Rester sur X ou faire une croix sur ses abonnés ? Les comptes les plus suivis face à un dilemme sur un réseau social devenu problématique

Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Les départs du réseau social X se multiplient, lundi 20 janvier, alors que Donald Trump fait son retour à la Maison Blanche. (HELOÏSE KROB / FRANCEINFO)
Les départs du réseau social X se multiplient, lundi 20 janvier, alors que Donald Trump fait son retour à la Maison Blanche. (HELOÏSE KROB / FRANCEINFO)

Alors qu'Elon Musk a mis sa plateforme au service de l'agenda ultraconservateur de Donald Trump, un mouvement de départ a été initié à l'occasion de l'investiture du président américain. Mais quitter la plateforme n'est pas une évidence, tant elle est incontournable pour les personnalités politiques, les médias ou les institutions.

Une "arme de destruction massive de nos démocraties". En quittant X dès la fin de l'année 2023, la maire de Paris, la socialiste Anne Hidalgo, n'a pas mâché ses mots à l'encontre du réseau social. Depuis quelques semaines, plusieurs autres personnalités politiques de gauche, comme les écologistes Sandrine Rousseau et Yannick Jadot ou le communiste André Chassaigne, lui ont emboîté le pas. A cette vague de départs se sont joints de nombreuses collectivités, institutions, médias, ainsi que 86 associations, dont Emmaüs France et la Ligue des droits de l'homme, qui ont dénoncé dans une tribune publiée par Le Monde le "grave danger" que représente désormais la plateforme pour la "liberté d'expression".

"En quittant X, nous avons bien conscience de nous priver d’un canal de communication pour valoriser nos actions, nos combats."

Les 86 associations signataires

dans une tribune

Cet exode, accéléré par les ingérences d'Elon Musk, le propriétaire du réseau social, dans la vie politique européenne, où il a notamment affiché son soutien à l'extrême droite au Royaume-Uni et en Allemagne, s'est intensifié à l'occasion de l'investiture de Donald Trump, pourvoyeur notoire de désinformation, lundi 20 janvier. Le milliardaire, soutien affiché du nouveau président américain, partage le même agenda ultraconservateur. Depuis son rachat de Twitter, Elon Musk a supprimé la modération et changé son algorithme, afin de propulser ses idées. Autrefois agora où se retrouvaient personnalités politiques, médias, et société civile, le réseau s'est transformé en une caisse de résonance des fake news et des contenus haineux.

Alors, faut-il quitter X ou y rester ? Migrer vers un réseau social moins polarisé ou maintenir sa présence dans un écosystème devenu hostile ? Beaucoup d'utilisateurs forts de dizaines voire de centaines de milliers d'abonnés se sont posé ou se posent encore ces questions. A commencer par les politiques, les médias et les associations. Certains ont partagé leurs réflexions avec franceinfo. De leur côté, les directions numériques, radio et télévision de franceinfo ont décidé de restreindre leur usage de X, mais de continuer de diffuser leurs informations sur le réseau social, afin de lutter contre la désinformation.

"Il n'y a pas eu de doute"

Certains n'ont pas eu de mal à trancher la question du départ. L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a ainsi décidé de migrer ses 39 comptes vers l'alternative BlueSky, début décembre, son compte principal perdant au passage près de 82 000 abonnés. Sur X, la mention "compte officiel inactif" figure dorénavant sur les profils. "La décision a été prise avec la direction générale. Il n'y a pas eu de doute ni de contestation", explique Isabelle Jourdan, directrice de la communication de l'AP-HP. 

"Ce qui a joué, c'est le déferlement de fake news. On n'était pas attaqués nous-mêmes, mais on voyait autour de nous la remise en cause de la science, de la médecine."

Isabelle Jourdan, directrice de la communication de l'AP-HP

à franceinfo

A cela s'ajoutent des "conditions de régulation et de modération" incompatibles avec le "respect d'un débat apaisé", explique l'institution dans un communiqué. En effet, après son arrivée à la tête de Twitter en 2022, Elon Musk a purgé l'équipe de modération, au point que celle-ci ne représentait qu'une vingtaine de personnes en janvier 2023. Ces changements, couplés à la marchandisation de la certification des comptes, ont fait de X "le réseau de la fachosphère, des trolls et des complotistes", selon le mathématicien David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS. Sur X, l'espace est aujourd'hui dominé par des contenus toxiques et controversés, favorisés par son algorithme.

"Est-ce qu'on ne cautionne pas X en y restant ? Est-ce que passer par X est la seule façon de s'exprimer ? Non. On a le choix, et on exerce notre liberté de choisir.

Isabelle Jourdan, directrice de la communication de l'AP-HP

à franceinfo

En plus de favoriser la désinformation, X a tendance à invisibiliser les contenus provenant de médias, comme le souligne Numerama : depuis 2023, les titres des articles n'apparaissent plus lorsque ceux-ci sont partagés. De l'autre côté de la Manche, le quotidien britannique The Guardian a été l'un des pionniers de cet exode, estimant mi-novembre que "les avantages d’être sur X sont désormais dépassés par les inconvénients". Dans son sillon, une dizaine de médias français ont suivi le mouvement : Ouest-France, Sud Ouest, Mediapart, The Conversation, Reporterre, Le Courrier Picard, La Voix Du Nord... "Les nouvelles positions d'Elon Musk, son ingérence dans la politique européenne et en faveur des extrêmes ont fini de nous convaincre", a expliqué Stéphanie Zorn, rédactrice en chef du quotidien nordiste, sur le site du journal. Le compte X de La Voix du Nord, fort de 414 000 abonnés, n'est plus alimenté depuis le 17 janvier. "Retrouvez-nous sur Facebook, Bluesky, Instagram et TikTok", y est-il précisé.

Reporterre, média en ligne spécialisé dans l'écologie, a également officialisé son départ le 17 janvier et s'en explique sur son site. Depuis, c'est silence radio sur le compte à plus de 141 000 abonnés. Dans un premier temps, le média avait toutefois décidé de rester. "On se disait que les autres réseaux sociaux n'étaient pas franchement meilleurs que X. Je ne me fais aucune illusion sur Meta et Google", explique le directeur de la rédaction de Reporterre, Hervé Kempf. Début janvier, le patron de Meta, Mark Zuckerberg, a opéré un virage conservateur, modifiant les règles de modération et abandonnant son service de "fact-checking". "Nous allons nous débarrasser des fact-checkeurs", avait notamment annoncé le patron de Facebook, Instagram et WhatsApp.

"Il y a une bataille claire entre l'univers médiatique traditionnel et ces réseaux sociaux qui appartiennent à des milliardaires ou obéissent à des gouvernements."

Hervé Kempf, directeur de la publication de Reporterre

à franceinfo

Autre média indépendant, StreetPress, spécialisé dans l'extrême droite et les cultures urbaines, lui, a décidé de rester sur X, auprès de ses quelque 95 000 abonnés. "On s'est mis en retrait par rapport à ce débat pour prendre de la hauteur", explique Johan Weisz-Myara, fondateur et directeur de la publication du site.

"On n'a pas forcément le luxe de dire qu'on peut se passer d'une présence sur un réseau social ou sur une plateforme."

Johan Weisz-Myara

fondateur et directeur de StreetPress

"On ne voulait pas prendre de décision qui nous donnerait bonne conscience, sans prendre le temps de construire une stratégie pour emmener notre communauté", ajoute-t-il. Le fondateur de StreetPress dit réfléchir à d'autres moyens pour toucher plus directement ses lecteurs, sans être tributaire des changements d'algorithme imposés par les réseaux sociaux.

Une "drogue dure" difficile à remplacer

Forte de 107 000 abonnés sur X, La Quadrature du Net, association de défense des libertés fondamentales dans l'environnement numérique, se trouve, elle aussi, encore en pleine réflexion sur la manière de partir du réseau. "On hésite à continuer de poster en arrêtant de répondre aux commentaires. On veut cesser de donner du temps à Elon Musk et ses sbires. C'est un homme dangereux pour la démocratie", estime son cofondateur Benjamin Sonntag

"Il y a cinquante nuances de façons de quitter X."

Benjamin Sonntag, cofondateur de La Quadrature du Net

à franceinfo

Pourquoi est-il si difficile de quitter X ? "Les personnalités politiques en ont fait leur outil de communication privilégiée. Beaucoup de personnalités de la société civile aussi. C'est devenu, par conséquent, un espace de fabrique de l'information à nul autre pareil", analyse Alexis Lévrier, maître de conférences à l'université de Reims, auprès de France 3 Grand Est. Ce "point de rencontre entre le monde politique, le monde des médias et [celui] de la société civile", a créé une "forme d'addiction", résume l'historien.

Alexis Lévrier constate que les médias ont du mal à s'en passer : "C'est un lieu où circule l'essentiel de leurs articles et c'est aussi un moyen d'information, un lieu de visibilité de leurs contenus." Une "drogue dure", c'est en ces termes que Benjamin Sonntag décrit le rapport de dépendance qui peut exister entre une organisation et sa communauté d'abonnés constituée au fil d'années de présence sur X. Reste que le réseau social est aujourd'hui victime du phénomène de "merdification", juge l'ingénieur. A savoir une dégradation progressive de la qualité des plateformes numériques, à cause de leur modèle économique basé sur une "rentabilité sans limites".

"Utile d'y rester pour mener le combat"

Pour ne pas renoncer à sa communauté, David Chavalarias a développé l'application HelloQuitteX avec une trentaine de bénévoles. L'objectif est de faciliter la migration depuis X vers d'autres réseaux sociaux comme BlueSky et Mastodon. Basé sur le principe de la portabilité en téléphonie, HelloQuitteX permet aux usagers quittant X de se reconnecter avec les comptes auxquels ils étaient abonnés sur X également présents sur la nouvelle plateforme qu'ils adoptent. "On a 17 000 comptes qui sont prêts à migrer et 22 millions de connexions qui ont été importées", s'enthousiasme David Chavalarias. "C'est-à-dire qu'on est capable de connecter des centaines de milliers d'utilisateurs entre eux." L'initiative, cofondée par Benjamin Sonntag, a reçu le soutien de nombreux responsables politiques de gauche.

Quid de ceux qui restent sur X ? Marine Tondelier, secrétaire nationale des Ecologistes, a expliqué que le réseau social restait "indispensable à la fonction politique" qui est la sienne aujourd'hui. "Ni les insultes, ni les pressions, ni les menaces de l'extrême droite ne m'ont fait reculer dans ma ville [Hénin-Beaumont] et il en ira de même sur X", a-t-elle plaidé, ajoutant néanmoins qu'elle s'investirait davantage sur d'autres réseaux. Antoine Léaumant, député de La France insoumise, juge de son côté "utile d'y rester pour mener le combat contre l'extrême droite"

"On arrive peut-être à la fin d'une première génération de réseaux sociaux. Ceux-ci ont été transformés en armes politiques, ce qui crée des environnements hostiles et insécurisants", constate Philippe Moreau Chevrolet, président de l'agence MCBG Conseil et professeur de communication politique à Sciences Po Paris. "Avant on allait sur internet pour se consoler du monde, maintenant on va dans le monde pour se consoler d'internet." 

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