Récit "Retrouvons XDDL" : l'étonnante traque en ligne de Xavier Dupont de Ligonnès par l'influenceur Aqababe et ses "chipies"

Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le canal créé sur Instagram par l'influenceur Aqababe, et dédié à la traque de Xavier Dupont de Ligonnès, le 28 avril 2025. (INSTAGRAM / AQUABABE)
Le canal créé sur Instagram par l'influenceur Aqababe, et dédié à la traque de Xavier Dupont de Ligonnès, le 28 avril 2025. (INSTAGRAM / AQUABABE)

Le jeune homme, connu pour ses méthodes peu éthiques, a demandé à ses centaines de milliers d'abonnés de lui envoyer toutes les informations possibles pour retrouver la trace du fugitif.

Un nom devenu célèbre et une question qui continue de fasciner les Français : mais où est passé Xavier Dupont de Ligonnès ? L'homme, aussi connu sous ses initiales "XDDL", demeure introuvable, quatorze ans après l'ouverture de l'enquête sur l'assassinat à Nantes de sa femme et ses quatre enfants, des crimes dont il est le principal suspect. Son histoire a inspiré scénaristes et écrivains, mais aussi l'influenceur Aqababe qui, fort de plus d'un million d'abonnés sur Instagram, s'est donné pour mission de retrouver la trace du Nantais.

Aniss Zitouni (vrai nom d'Aqababe) publie ainsi un message laconique sur ses réseaux sociaux, vendredi 18 avril : "Retrouvons Xavier Dupont de Ligonnès". Une idée née d'une simple blague de son avocat, Tom Michel, comme l'explique l'intéressé à franceinfo : "J'expliquais son activité, qui consiste à retrouver des gens en s'appuyant sur sa communauté, et j'ai sorti qu'il pourrait même retrouver XDDL. Ça l'a fait rire et il s'est dit : 'Pourquoi pas essayer ?'." 

"Une photo d'une personne qui pourrait être lui"

Aqababe demande alors à ses "chipies" – le surnom qu'il donne à ses abonnés – de lui envoyer toute information qui permettrait de retrouver la trace du fugitif. En parallèle, l'influenceur crée sur le réseau social un canal dédié au partage des pistes. Le groupe est sobrement nommé "Retrouvons XDDL", avec en fond d'écran l'une des rares photos connues du suspect. Le succès est fulgurant. Fin avril, le groupe réunissait presque 400 000 abonnés. 

Les "chipies" se mettent en ordre de marche. "Au total, on a reçu 30 000 emails sur l'adresse créée pour l'occasion, détaille Tom Michel. Il y avait des choses complètement extravagantes, des théories du complot..."

"On peut dire que c'est surréaliste, mais il y a eu un travail de restriction des informations reçues, notamment un tri juridique sur ce qui pouvait être partagé ou non."

Tom Michel, avocat de l'influenceur Aqababe

à franceinfo

Aqababe tire alors un premier fil : "Une de mes sources m'a transmis une photo d'une personne qui pourrait être lui. SPOTTED ["Repéré"] il y a trois ans dans un parc caché à Aubagne", dans les Bouches-du-Rhône, écrit-il, cliché à l'appui d'un homme au téléphone tourné de trois quarts sur un banc. 

ChatGPT comme juge de paix

Puis les regards se tournent ailleurs en Europe. Aqababe relaie la photocopie d'une carte d'identité maltaise transmise par une source anonyme, qui raconte l'avoir obtenue lors d'un stage dans une agence immobilière sur l'île de Gozo. Une autre "chipie" demande à ChatGPT de comparer la photo du document et celle de Xavier Dupont de Ligonnès. Résultat : il y a "environ 70 à 80% de chances que ce soit la même personne à des époques différentes", assure l'IA. L'influenceur partage pêle-mêle une adresse où l'homme aurait été aperçu, le nom d'une université où il aurait étudié, et la piste d'un monastère, un lieu "souvent isolé et discret [qui] échappe très facilement à toute surveillance", souligne un internaute.

Toujours à partir du document d'identité, Aqababe publie la photo d'un homme récupérée sur un site de rencontre. Interrogé par l'influenceur, ChatGPT estime que "oui les photos se ressemblent, il s'agit de la même personne", même si l'IA ne reconnaît qu'une "ressemblance notable" avec Xavier Dupont de Ligonnès. 

De Versailles à Aix-en-Provence

Les témoignages d'anonymes se multiplient. Certains pensent avoir croisé le Nantais en 2011 à Versailles, d'autres ans le sud de la France, entre 2013 et 2015, tantôt dans un hôtel à Marseille, un magasin de téléphone à Peymeinade, ou encore sur un parking d'Aix-en-Provence. "Je pense à la théorie qu'il a traîné à fond en France avant de quitter sauvagement et clandestinement le pays pour se rendre dans une zone à proximité", estime Aqababe. Au même moment, il affirme "se brancher avec la PJ [police judiciaire] de Nantes". Interrogé sur de potentiels échanges avec l'influenceur ces derniers jours, le parquet n'a pas répondu à franceinfo. Tom Michel reconnaît pour sa part qu'il n'y a eu "aucun contact direct et officiel"

L'influenceur décide ensuite de se plonger dans les tréfonds d'internet en quête d'informations sur le passé de la famille, notamment sur les blogs fréquentés par le suspect et sa femme Agnès. "Ces éléments avaient déjà été trouvés par des internautes au tout début de l'enquête", en 2011, rappelle Anne-Sophie Martin, journaliste qui a écrit le livre-enquête Le Disparu. "Eux, pour le coup, étaient allés plus vite que la police." Les "chipies" épluchent également les articles de presse – dont la très populaire enquête du magazine Society – ou encore la page Wikipédia du fugitif.

Aqababe et ses fans décident alors de suivre la piste de Laurent N., un pilote d'avion qui aurait dîné avec le meilleur ami de Xavier Dupont de Ligonnès deux jours avant la disparition du suspect, comme l'avait écrit Society. "On a mis la main sur des documents confidentiels. Le pilote vivrait actuellement sur Malte avec sa femme et son fils", assure un internaute. A un sondage publié sur le canal, plus de 4 000 personnes jugent que la théorie maltaise se confirme et incitent Aqababe à "[sauter] dans l'avion"

Le procureur "devrait être content" 

"La démarche agace le procureur de Nantes, affirme RTL. Ce dernier estime que ce type d'initiative est chronophage pour les enquêteurs et génère beaucoup de fausses pistes et peu de résultats." Sur son canal, Aqababe balaie cette remarque d'un revers de main : "J'avoue, il est pas content, en interne, on me l'a dit déjà hier, mais on avance, il devrait être content." L'avocat de l'influenceur assure à franceinfo "ne pas être en contradiction avec le procureur", jugeant que le magistrat "est dans son rôle". "Pour autant, le travail des enquêteurs n'a pas permis d'aboutir en quatorze ans et d'autres magistrats ont dit que c'était un moyen de relancer l'affaire", ajoute-t-il.

L'ancien procureur Jacques Dallest a ainsi estimé auprès du Parisien que la démarche pouvait "être utile si ce n'est pas malveillant", tout en concédant "des risques d'abus". Car les méthodes utilisées dans le cadre de "l'enquête" collaborative interrogent, notamment sur le risque de jeter en pâture un inconnu qui n'a rien à voir avec le fugitif. "Nous avons essayé de cadrer les choses juridiquement et le but n'était pas de nuire à ceux qui ressemblent à XDDL, mais Aqababe a pu être un peu dépassé au départ, reconnaît son avocat. Il a publié une photo avec trop d'informations, ce qui permettait d'identifier la personne, mais il l'a rapidement supprimée"

Aqababe est connu dans le monde de l'influence pour ses actions peu éthiques, comme il le reconnaissait lui-même au micro du youtubeur Sam Zirah en 2023, rappelant avoir diffusé des photos dénudées de stars de la téléréalité sans leur consentement. Certaines de ses révélations lui ont d'ailleurs valu plusieurs plaintes et deux condamnations, l'une pour diffamation, l'autre pour menaces de mort. 

"Aucun élément factuel et vérifiable" 

Après avoir mis en avant la piste maltaise pendant plus d'une semaine, le dénouement est finalement tout autre. "IL EST EN ASIE VIVANT", écrit Aqababe samedi soir, joignant à son message une photo d'un homme debout devant une pancarte aux inscriptions japonaises, avant de supprimer les posts et le cliché. "Ces nouvelles pistes pourraient permettre de clôturer ce dossier", a affirmé lundi dans un communiqué son avocat, précisant remettre "à la justice le fruit de cette opération. C'est à elle de parachever ces pistes nouvelles et d'engager, le cas échéant, les suites appropriées".

Le procureur de Nantes a néanmoins mis fin à la discussion, un peu plus tard, déclarant qu'"aucun élément factuel et vérifiable n'[avait] été porté à la connaissance de la juridiction nantaise". "Aqababe va fournir les éléments qu'il a trouvés à la justice et c'est elle qui choisira, ou non, de les prendre en compte dans son investigation", a précisé son avocat à franceinfo, ajoutant que la traque numérique s'arrêtait là. 

Que valent au final ces informations ? Interrogé par Le Parisien, l'ancien capitaine de police Romain Puértolas et auteur du roman Comment j'ai retrouvé Xavier Dupont de Ligonnès estime qu'il n'y a rien de nouveau. "Ce sont des personnes qui n'ont pas de méthodologie (...) Les photos envoyées dans ce canal ne ressemblent pas du tout [au suspect], les gens ne sont pas physionomistes. On ne s'improvise pas enquêteur", avance-t-il. Pour Anne-Sophie Martin, néanmoins, la "possibilité de retrouver Xavier Dupont de Ligonnès passera forcément par un signalement" quelque part dans le monde, puisque l'enquête de la police et de la justice, elle, "a jusqu'ici échoué".

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.