yucatan, au Mexique, le 12 février 2025. (ISABELLE SOURIMENT / HANS LUCAS / AFP)
Des déchets le long d'une route, dans la région du Yucatan, au Mexique, le 12 février 2025. (ISABELLE SOURIMENT / HANS LUCAS / AFP)

Après un échec à Busan (Corée du Sud), fin 2024, les négociateurs de 185 pays ont mené d'intenses discussions à Genève (Suisse) pour tenter de forger le premier traité international de lutte contre la pollution plastique. Mais ils ne sont pas parvenus à réconcilier des intérêts très éloignés.

La ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, est "déçue et en colère". Le cinquième et dernier round de négociations pour un traité mondial contre la pollution plastique, à Genève, en Suisse, a échoué vendredi 15 août. Ce sommet a exacerbé les tensions entre les 185 pays réunis à Genève qui ne sont pas parvenus à se mettre d'accord. Présenté au milieu de la nuit de jeudi à vendredi, le nouveau texte de compromis comportait encore plus d'une centaine de points à clarifier, après dix jours d'intenses négociations. "Nous n'aurons pas de traité sur la pollution plastique ici à Genève", a résumé le représentant de la Norvège au cours d'une séance plénière au lever du jour.

En 2022, l'agence des Nations unies pour l'environnement (UNEP) a confié au Comité intergouvernemental de négociation sur la pollution plastique le soin de rédiger un traité pour lutter conjointement contre ce fléau. Depuis, une armée de diplomates et de dirigeants s'écharpent sur le fond et la forme de ce texte historique, initialement prévu pour être bouclé à la fin de l'année 2024 à Busan, en Corée du Sud. Et alors que l'avenir de ces négociations n'était pas clair dans l'immédiat, on vous présente les questions sur lesquelles les discussions ont achoppé.

Faut-il limiter ou pas la production de plastique ?

Impossible de comprendre pourquoi les négociations ont été si difficiles sans se pencher sur l'article 6 du projet de traité. En étudiant la possibilité de limiter la production de plastique à la source, ce point particulier a cristallisé les tensions entre les pays producteurs de pétrole et leurs alliées d'un côté, et de l'autre… plus ou moins le reste du monde. Le raisonnement des premiers est simple : puisque le plastique est produit à base de pétrole et que la lutte contre le changement climatique en limite les débouchés, miser sur la pétrochimie et le recyclage permet de continuer de tirer profit de cette ressource (pour l'instant) abondante chez eux. Réunis sous la banderole des "pays partageant les mêmes idées" ("like-minded countries"), ce groupe compte, entre autres, l'Arabie saoudite, la Russie, l'Iran, le Koweït ou encore les Etats-Unis. En face, les pays de "la coalition de haute ambition", dont l'Union européenne, estiment qu'un traité qui n'impose pas de limite sur la production n'a aucun d'intérêt.

Depuis que la communauté internationale s'est attelée à la rédaction d'un traité sur le plastique, en 2022, les deux groupes n'ont pas bougé d'un pouce. Au tout premier jour de ce dernier round helvétique de négociations, les Etats-Unis ont même transmis un courrier à une poignée de pays, "les exhortant à rejeter l'objectif d'un pacte mondial incluant des limites à la production de plastique et aux additifs chimiques", a rapporté Reuters.

Quelques jours plus tard, l'Arabie saoudite a publié sa proposition pour faire avancer les discussions sur l'article 6. Au nom du groupe des pays arabes (soit 22 nations), elle a transmis à l'UNEP une page blanche, ou presque, sur laquelle on peut lire : "option 1, pas d'article." Quant à la Russie, autre puissant représentant des "pays partageant les mêmes idées", elle s'est contentée d'un lapidaire "pas de texte sur l'article 6".

Face à ces postures intraitables, le camp adverse a, lui aussi, maintenu son opposition à toute version du traité qui envisagerait de lutter contre la pollution plastique uniquement via le recyclage. Dans sa proposition pour l'article 6, publié en réponse aux textes laconiques des pays rivaux, le Panama a, au nom de 89 pays, exigé "une ambition mondiale de réduction de la production" de plastique primaire.

Au bout de huit jours de discussions, le représentant des négociateurs panaméens, Juan Carlos Monterrey-Gomez, pointait du doigt la responsabilité des quelque 234 lobbyistes des secteurs pétroliers présents à Genève dans "l'impasse" qui s'est formée autour de l'article 6. "Ils ont infiltré ces négociations, ils essaient de sauvegarder leurs intérêts, leur profit au détriment de tous les autres", confiait-il au site spécialisé Climate Home.

Faut-il décider par consensus ou à la majorité ?

Autre point d'achoppement de ces interminables discussions : la méthodologie. Ou plutôt, les règles qui régiront les décisions à venir sur le plastique. Car le traité n'est qu'un début. Une première étape qui permettra aux pays qui le ratifient de se réunir régulièrement lors de "Conférences des Parties" (des COP, comme il en existe pour le climat) pour discuter de leurs progrès respectifs.

Exposé dans l'article 20, ce point a également vu s'affronter les pays "partageant les mêmes idées" à "la coalition de haute ambition". Pour les premiers, qui sont en minorité numérique, il faut maintenir le consensus. Selon eux, il s'agit ainsi d'éviter aux pays ne disposant pas des capacités financières ou techniques nécessaires pour mettre en œuvre le traité d'être écrasés par les obligations décidées à la majorité. Dans une tribune publiée le 4 août, des représentants de la Coalition interparlementaire pour mettre fin à la pollution plastique ont dénoncé une position hypocrite, accusant ces pays "d'exploiter l'absence de consensus comme un veto de facto, ou officieux, pour déclencher des discussions fastidieuses sur tous les sujets, de l'ordre du jour de la plénière à la toxicité chimique des plastiques."

Ainsi, pour le groupe des "ambitieux", majoritaire en nombre, prendre des décisions à l'issue de votes, à la majorité absolue par exemple, permettrait à l'inverse de ne pas subir l'obstruction de certains pays peu conciliants. Dès le troisième jour des discussions, une proposition portée par la Colombie et le Pérou, prévoyant le recours au vote à la majorité absolue en cas d'épuisement du consensus, avaient déjà recueilli le soutien de près de 120 pays. Un tel mécanisme doit "empêcher une minorité d'Etats pétroliers, alignés sur l'industrie, de faire dérailler un traité juridiquement contraignant qui bénéficie du soutien de plus de 100 pays", argumentait la Coalition interparlementaire, au sein de laquelle figure le député français MoDem Philippe Bolo.

Faut-il parler gros sous dès maintenant ?

Quiconque suit les COP, et autres sommets internationaux visant à agir pour la planète et ses habitants, sait la place centrale que tiennent les financements dans ces discussions. Inscrite à l'article 11, la question des mécanismes financiers – des systèmes garantissant à tous la possibilité d'appliquer les mesures préconisées dans le traité – a pâti des blocages en d'autres parties du texte. Et pour cause, les pays les plus riches, dont l'UE, ont refusé de s'accorder sur ce point, qui aborderait notamment le financement de la collecte des déchets plastiques dans les pays en développement, tant que débat en cours sur l'article 6 sur la réduction de la production de plastiques n'était pas résolu. Cette situation a poussé le groupe des pays africains a tapé du poing sur la table, sans grand succès.

Dans un rapport traitant du coût de la lutte contre la pollution plastique, en 2023, l'OCDE estimait que 100 milliards de dollars devaient être investis dans le recyclage dans les pays en développement, et 60 milliards de dollars dans l’amélioration de la collecte des déchets. 

Faut-il prendre en compte l'impact des plastiques sur la santé ?

Pour la coalition de scientifiques qui accompagnent depuis 2022 les discussions sur le traité plastique, l'impact de la pollution plastique sur la santé humaine ne fait aucun doute. Pour les pays chargés de négocier les termes de l'accord, c'est plus compliqué. Après six jours de négociations, à Genève, plus 120 pays étaient en tout cas d'accord pour inclure un article distinct, l'article 19, faisant reconnaître officiellement les méfaits du plastique sur la santé. Or, pour l'Arabie saoudite et le groupe partageant les mêmes idées, la santé "relève du mandat de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS)" et n'a donc rien à faire dans ce traité sur le plastique. 

Les scientifiques estiment par ailleurs que cet article 19 permet de compléter et de renforcer d'autres articles traitant des risques et des conséquences de la pollution plastique, tel que l'article 3, qui prévoit d'établir une liste de substances chimiques jugées potentiellement dangereuses pour l'environnement ou la santé humaine (additifs, colorants, polluants dits "éternels" (PFAS), phtalates, etc.) Selon le groupement d'ONG Gaia, qui rassemble des associations environnementales à travers le monde, 130 pays ont soutenu une proposition en ce sens. Mais là encore, impossible d'atteindre le consensus alors que les pays "partageant les mêmes idées" plaident pour un traité le moins contraignant possible et que les industriels de la chimie s'opposent à l'article 3.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.