"Il s'était créé un personnage de sauveur" : au procès de Frédéric Péchier, un ancien collègue anesthésiste enfonce l'accusé

Martial Jeangirard, qui avait une très bonne opinion de l'accusé avant l'enquête, "estime que ce dernier l'a manipulé. Il affirme n'avoir aucun doute sur sa culpabilité.

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Frédéric Péchier arrive au tribunal judiciaire de Besançon (Doubs), le 11 septembre 2025. (WILLY GRAFF / MAXPPP)
Frédéric Péchier arrive au tribunal judiciaire de Besançon (Doubs), le 11 septembre 2025. (WILLY GRAFF / MAXPPP)

Dans un procès, il y a des auditions très attendues : c'est le cas de celle de Sandra Simard, l'une des dernières victimes de la trentaine d'empoisonnements dont est accusé Frédéric Péchier, attendue jeudi 18 septembre devant la cour d'assises du Doubs. Le témoignage de Martial Jeangirard, ancien collègue de l'accusé, semblait concentrer moins d'enjeux, mais il a égratigné la défense. "Je ne sais pas pourquoi vous voulez m'entendre", lâche cet anesthésiste expérimenté, veste kaki sur sa longue silhouette, un peu décontenancé lorsqu'il s'avance à la barre vers 9h30.

Plusieurs de ses patients ont été concernés par la série d'"événements indésirables graves" (ou "EIG" dans le jargon médical) attribués par les enquêteurs au docteur Péchier. Arrivé en 1996 et parti en 2024 de la clinique Saint-Vincent de Besançon, Martial Jeangirard a plus à dire qu'il n'y paraît. Pendant des années, son confrère, aujourd'hui accusé de 30 empoisonnements dont 12 mortels, qui l'écoute attentivement à sa droite, apparaissait aux yeux de tous comme "un très bon anesthésiste-réanimateur". "Ce n'était pas un hurluberlu", ajoutait le témoin, interrogé par les enquêteurs. 

Quand il est convoqué par la police en mars 2017, il n'a aucune idée des motifs de l'arrestation de Frédéric Péchier. Il explique même avoir refusé de travailler le lundi suivant son arrestation, par solidarité. A ce moment-là, "c'est inimaginable qu'il y ait un empoisonneur". La présidente de la cour, Delphine Thibierge, cite une écoute téléphonique, dans laquelle il saluait un article de presse disant du bien de son confrère, début 2017. "Vous pouvez avoir des amitiés avec des gens, et ils peuvent vous trahir", observe-t-il aujourd'hui. 

"Il nous disait qu'on était dans les clous" 

Au fil de ses "56 heures d'audition au commissariat", l'opinion de Martial Jeangirard a évolué. Interrogé par la présidente sur le nombre anormalement élevé d'EIG au sein de la clinique, l'anesthésiste compte : "J'en ai eu sept, d'autres en ont eu cinq, certains trois..." A chaque fois, Frédéric Péchier a participé à la réanimation. Martial Jeangirard assure que lui et ses collègues ont abordé le sujet avec l'intéressé, qui estimait "qu'on était sur des chiffres normaux par rapport à d'autres établissements".

"Il sortait des stats et nous disait qu'on était dans les clous. Personne n'osait le contredire", poursuit le témoin. Il reconnaît avoir été particulièrement perturbé à l'époque. "J'avais dit à ma femme que je voulais arrêter l'anesthésie, car je trouvais que c'était une loterie... Je voulais me reconvertir en plombier chauffagiste. Je n'avais plus la foi", déroule-t-il. Il a retrouvé goût à son métier après le départ de l'accusé en 2017.

"A partir du moment où Monsieur Péchier n'est plus sur la clinique, j'ai endormi 20 000 patients. Il n'y a plus jamais eu d'accidents inexpliqués."

Martial Jeangirard, anesthésiste

devant la cour d'assises du Doubs

"Il n'y a que quand j'ai été avec le docteur Péchier qu'il y a eu des accidents inexpliqués", affirme-t-il d'un trait, portant un coup considérable à la défense.

"Pompier pyromane" 

L'accusé "s'était créé un vrai personnage charismatique de sauveur", avait-il décrit lors de ses auditions, évoquant l'omniprésence du médecin, "y compris dans un bloc qui n'était pas le sien". Un portrait à charge, qu'il maintient aujourd'hui à la barre. L'avocate générale, Christine de Curraize, l'interroge sur la personnalité de Frédéric Péchier, qui ne sera abordée qu'à la toute fin du procès. Le témoin se rappelle qu'un matin de 2016, l'anesthésiste était arrivé furieux après une dispute la veille avec l'un de ses collègues, le docteur Sylvain Serri, qui l'avait taxé de "pompier pyromane", soulignant qu'il était "toujours là pour réanimer" et qu'il "aimait ça". "A partir de ce moment-là, ça a été la guerre totale [entre les deux hommes]", analyse Martial Jeangirard.

L'avocat de la défense, Randall Schwerdorffer, tente de calmer le jeu, rappelant que son client et le témoin étaient amis, et de montrer que Frédéric Péchier n'avait pas de raison d'en vouloir à Martial Jeangirard, et donc de provoquer des EIG sur ses patients. Celui-ci admet avoir été "sidéré" face à la possibilité d'avoir été pris pour cible par l'accusé.

"Il devait m'en vouloir, mais je ne sais pas pourquoi... Je n'ai jamais eu d'altercation."

Martial Jeangirard, anesthésiste

devant la cour d'assises du Doubs

Concernant l'administration rapide par Frédéric Péchier de gluconate de calcium, un produit qui permet au cœur de supporter une surdose de potassium, pour ranimer Sandra Simard après un arrêt cardiaque, l'avocat de la défense suggère que le témoin aurait, lui aussi, pu prendre cette décision. "Non non non, moi, je ne le fais pas après deux minutes de massage ! Je ne peux pas vous laisser dire des trucs qui sont faux", s'insurge Martial Jeangirard. La défense est à la peine.

Quelques minutes avant, la représentante du ministère public, qui porte l'accusation, avait déjà porté l'estocade. "Vous avez l'impression d'avoir été trahi ?", a demandé Christine de Curraize au témoin. "Oui", répond Martial Jeangirard sans hésiter. "Vous avez des doutes aujourd'hui sur la culpabilité de Monsieur Péchier ?", poursuit l'avocate générale. "Non", lâche l'anesthésiste.

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