Procès de Frédéric Péchier : "On est dans un procès d'assises, il faut des preuves", lance l'anesthésiste lors de son premier interrogatoire

L'accusé, jugé pour 30 empoisonnements, dont 12 mortels, s'est exprimé quinze jours après le début de son procès.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
L'ancien anesthésiste Frédéric Péchier, le 8 septembre 2025, au premier jour de son procès devant la cour d'assises du Doubs, à Besançon. (BENOIT PEYRUCQ / AFP)
L'ancien anesthésiste Frédéric Péchier, le 8 septembre 2025, au premier jour de son procès devant la cour d'assises du Doubs, à Besançon. (BENOIT PEYRUCQ / AFP)

Sa voix a enfin résonné dans la salle d'audience. En chemise bleu-gris et jean, Frédéric Péchier, dont le procès semblait se jouer sans lui depuis son ouverture quinze jours plus tôt, s'est avancé à la barre de la cour d'assises du Doubs, lundi 22 septembre. L'anesthésiste de 53 ans, jugé pour 30 empoisonnements, dont 12 mortels, sur des patients de deux cliniques de Besançon, attendait ce moment depuis huit ans et sa mise en cause dans cette affaire titanesque.

Pour ce premier interrogatoire, l'ancien médecin, qui comparaît libre, était invité à donner sa version sur "l'évènement indésirable grave" (EIG) qui a déclenché toute l'enquête : celui de Sandra Simard, 36 ans, victime d'un arrêt cardiaque lors d'une banale opération du dos, le 11 janvier 2017. Cette miraculée a témoigné de son calvaire la semaine précédente. Frédéric Péchier était arrivé "une minute" après l'arrêt, prescrivant l'injection de gluconate de calcium. C'est ce geste qui l'a trahi, selon l'accusation, ce produit permettant de protéger le cœur en cas d'intoxication au potassium.

"Je ne viens pas là au petit bonheur la chance"

"Qui vous a appelé ?", interroge la présidente Delphine Thibierge, pointant une tendance de Frédéric Péchier à se rendre "indispensable" dans la clinique, tel "l'homme providentiel" décrit par certains. "Je ne sais plus, mais plusieurs témoins l'ont affirmé dans leurs auditions", répond l'intéressé. L'accusé, demandant à "prendre [ses] notes" pour répondre "un peu plus précisément", dément avoir voulu "suppléer" l'anesthésiste en charge, Anne-Sophie Balon-Dole, "lanceuse d'alerte" dans cette affaire, selon les enquêteurs. "Ecoutez-moi : si je suis appelé, c'est qu'il y a une bonne raison, je ne viens pas là au petit bonheur la chance", argue-t-il face aux questions offensives de la magistrate.

Confronté aux témoignages accablants livrés depuis quinze jours contre lui à la barre, l'ex-anesthésiste "star" de Besançon se défend pied à pied. S'il a prescrit du gluconate de calcium immédiatement, c'est, dit-il, parce que cela "fait partie de [ses] habitudes" de l'époque où il travaillait au CHU. Frédéric Péchier maintient, usant de termes médicaux désormais familiers dans cette cour d'assises, que cette administration "ne pouvait pas faire de mal", même sans connaître l'origine précise de l'arrêt cardiaque.

Quand celle-ci a été identifiée dans une poche de soluté utilisée pendant l'opération, qui contenait 100 fois la dose prévue de potassium, le médecin émet alors "l'hypothèse que cette poche a pu être polluée après" par sa consœur, pour maquiller une erreur médicale. Les débats ont depuis balayé cette théorie, il en convient.

"Aujourd'hui, j'admets parfaitement le fait que madame Simard ait été empoisonnée."

Frédéric Péchier, accusé

devant la cour d'assises

Par qui ? "Je n'ai pas empoisonné la poche de madame Simard, c'est net, c'est tout ce que j'ai à répondre", déclare-t-il à la cour.

"Personne ne m'a vu le faire"

Frédéric Péchier s'attaque au mobile du réanimateur "pompier pyromane" et du "sauveur" mis en évidence pendant l'instruction et évoqué à la barre par plusieurs témoins : "Si ce potassium a été mis à 100 fois la dose, c'est que le but n'était pas d'aller la réanimer, [mais] d'aller la tuer." D'ailleurs, il l'assure, s'il était le premier prescripteur de potassium de la clinique, ce n'était pas pour le prendre et le "cacher" mais pour le prescrire aux patients, sous contrôle des infirmières. "Vous n'aviez pas besoin de vous cacher puisque personne ne vous demandait des comptes", oppose la présidente, soulignant le "peu de contrôles" dans la clinique avant l'affaire. Delphine Thibierge en vient à l'autre possible mobile avancé par l'accusation : des conflits avec ses collègues anesthésistes, notamment pour des questions financières. L'accusé ne désarme pas.

"Etre en colère, ça ne veut pas dire empoisonner quelqu'un ! Je vois où vous voulez en venir, ça n'a aucun rapport !"

Frédéric Péchier, accusé

devant la cour d'assises

Frédéric Péchier a pourtant accusé après coup plusieurs de ses collègues, comme le lui rappelle la présidente. Après avoir suspecté Anne-Sophie Balon-Dole, il a désigné pendant l'enquête son ancien confrère et ami Sylvain Serri comme l'auteur des empoisonnements en série. Après l'audition de cet anesthésiste à la retraite, qui a fait part de son émotion "face à cette mise au pilori médiatique", l'accusé ne lui attribue plus que l'EIG de Jean-Claude Gandon, 70 ans, perçu par l'accusation comme un "alibi" fabriqué de toutes pièces.

Alors "il y aurait deux empoisonneurs ?", feint de s'interroger l'avocate générale, Thérèse Brunisso. "Non, un empoisonneur, qui aurait continué si les blocs n'avaient pas été sécurisés" après son arrestation, rétorque Frédéric Péchier. "Comme il n'a plus accès aux poches de soluté, au potassium, aux chariots, l'empoisonneur s'en prend aux endoscopes", poursuit-il, en référence à une destruction de matériel dans la clinique repérée après son départ et soulevée avec insistance par sa défense depuis le début du procès.

"On va s'arrêter là, c'est préférable pour vous", ironise la représentante du ministère public. Le ton monte. "Personne ne m'a vu le faire. On est là dans un procès d'assises, il faut des preuves !", ose l'accusé. Tancé par les avocats des parties civiles sur cette ligne de défense, il persiste : "Avec un passif de 30 empoisonnements, cela fait longtemps que je serais en détention provisoire."

Son avocat saisit la balle au bond : "Est-ce votre travail de savoir qui était l'empoisonneur de la clinique ?", demande Randall Schwerforffer. "Non, je ne suis pas enquêteur ni juge", abonde son client, le ton radouci. Dans un pas de deux, l'accusé et son conseil déroulent leur thèse face à celle de l'accusation : celle d'un coupable tout désigné. "Vous aviez fait treize années d'étude, une femme qui vous adorait, des enfants qui sont là dans cette salle, des vacances magnifiques et vous auriez empoisonné des gens juste parce qu'on était méchant avec vous, ou pour vous faire valoir ?", reformule le pénaliste. "On veut me mettre tout sur le dos", acquiesce Frédéric Péchier, faisant part de son "ressenti" depuis sa première garde à vue : "Entre trouver un empoisonneur ou fermer la clinique, leur choix était vite fait." Son interrogatoire doit se poursuivre mercredi. Les jurés ont encore plusieurs semaines devant eux pour se forger leur intime conviction.

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