Démarchage téléphonique : pourquoi n'arrive-t-on pas à se débarrasser de ces appels intempestifs ?

Article rédigé par Luc Chagnon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une proposition de loi examinée au Parlement veut interdire, à l'horizon de l'été 2026, le démarchage téléphonique auprès des consommateurs qui n'ont pas donné leur consentement express. (ZOULERAH NORDDINE / LA VOIX DU NORD / MAXPPP)
Une proposition de loi examinée au Parlement veut interdire, à l'horizon de l'été 2026, le démarchage téléphonique auprès des consommateurs qui n'ont pas donné leur consentement express. (ZOULERAH NORDDINE / LA VOIX DU NORD / MAXPPP)

Contre le démarchage commercial par téléphone, les lois semblent se succéder sans réussir à endiguer le phénomène. Un nouveau texte adopté le 21 mai pourrait-il changer la donne ?

C'est un refrain qui semble revenir tous les deux ans : le démarchage téléphonique abusif, c'est bientôt fini. Une loi en 2014, puis en 2016, en 2020… Toutes affichent le même but : lutter contre les appels intempestifs comme ceux qui prétendent vous aider à "faire des économies d'énergie", "changer d'opérateur" ou "utiliser votre compte personnel de formation", et qui irritent des millions de Français au quotidien.

Cette fois, c'est une proposition de loi "renforçant la lutte contre les fraudes aux aides publiques" qui doit s'emparer du problème. Le texte, déposé par le député macroniste et ancien ministre Thomas Cazenave en octobre 2024, reprend, via un amendement de la députée écologiste Delphine Batho, une autre proposition formulée par le sénateur Pierre-Jean Verzelen en septembre. L'amendement veut tout simplement interdire aux entreprises de démarcher par téléphone "directement ou par l'intermédiaire d'un tiers agissant pour son compte" une personne "qui n'a pas exprimé préalablement son consentement" de manière "libre, spécifique, éclairée, univoque et révocable".

Mais certains spécialistes affirment déjà que ces nouvelles mesures ne vont "absolument pas" diminuer le démarchage téléphonique. Les précédentes lois n'ont-elles vraiment pas eu l'effet escompté ? Et pourquoi le combat paraît-il si difficile à remporter ?

Si le démarchage téléphonique persiste, c'est en partie car il est tout simplement autorisé par principe. "Le Code des postes et des communications électroniques dit clairement que la prospection par mail et SMS est soumise au consentement préalable du consommateur, mais ce n'est pas le cas de la prospection par téléphone", rappelle Laure Landes-Gronowski, avocate associée spécialiste de la protection des données personnelles au sein du cabinet AGIL'IT.

"Jusqu'ici, la politique a été de ne pas complètement empêcher la pratique du démarchage téléphonique, mais de la réguler."

Laure Landes-Gronowski, avocate spécialiste de la protection des données personnelles

à franceinfo

Les textes adoptés ces dernières années sont venus ajouter des exceptions à ce principe, sans le renverser complètement. Il y a notamment le dispositif "Bloctel", adopté en 2014 et qui permet aux consommateurs de s'inscrire sur une liste pour refuser les appels à visée publicitaire. La plateforme revendique plus de 36 millions d'appels évités en moyenne par jour.

Les règles ne sont pas toujours respectées

Une autre loi a suivi en 2020, assortie d'un décret en 2022, pour encadrer encore davantage la pratique. Les démarcheurs peuvent seulement appeler les consommateurs du lundi au vendredi, de 10 heures à 13 heures et de 14 heures à 20 heures, hors jours fériés. Ils sont également obligés de respecter un plan de numérotation établi par l'Arcep : dans l'Hexagone, le numéro du démarcheur doit commencer par 0162, 0163, 0270, 0271, 0377, 0378, 0424, 0425, 0568, 0569, 0948, ou 0949. Si vous recevez un appel à but commercial dont le numéro est masqué ou commence par 06 ou 07, il est dans l'illégalité.

Mais force est de constater que ces règles ne sont pas toujours respectées. "Les appels continuent, et par milliers", dénonce Gérard Haas, avocat spécialiste en protection des données et propriété intellectuelle. "Souvent avec des numéros commençant par 06 ou 07, ou même masqués."

"On est face à un système qui a montré ses limites."

Gérard Haas, avocat spécialiste en protection des données

à franceinfo

Nombre des consommateurs inscrits sur Bloctel sont par exemple régulièrement démarchés. Pourquoi ? Parce que le dispositif n'est pas étanche. Bloctel "ne gère pas les démarchages pour la rénovation énergétique, pour le CPF [le compte personnel de formation], les SMS et les courriels", comme c'est expliqué sur son site internet, car ces contacts sont interdits par défaut (sauf s'ils sont passés par une entreprise avec laquelle le consommateur a un contrat préalable). Toutes les entreprises qui font du démarchage téléphonique ont du reste l'obligation de consulter Bloctel pour vérifier si le numéro qu'ils souhaitent contacter ne s'y est pas inscrit.

Les contrevenants ne sont-ils pas sanctionnés ? La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est l'autorité compétente pour les infractions au Code de la consommation, qui encadre le démarchage. L'institution affirme dans son rapport 2024 avoir contrôlé "plus de 6 200 établissements" et avoir infligé "plusieurs amendes" pour infractions à ces règles, sans préciser leur montant. En 2023, le total des amendes infligées pour démarchage abusif dépassait 4 millions d'euros, souligne la DGCCRF pour franceinfo. Mais force est de constater que cela ne suffit pas à faire peur à tous les démarcheurs illégaux.

Pour pallier ces limites, plusieurs acteurs de la filière des télécoms ont eux aussi mis la main à la pâte. Des constructeurs comme Apple, Samsung ou Google, ou des opérateurs comme Orange (via l'application Orange Téléphone) proposent des services pour alerter leurs utilisateurs quand un numéro appelant présente un risque de fraude, et parfois de les bloquer automatiquement. Mais ces dispositifs ne sont pas non plus infaillibles.

Renverser la charge de la preuve

La proposition de loi contre la fraude aux aides publiques, dans sa version définitivement adoptée par le Parlement mercredi 21 mai, vise donc à renverser la charge de la preuve. "Il appartiendra au professionnel de démontrer qu'il a obtenu le consentement express de l'utilisateur pour être démarché, d'une manière conforme au droit des données personnelles, notamment le RGPD", insiste l'avocate Laure Landes-Gronowski. Avec, par exemple, une case dédiée que le consommateur sera libre de cocher ou non, "et pas en une ligne au fond de conditions générales d'utilisation que personne ne lit !"

Ce principe sera-t-il respecté ? Certains spécialistes sont sceptiques. "Le principe d'interdiction sans consentement de la personne ne marche pas", affirme Hélène Lebon, avocate spécialiste de la protection des données, auprès de franceinfo. Elle rappelle que les entreprises qui souhaitent faire du démarchage achètent des fichiers de données clients à des entreprises intermédiaires. Or certains intermédiaires mentent parfois sur la fiabilité de leurs données. "Les entreprises achètent des fichiers de bonne foi, parfois plusieurs milliers d'euros, mais ne savent pas qu'elles achètent des données de gens qui ne veulent pas être démarchés", insiste Hélène Lebon, qui estime donc que cela ne sert "à rien de sanctionner les entreprises finales".

"On aura un cadre plus clair", approuve tout de même Gérard Haas, qui loue l'objectif de la loi et défend le principe de "sérénité numérique : le silence est un droit, et la disponibilité un choix !" L'avocat rappelle cependant qu'"il y aura toujours des gens qui ne respectent pas les règles", et ajoute qu'"il faut toujours être vigilant, car communiquer son numéro comporte toujours un risque". Pour la sérénité, il faudra de toute façon attendre que la loi soit adoptée et que sa disposition sur le démarchage entre en vigueur, pas avant le mois d'août 2026, selon la version actuelle du texte.

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