: Reportage "La forêt est mutilée mais vivante" : à La Teste-de-Buch, les pins renaissent lentement de leurs cendres, trois ans après les incendies
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Le choc du feu et l'hécatombe des scolytes ont mis à mal la biodiversité des Landes de Gascogne. L'homme doit-il désormais intervenir ou laisser faire la nature à son rythme ?
Un pick-up bleu électrique freine d'un coup sec dans les chemins de sable. "Là, il y en a un !" lance Matthieu Cabaussel en pointant du doigt des épines vertes qui sortent d'un tapis de fougères. Un jeune pin maritime a réussi un petit miracle : se frayer un chemin à travers la végétation concurrente qui envahit ce coin de la forêt de La Teste-de-Buch en Gironde. "C'est gagné pour lui", sourit le vice-président du syndic des propriétaires de la forêt usagère. Il caresse le jeune arbre d'un bon mètre. "C'est porteur d'espoir, souffle le quadragénaire. C'est ça qui effacera le traumatisme."
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Ce traumatisme, tout le monde le ressent encore dans la forêt des Landes de Gascogne. Le 12 juillet 2022, un départ de feu a lieu sur la commune de La Teste-de-Buch, dans le bassin d'Arcachon. Un autre est détecté quelques dizaines de kilomètres plus à l'est, à Landiras. Dans les heures et les jours qui suivent, plus de 30 000 hectares brûlent, l'équivalent de trois fois la superficie de Paris. Jusqu'à 3 000 pompiers sont mobilisés. "L'un des plus grands feux de notre histoire", selon Emmanuel Macron, après ceux de 1949 qui avaient déjà ravagé le même massif forestier.
"Notre mission a changé"
Depuis trois ans, les habitants, les propriétaires, les forestiers et les collectivités sont à pied d'œuvre pour tenter de faire renaître cette biodiversité locale, patrimoine inestimable et filon économique indispensable pour la région. Mais derrière les arbres incendiés se cachent en réalité plusieurs forêts, à l'histoire et à la gestion très variées.
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Pour schématiser, la plus grande zone boisée de La Teste-de-Buch est occupée par la forêt usagère, une pineraie-chênaie naturelle, vieille de plusieurs milliers d'années et régie selon des règles ancestrales entre les propriétaires et les habitants. Vers l'océan, une forêt domaniale, plantée au 19e siècle pour maintenir les dunes, est gérée par l'Office national des forêts (ONF). Enfin, des parcelles privées, dédiées à la sylviculture, complètent ce puzzle vert.
Les flammes, elles, n'ont pas fait de différence. "L'incendie est passé de la partie privée à la partie publique sans se soucier des limites", explique Fabrice Carré, technicien forestier à l'ONF, ses plans sous le bras. Alors, face à la catastrophe, tous les acteurs ont dû se mettre au travail au service de la forêt, en tentant de mettre de côté les vieilles querelles de voisinage, pas tout à fait enterrées. "Depuis ce jour, notre mission et notre quotidien ont changé", assure le forestier.
"Ça a été la double peine"
Dès la fin de l'été 2022, lorsque l'incendie a enfin été déclaré éteint, mais que la cendre chaude se mêlait encore au sable, les différents gestionnaires de ces forêts ont lancé le premier grand chantier : l'abattage des arbres morts. "On leur a laissé le bénéfice du doute", explique Fabrice Carré, en pointant des pins aux troncs noirs, toujours debout. Certains étaient encore vivants sous leur écorce calcinée et d'autres ont servi de "réservoir" à graines pour la prochaine génération, grâce aux pommes de pin qu'ils contenaient.
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Le chantier est titanesque. En quelques mois, 75 000 m3 de bois sont coupés dans la forêt domaniale, "soit l'équivalent de dix ans de récolte habituelle", illustre Fabrice Carré. C'est encore bien davantage sur les parcelles privées. De quoi rapporter plusieurs millions d'euros aux différents acteurs grâce aux ventes organisées auprès d'entreprises forestières. Mais les mauvaises nouvelles ne vont pas tarder à arriver.
Un an après les incendies, une deuxième catastrophe s'abat sur la forêt, sous la forme d'insectes de quelques millimètres : les scolytes. "Ça a été la double peine", souffle Matthieu Cabaussel. Ce coléoptère profite de la fragilité des arbres pour s'y installer. "Ses larves se logent là où passe la sève et l'arbre meurt à petit feu", schématise Fabrice Carré. Malgré une surveillance accrue face à cette menace, l'hécatombe redouble d'intensité. "On a dû couper quasiment tous les pins qui avaient résisté à l'incendie", assure Matthieu Cabaussel.
"Il va falloir replanter, mais pas n'importe quoi !"
Pendant que les bûcherons s'activent en forêt, le compte à rebours continue de tourner. "Si on voulait que la régénération naturelle se fasse, il fallait partir le plus vite possible", explique Matthieu Cabaussel. Et pour cause : "Les pommes de pin ont explosé pendant l'incendie et dispersé des graines partout", explique Jean-Marc Destabeaux, secrétaire de l'Association de défense des droits d'usage et de la forêt usagère (Addufu). Mais pour que ces dernières puissent pousser, il faut que les lourds engins de travaux quittent ce fragile territoire.
"Nous devons accompagner la forêt, mais pas la reconstruire comme Notre-Dame de Paris."
Jean-Marc Destabeaux, secrétaire de l'Association de défense des droits d'usage et de la forêt usagèreà franceinfo
Une fois les coupes sanitaires terminées, au printemps 2024, la nature a enfin pu reprendre ses droits. "On a des saules roux, des trembles, des arbustes..." liste Fabrice Carré. Et les pins, alors ? Dans la forêt domaniale, les agents de l'Etat se lancent dans une grande enquête de terrain. "Nous avons effectué 8 000 points de contrôles de la régénération naturelle", explique le technicien de l'ONF, en pointant des petits cercles sur son plan. Pour chacun d'entre eux, les agents ont comptabilisé le nombre de pins sortis du sable depuis l'incendie.
Trois ans après, les résultats sont très inégaux. Près de l'océan, les jeunes pousses sont nombreuses, se serrant parfois à plus de cinq au mètre carré et laissant augurer un retour sans difficulté d'une forêt indispensable au maintien les dunes. Mais en s'enfonçant dans les terres, la situation se révèle parfois plus compliquée. "Dans les zones en rouge, il va falloir replanter, mais pas n'importe quoi !" explique Fabrice Carré. Différentes espèces de chênes se mêleront également aux pins, comme c'était déjà le cas avant les incendies.
"On va attaquer le reboisement à l'automne 2025 dans les zones où il n'y a rien et où l'on n'a pas d'espoir d'avoir de graines."
Fabrice Carré, technicien forestier à l'ONFà franceinfo
Du côté de la forêt usagère, les enjeux diffèrent. "Il est urgent d'attendre", martèle Jacques Léglise, le président de l'Addufu. Malgré les fougères qui empêchent une partie des pins de pousser, l'association milite pour préserver au maximum cette pineraie-chênaie millénaire de l'intervention humaine. "C'est le défaut de notre société, on veut tout, tout de suite", tance-t-il.
"Il faut accepter que l'on ne reverra pas la forêt comme on l'avait connue."
Jacques Léglise, président de l'Association de défense des droits d'usage et de la forêt usagèreà franceinfo
Au milieu des jeunes pousses, Fabrice Carré invite aussi à l'humilité. "Les plus grands pins qui ont poussé depuis 2022 mesurent à peine plus d'un mètre de haut", estime-t-il. Des arbres minuscules à côté des rares pins adultes à avoir survécu, avec leurs épines culminant à plus de 25 mètres de haut. Des parasols naturels qui auraient été bienvenus lors des vagues de chaleur de cet été.
En fermant les yeux et en tendant l'oreille, le chant des cigales redonne tout de même de l'espoir. "Le plus perturbant après l'incendie, c'était le silence", se remémore Matthieu Cabaussel. Ce n'est plus le cas depuis plusieurs mois. "Regardez, une huppe !" s'exclame-t-il, toujours au volant de son pick-up. "Je ne me sens pas encore chez moi, le traumatisme est toujours à vif, la forêt est mutilée, mais elle est vivante", assure le forestier.
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