: Témoignage "C'est à moi d'expliquer à cette pauvre dame que c'est elle la victime" : le policier chargé des investigations sur les viols de Mazan raconte une enquête hors normes
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Pour la première fois depuis le début de l'affaire dite des viols de Mazan, le policier en charge de l'enquête raconte en détail comment il a découvert les agissements de Dominique Pelicot et comment ce dossier a bouleversé sa vie personnelle et professionnelle.
Alors que l'affaire des viols de Mazan est désormais définitivement jugée, le sous-brigadier Laurent Perret, le policier en charge de l'enquête, témoigne au micro d'Adèle Bossard, journaliste à ICI Vaucluse, dans le podcast "Crimes et témoignages". Il revient sur les étapes marquantes de cette affaire hors normes qui a mené à la condamnation de 51 hommes.
Tout commence le 12 septembre 2020. Dominique Pelicot, un retraité de 68 ans, est surpris par les agents de sécurité d’un supermarché à Carpentras en train de filmer sous les robes de plusieurs clientes. La police est rapidement avertie, l'homme est interpellé et placé en garde à vue. Lors de la perquisition, les enquêteurs découvrent notamment un second téléphone sans carte SIM et un caméscope. Laurent Perret, gardien de la paix, est chargé d'extraire les vidéos du téléphone du suspect.
Les débuts d'une enquête hors normes
Commence alors le travail d'exploitation du téléphone et du caméscope. En examinant de plus près l'iPhone sans carte SIM de Dominique Pelicot, Laurent Perret est frappé par une anomalie : "Je me rends compte que lorsque je l'allume, en fait, il n'y a aucune icône qui apparaît. Il n'y en a que deux. Il y a Skype, et à côté la galerie". Il décide alors d'ouvrir l’application Skype : "Je vois toute une liste de pseudos. J'ouvre la première conversation et je lis. Ça m'interpelle. Je bugue et je me demande si j'ai bien compris ce que je viens de lire : c'était la recette où il expliquait qu'il donnait dix cachets de Temesta 2.5 à son épouse pour l'endormir et que son interlocuteur pouvait venir après."
Dominique Pelicot est laissé libre à l'issue de sa garde à vue pour captation d'images impudiques au supermarché de Carpentras, le temps pour les policiers de poursuivre leurs investigations. Laurent Perret, alors en poste à l'unité des atteintes aux personnes, reprend le dossier. Lorsque, sans qu'une autre enquête soit ouverte, il explore l'application Skype sur l'un des téléphones, il découvre des dizaines de messages. "Il y a beaucoup de conversations. J'en lis une, j'en lis deux, j'en lis trois et je me dis 'là, il y a quelque chose de pas normal'. J'ai compris tout de suite son vice de dire : 'j'ai un téléphone, il n'y a pas de carte SIM, hop je passe tout par internet," raconte le policier. Laurent Perret comprend immédiatement qu'il est face à une découverte majeure : "Je me dis 'tu n'as pas le droit à l'erreur.' Je ne voulais surtout ne pas faire un vice de procédure".
"J'ai tout de suite tout compris, en fait, sa façon de procéder. Nous sommes des policiers aguerris."
Laurent Perret
Pour accéder aux photos grisées découvertes dans les conversations Skype de ce téléphone sans carte SIM, il est nécessaire de connecter l'appareil à internet. Mais le commissariat de Carpentras, à l'époque, n'est pas équipé du wifi. Laurent Perret se positionne alors à la fenêtre de son bureau pour capter le réseau de l'hôtel en face. Sur les premières photos apparaissent des jeunes filles de 16 à 18 ans, endormies et attachées "style sado-masochiste".
Puis "d'un seul coup, je me rends compte que la première conversation disparaît et que la deuxième conversation disparaît. Tout de suite, je coupe le wifi et je mets le téléphone en mode avion". Le policier comprend que Dominique Pelicot est en train d'effacer des données à distance. Il faut réagir vite et figer les messages pour ne pas qu'ils disparaissent. Les téléphones sont alors envoyés à une unité spécialisée en cybercriminalité pour éviter la perte de preuves.
Après avoir vu les photos, Gisèle Pelicot reste sans voix
En poursuivant l'exploitation de la carte mémoire, Laurent Perret découvre une image marquante : celle d’une femme d'environ 60 ans, nue, en porte-jarretelles, allongée sur un lit, semblant dormir. Son état l'interroge… Pendant plusieurs jours, il scrute minutieusement le contenu du téléphone et l'application Skype, détaillant les conversations et analysant les pseudos. Il consigne par écrit, sur procès-verbal, l'ensemble des éléments qu'il observe. "Je n'ai pas vu des scènes sexuelles. J'ai vu des scènes de violence", souligne-t-il. Parmi les vidéos visionnées, il est profondément marqué par le ronflement de Gisèle Pelicot, assommée par les somnifères. Il comprend que le retraité de Mazan a drogué sa femme pour la soumettre à des inconnus, puis filmer les viols.
Le policier se prépare à la première audition de Gisèle Pelicot. "C'est à moi d'expliquer à cette pauvre dame que c'est elle la victime, et annoncer à une victime qu'elle a été violée peut-être 300 fois. Ce n'est pas rien", confie-t-il. Pendant un mois et demi, il prépare minutieusement cette audition, griffonnant ses questions, se réveillant la nuit pour les modifier. Le brigadier sait l'ampleur de ce qu'il va lui révéler. Il pressent la déflagration que cela va provoquer et veut s'assurer qu'elle sera prise en charge après cette audition. Il fait venir une psychologue du commissariat d'Avignon.
"Il fallait vraiment que je m'applique, pour cette victime que je ne connaissais pas encore. C'est ce que j'ai fait."
Laurent Perret
Dominique et Gisèle Pelicot sont convoqués ensemble le lundi 2 novembre 2020 au commissariat de Carpentras. Le policier reconnaît immédiatement la femme nue en porte-jarretelles sur le lit. L'audition commence en l'absence du mari. L'attitude de Gisèle Pelicot confirme les craintes de l'enquêteur : pendant toutes ces années, elle n'a rien soupçonné, elle ne sait rien et ne se doute de rien. "Je lui ai montré une photo où elle apparaît nue, allongée sur un lit. Elle a marqué un temps d'arrêt. Je lui ai demandé ce qu'elle voyait. Elle m'a répondu : 'C'est moi. Je suis dans ma chambre. Je dors. C'est quoi ce porte-jarretelles ? Je n'en mets pas'." Le brigadier lui montre plusieurs photos, une à une, avec à chaque fois des hommes différents.
"Je ne connais pas ces gens, dit Gisèle Pelicot. Mais c'est chez moi, c'est mon lit ! Qu'est-ce qu'il me fait ?" Elle comprend alors : "Ils me violent", lâche-t-elle. Laurent Perret lui pose alors la dernière question : "Souhaitez-vous déposer plainte contre votre mari et toutes les personnes qui sont identifiées dans ce dossier ?" Elle parvient à répondre oui. Après cela, plus aucun mot ne sort de la bouche de Gisèle Pelicot. Elle est figée.
"Ça m'a usé moralement"
Cette affaire a épuisé Laurent Perret : "Le soir, vous mangez Pelicot, vous dormez Pelicot, puis vous vous levez Pelicot. On est vidé, mais on se dit que tout le travail d'un mois et demi en arrière à se lever plusieurs fois dans la nuit, à préparer des questions, ça a payé en fait". Le 4 novembre 2020, une information judiciaire est ouverte contre Dominique Pelicot pour, entre autres, viol aggravé avec administration à la victime d'une substance à son insu. Une juge d'instruction est nommée, et face à l'ampleur de l'affaire, le commissariat de Carpentras est dessaisi au profit de la police judiciaire d'Avignon.
Quatre ans plus tard, lors du premier procès des viols de Mazan devant la cour criminelle du Vaucluse à Avignon, Gisèle Pelicot évoquera à la barre le nom de Laurent Perret. Alors que l'on entend pour la première fois sa voix après quatre mois d'audiences, ses premiers mots sont pour le brigadier : elle le remercie et assure que les policiers lui ont "sauvé la vie." Ce dossier a profondément marqué Laurent Perret. "Ça m'a usé moralement, j'étais arrivé au bout. J'ai changé d’unité, pour moi c'était fini". Après cette enquête difficile, il a effectivement préféré quitter l'unité des atteintes aux personnes. "Dans tous les cas, je ne l'oublierai jamais, elle ne m'oubliera jamais", assure-t-il.
Le 19 décembre 2024, Dominique Pelicot a été condamné à 20 ans de réclusion criminelle. Les autres accusés reconnus coupables ont écopé de peines allant de 3 à 15 ans de prison. Le 9 octobre 2025, l'unique personne qui avait fait appel a vu sa peine portée à 10 ans.
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