Au procès de Joël Le Scouarnec, la justice face au désarroi et à la colère des victimes
/2021/12/14/61b8d1207b8f6_juliette-live.png)
/2025/02/25/maxnewsspecialtwo132452-67bd65baa939c938551520.jpg)
Après trois décennies d'impunité, l'ex-chirurgien est jugé devant la cour criminelle du Morbihan. Le procès va durer près de quatre mois. Les victimes attendent "que la justice les considère", souligne l'avocate de trente-neuf d'entre elles.
"Médecins agresseurs, violeurs : Ordre des médecins complice". Ces mots s'affichent en lettres noires et rouges sur une banderole brandie par plusieurs organisations syndicales et féministes, réunies devant le tribunal judiciaire de Vannes. Lundi 24 février en fin de matinée, une quarantaine de manifestants sont venus dire leur colère à l'égard de "la loi du silence" dans le milieu hospitalier, alors que s'ouvre le procès de l'ancien chirurgien Joël Le Scouarnec, devant la cour criminelle du Morbihan. Dans ce qui constitue sans doute la plus grande affaire de pédocriminalité jamais jugée en France, l'accusé de 74 ans doit répondre de viols et agressions sexuelles aggravés sur 299 victimes, des patientes et patients – la plupart mineurs au moment des faits –, étalés entre 1989 et 2014.
Des décennies d'impunité en partie due à l'omerta généralisée du corps médical, à commencer par le Conseil de l'Ordre des médecins du Morbihan, informé des dérives pédocriminelles du chirurgien dès 2006, sans que rien ne soit fait. La demande de constitution de partie civile de l'organisme, aussi bien pour la branche nationale que départementale, apparaît de ce point de vue comme "moralement indécente", s'est insurgé Frédéric Benoist, l'avocat de l'association La Voix de l'enfant, présent à ce rassemblement.
Dès l'ouverture des débats l'après-midi, son association et trois autres, dont Face à l'inceste, ont demandé à la cour criminelle du Morbihan de récuser cette demande. L'avocate de la branche morbihanaise de l'Ordre national, Negar Haeri, a promis que l'organisation allait apporter "des éclaircissements" sur ce qu'il s'est passé, "afin que ces manquements ne se reproduisent plus".
Il n'est pas certain pour autant que les parties civiles soient prêtes à entendre ces explications, alors que beaucoup arrivent désabusées et circonspectes, après des années de souffrance psychique. "Ce qu'elles attendent avant tout, c'est d'être entendues, et que la justice les considère : ce n'est pas le sentiment qu'elles ont actuellement", déplore Delphine Girard, qui représente 39 parties civiles aux côtés de la médiatique avocate Marie Grimaud.
Une salle d'audience "aseptisée"
Comme plusieurs de leurs consœurs et confrères, toutes deux regrettent l'impossibilité pour leurs clients de suivre le procès au sein même de la salle d'audience principale. Avec sa jauge de 90 places, elle ne peut accueillir l'ensemble des victimes et de leurs proches, qui doivent assister aux débats depuis une salle de retransmission située à cinq minutes à pied, au sein de l'ancienne faculté de droit de Vannes, entièrement réaménagée pour ce procès-fleuve.
C'est la solution qu'a trouvée le parquet de Rennes, après des années de recherche d'un lieu adapté, afin de permettre au plus grand nombre d'avoir accès aux débats. L'enveloppe budgétaire du procès, labellisé "hors norme", est estimée à 3 millions d’euros et les investissements sont visibles : les caméras, notamment, permettent de suivre avec précision chacun des échanges pour les parties civiles, le public et la presse. Mais, dans la salle principale, emplie de robes noires, il règne un sentiment étrange. "C'est beaucoup moins humain sans les victimes, très aseptisé", analyse Romane Codou, qui représente 15 parties civiles, très frustrée de ne pas pouvoir échanger directement avec elles. "Je me sens imputée d'une partie de mes fonctions : je ne peux pas expliquer à mes clients ce qu'il se passe, les soutenir, ni entendre ce qu'ils pensent", déplore-t-elle.
Les parties civiles se retrouvent donc entre elles et apprennent à se connaître pendant les pauses. La plupart arborent des tours de cou rouges, signe qu'elles ne souhaitent pas répondre aux questions des journalistes. Les quelques rares tours de cou verts sont pris d'assaut par les caméras, dans un procès qui totalise 467 journalistes et dessinateurs de presse accrédités, représentant une centaine de médias, dont 40 venus de l'étranger.
Dans une tribune très offensive publiée dans Libération à quelques jours de l'ouverture du procès, les parties civiles représentées par l'équipe de l'avocate Marie Grimaud ont dénoncé un "emballement médiatique" associé à une "spirale sensationnaliste". Elles ont également déploré les lenteurs de la justice, "à qui l'on doit de ne voir comparaître qu'aujourd’hui Joël Le Scouarnec pour répondre des centaines de crimes qu'il a commis" après "l'avoir laissé filer il y a vingt ans". Référence au coup du filet du FBI en 2004, qui a identifié Joël Le Scouarnec parmi les plus de 2 000 internautes français s'étant connectés à des sites pédopornographiques. Le chirurgien avait été condamné l'année suivante à quatre mois avec sursis, sans obligation de soins ni suivi psychologique.
Ce procès n'est "ni un commencement, ni une fin"
Dans son propos liminaire, la présidente de la cour criminelle, Aude Buresi, n'a pas écarté les reproches entourant la préparation de ce procès et, plus généralement, concernant les dysfonctionnements de la procédure judiciaire. Elle s'est adressée aux avocats des parties civiles, reconnaissant qu'il y aurait "certainement des insatisfactions", tout en les priant de faire preuve d'"un peu d'indulgence". Elle a également tenté de rassurer les victimes, promettant que "la distance physique qui sépare les salles (...) n'a nullement pour objet de [les] tenir à l'écart des débats" et rappelant qu'au moment de leurs témoignages, prévus pour durer dix semaines, chacune d'entre elles serait entendue dans la salle principale.
Particulièrement solennel, l'avocat général, Stéphane Kellenberger, a souligné que ce procès était "avant tout destiné aux victimes", relevant "la réalité brute de ce dossier" et toute sa "cruauté". Il a reconnu que les vingt années de réclusion criminelle encourues par l'accusé "pourr[aie]nt paraître peu adaptées aux yeux de celles et de ceux qui ont enduré et endurent encore". Ce procès n'est "ni un commencement, ni une fin, mais constituera, nous l'espérons, une étape utile et décisive", a-t-il conclu.
Après la lecture glaçante du résumé de l'enquête par la présidente, qui a égrené les noms des 299 victimes, la magistrate a demandé à Joël Le Scouarnec s'il souhaitait s'exprimer. "Oui", a d'emblée répondu le septuagénaire au crâne dégarni, vêtu d'une veste zippée noire. "Si je comparais devant vous, c'est qu'effectivement un jour, j'ai commis des actes odieux", a-t-il reconnu d'une voix claire, assurant compatir "à la souffrance" des victimes. "Je me suis efforcé tout au long de mes interrogatoires à reconnaître ce qui était des faits de viols et d'agressions sexuelles, mais aussi à préciser ce qui à mes yeux n'en n'était pas", a-t-il toutefois mentionné.
En entendant sa voix dans la salle de retransmission dédiée aux victimes, "les corps se sont raidis", rapporte Maud Touitou, qui a fait le choix d'être aux côtés de ses clients plutôt qu'en salle d'audience, pour cette première journée. "J'ai senti que ça leur était vraiment insupportable". Amélie Lévêque, seule victime à s'être exprimée à visage découvert avant l'ouverture du procès, ne "croit pas un mot" de ses déclarations, a-t-elle confié à France 3 Bretagne. "C'était une déclaration soigneusement préparée, des propos qui ne sont pas les siens", considère cette femme de 43 ans. Même si elle reconnaît : "C'est bien qu'il parle, enfin."
À regarder
-
Vagues, rafales : la tempête Benjamin a battu des records
-
Tempête Benjamin : sauvetage en pleine mer
-
Nouvelle-Calédonie : 50 détenus attaquent l'État en justice
-
Cancer : grains de beauté sous surveillance grâce à l'IA
-
La langue des signes est-elle en train de mourir ?
-
Un malade de Parkinson retrouve l'usage de ses jambes
-
Ils crient tous ensemble (et c'est ok)
-
Obligée de payer une pension à sa mère maltraitante
-
Maison Blanche : Donald Trump s'offre une salle de bal
-
Musée du Louvre : de nouvelles images du cambriolage
-
Traverser ou scroller, il faut choisir
-
Manuel Valls ne veut pas vivre avec des regrets
-
Nicolas Sarkozy : protégé par des policiers en prison
-
Piétons zombies : les dangers du téléphone
-
Tempête "Benjamin" : des annulations de trains en cascade
-
Femme séquestrée : enfermée 5 ans dans un garage
-
Vaccin anti-Covid et cancer, le retour des antivax
-
A 14 ans, il a créé son propre pays
-
Ils piratent Pronote et finissent en prison
-
Aéroports régionaux : argent public pour jets privés
-
Bali : des inondations liées au surtourisme
-
Cambriolage au Louvre : une nacelle au cœur de l'enquête
-
Alpinisme : exploit français dans l'Himalaya
-
Un objet percute un Boeing 737 et blesse un pilote
-
Cambriolage au Louvre : où en est l'enquête ?
-
Jean-Yves Le Drian défend l'image de la France
-
Chine : 16 000 drones dans le ciel, un nouveau record du monde
-
Donald Trump lance de (très) grands travaux à la Maison Blanche
-
Glissement de terrain : des appartements envahis par la boue
-
Emmanuel Macron sème la confusion sur la réforme des retraites
Commentaires
Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.
Déjà un compte ? Se connecter