Procès en appel du crash du vol Rio-Paris : "Je ne crois pas qu'il y ait quelque chose qui change par rapport au premier procès", affirme Michel Polacco, spécialiste des questions d'aéronautique et de défense

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Lundi 29 septembre, Michel Polacco, spécialiste des questions d'aéronautique et de défense, est l'invité de la Matinale de franceinfo. Accompagné en plateau par David Lefort, journaliste sciences franceinfo TV, il revient sur le drame du vol Rio/Paris de 2009, alors que s'ouvre 16 ans après le procès en appel d'Airbus et d'Air France.

Ce texte correspond à la retranscription d'une partie de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.


Zohra Ben Miloud : En première instance, le tribunal correctionnel de Paris avait considéré que si des imprudences et des négligences avaient été commises, il n'y avait aucun lien de causalité entre cela et l'accident qui avait pu être démontré. Qu'est-ce qui pourrait changer avec ce nouveau procès ?

Michel Polacco : Je ne crois pas qu'il y ait quelque chose qui change parce que l'enquête a été très clairement effectuée et elle a établi les causes. D'abord, on sait que cet accident n'aurait jamais dû se produire parce que l'incident, c'est-à-dire le givrage des sondes de pitot qui s'est produit, n'a en soi rien de catastrophique. C'est la réaction de l'équipage qui a provoqué la catastrophe. Deuxièmement, si on cherche des facteurs antérieurs, on trouve effectivement quelques responsabilités qui ne sont ni chez Air France ni chez Airbus. Bon, mais l'équipage a mal réagi. Pourquoi ? Parce que la banalisation de la sécurité dans le transport aérien fait qu'on a insisté de moins en moins, depuis des années dans la formation des équipages, sur ce qu'on appelle les événements de base de la formation. Par exemple, être capable de gérer un décrochage, qui est une chose que tout élève pilote apprend. Moi, je suis instructeur de pilotage, j'en fais très régulièrement, ça n'a en soi rien de catastrophique. Et ce jour-là, cet avion, qui a perdu une information de vitesse, n'avait en soi rien d'autre qui l'empêchait de continuer à voler.

Pour nos téléspectateurs qui nous regardent, qui peut-être n'ont pas tous les détails, ce sont donc le givrage de ces sondes de vitesse qui perturbe le voyage de ces pilotes. Est-ce que vous pouvez nous expliquer dans les secondes qui suivent ce qui bascule, ce qui fait que ce crash intervient ?

Les pilotes perdent l'information de vitesse pendant quelques secondes : 29 secondes à gauche, 41 secondes à droite et moins d'une minute sur le système de secours. Lorsqu'on perd l'indication de vitesse, sur cet avion-là (maintenant ce n'est plus le cas), le pilote automatique se déconnecte, parce qu'il lui manque une information essentielle pour pouvoir fonctionner. Mais quand il se déconnecte, ça ne change absolument rien à la trajectoire de l'avion. L'avion va continuer à voler normalement, peut-être petit à petit il va s'incliner un peu, descendre, monter très peu. Il se trouve que là, l'équipage surréagit avec une alarme qui l'inquiète, qui est une alarme sur la différence qui existe entre les sources d'informations de vitesse, et le copilote se met à cabrer son avion. On est à 35 000 pieds, à presque 11 000 mètres. L'avion a un plafond, c'est-à-dire qu'en fonction de ses ailes, sa portance, sa puissance, il est capable de voler jusqu'à 37, 38, 40 000 pieds, mais il ne peut pas voler au-dessus, il est très chargé en carburant. Donc l'avion, si on continue à vouloir le faire monter, il ne peut pas continuer. À un moment donné, il va décrocher, c'est-à-dire qu'il va tomber. Sauf que quand ça arrive, il a le nez qui pique en avant, il reprend de la vitesse et ça s'arrête. Sauf que là, ils ont cabré, cabré, cabré, cabré sans cesser.

David Lefort : En fait, ils ont persisté sur une erreur, c'est ce que vous êtes en train de dire. Est-ce que sur la portance de l'avion, est-ce que sur son inclinaison, il y aurait eu moyen éventuellement d'avoir un autre jugement, un autre positionnement pour réagir ?

Ce qui aurait sauvé cet avion, ça aurait été que l'équipage dorme ou que l'équipage soit à l'arrière de l'avion. Si l'équipage n'avait pas été dans le cockpit, il n'y aurait jamais eu de catastrophe. Ils seraient revenus une minute et demie après, ils auraient vu que le pilote automatique était déconnecté et puis ils auraient repris les commandes.

Alix Bouilhaguet : Pourquoi ont-ils continué de cabrer ?

Parce qu'ils ont des alarmes qui leur disent que l'information de vitesse qu'ils ont n'est pas bonne. Ils sont persuadés qu'ils vont passer en survitesse, que l'avion va aller trop vite. Ce n'est pas très grave parce que ces avions-là ne vont pas passer à vitesse supersonique. Ça va provoquer d'autres alarmes, mais ce n'est pas très grave. Mais ça les inquiète. Ils cabrent donc l'avion pour diminuer la vitesse. Ce qui est évidemment la mauvaise réaction.

Justement, depuis, les sondes qui ont faussé le comportement de ces pilotes ont été changées sur tous les A330 et A340. Est-ce que depuis cette affaire, au-delà de ces sondes qui ont été changées, il y a d'autres choses qui ont changé chez Air France ? Peut-être dans la formation des pilotes, la réaction qu'ils doivent avoir face aux imprévus que vous évoquiez ?

On givre toujours les sondes, parce que ça arrive toujours, et sur tous les modèles d'avions. Donc ce n'est pas ça qu'on a pu changer. On peut améliorer un peu les systèmes de givrage des sondes, etc. Mais il y a toujours eu des givrages et il y en aura toujours.

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