Population désenchantée, violente répression, geste du président... Quatre questions sur les manifestations qui ont fait plusieurs morts en Indonésie
Le pays connaît depuis lundi une vague de contestation, qui s'est renforcée après la mort d'un homme écrasé par des policiers, et ont été marquées par la mort de trois personnes dans un bâtiment incendié par des manifestants.
Le mouvement se prolonge à travers tout le pays et secoue le pouvoir. L'Indonésie connaît depuis une semaine des manifestations violentes, lors desquelles plusieurs personnes sont mortes. Le président Prabowo Subianto a dénoncé, dimanche 31 août, des actions "qui relèvent même de la trahison et du terrorisme", et annoncé des mesures sécuritaires.
La première économie d'Asie du Sud-Est est en proie à un mécontentement croissant en raison des difficultés économiques d'une grande partie de la population. La mort d'un conducteur de moto-taxi, écrasé par un véhicule de police jeudi, a enflammé la situation et déclenché des protestations de rue à grande échelle, marquées par des violences. Franceinfo vous explique les racines de cette contestation et comment elle a dégénéré.
Comment les manifestations ont-elles commencé ?
L'année 2025 est décrite par la chaîne de télévision Berita Satu comme "la plus intense en matière de contestations sociales en Indonésie depuis une décennie", traduit le Courrier international. "Depuis janvier, chauffeurs de taxi, étudiants, routiers et ouvriers ont multiplié les mobilisations", raconte ce dernier. En février, des milliers d'Indonésiens protestaient déjà contre les coupes budgétaires importantes ordonnées par le président indonésien Prabowo Subianto, afin de financer un vaste et coûteux programme de repas gratuits pour les écoliers. Les Indonésiens sont désenchantés et inquiets de leur situation économique.
"Il y a aussi des problèmes liés à des impôts injustes, à la baisse du pouvoir d'achat et au manque d'opportunités d'emploi", analyse pour l'AFP Bhima Yudhistira Adhinegara, directeur exécutif du Centre d'études économiques et juridiques de Jakarta. Qui ajoute que le mécontentement a aussi éclaté en raison d'un manque d'empathie reproché aux députés.
Pourquoi la situation a-t-elle dégénéré ?
Plusieurs centaines de manifestants se sont rassemblés, lundi, devant le Parlement à Jakarta. Ils protestaient contre de nouveaux avantages accordés aux députés, qui comprennent une allocation de logement de 50 millions de roupies (environ 2 600 euros), presque dix fois supérieure au salaire minimum dans la capitale. De nouvelles manifestations ont eu lieu jeudi, des centaines de personnes protestant toute la nuit contre les bas salaires, tandis que la police a tenté de disperser la foule en utilisant des gaz lacrymogènes et des canons à eau. Lors de cette manifestation, une fourgonnette de l'unité paramilitaire de la Brigade Mobile (Brimob) a écrasé et tué un conducteur de moto-taxi de 21 ans, Affan Kurniawan, qui livrait des commandes de nourriture, détaille Times Indonesia.
Les images de sa mort sont devenues virales et ont exacerbé la colère contre la police, marquant un tournant dans le mouvement. Les manifestations se sont intensifiées et étendues à travers le pays. "En quelques minutes, Affan est devenu une nouvelle victime de la violence infligée par les autorités", raconte Times Indonesia. Des milliers de personnes, dont beaucoup de conducteurs de moto-taxi, ont manifesté à Jakarta, lançant notamment des pierres et des cocktails Molotov devant le siège de la police. Des manifestations se sont également produites dans d'autres grandes villes de l'archipel.
A Makassar, la plus grande ville de l'île orientale des Célèbes, des manifestants ont mis le feu vendredi soir à un bâtiment public du conseil provincial et local de la ville, et au moins trois personnes ont été tuées dans l'incendie. Le même jour, dans cette même ville, une autre personne a été tuée, battue à mort par la foule qui la soupçonnait d'être un agent du renseignement, a déclaré dimanche un responsable de l'agence locale de gestion des catastrophes.
Aux victimes se sont ajoutés les pillages de maisons d'au moins trois députés, selon l'agence de presse officielle Antara, et de la ministre des Finances. Le domicile de Sri Mulyani Indrawati a été pillé dans la nuit de samedi à dimanche dans le sud de Jakarta, ont rapporté à l'AFP des soldats gardant sa résidence. Samedi, sur l'île de Lombok, des manifestants ont aussi pris d'assaut et incendié le bâtiment du conseil local du chef-lieu Mataram, en dépit des gaz lacrymogènes lancés par la police.
De nouvelles manifestations sont attendues en début de semaine prochaine. Des chauffeurs de moto-taxi ont annoncé sur les réseaux sociaux qu'ils retourneraient bientôt dans la rue. Des appels à manifester devant le Parlement de Jakarta pour demander sa dissolution ont également été lancés sur les réseaux sociaux. "Je pense que ces manifestations vont très probablement se poursuivre pendant les prochains jours", estime Made Supriatma, chercheur à l'Institut ISEAS-Yusof Ishak de Singapour, à l'AFP.
Pourquoi la force de police Brimob est-elle critiquée ?
La vidéo de la mort du jeune Affan Kurniawan a déclenché une vague de colère contre la Brimob, une force de police créée durant la Deuxième Guerre mondiale, utilisée pour réprimer les rébellions internes et connue depuis longtemps pour ses méthodes brutales. Sept officiers, présents dans la camionnette qui a écrasé le chauffeur de moto-taxi, ont été arrêtés pour avoir violé le code d'éthique. Le président Prabowo Subianto a promis une enquête "transparente".
"La Brimob est en réalité une force de police militaire dotée de son propre armement lourd. Historiquement utilisée pour lutter contre les mouvements armés, elle est plus souvent chargée, depuis une dizaine d'années, de lutter contre les manifestations de rue", a décrit à l'AFP Andreas Harsono, de l'ONG Human Rights Watch. L'unité a "souvent fait usage d'une force excessive lors de manifestations de rue, initialement dans des endroits comme la Papouasie occidentale, mais récemment aussi à Jakarta et dans d'autres zones urbaines", a-t-il ajouté.
Depuis l'élection du président Joko Widodo en 2014, puis l'arrivée au pouvoir en octobre dernier de Prabowo Subianto, son ex-ministre de la Défense et le gendre de l'ancien dictateur Suharto, la police nationale a bénéficié de fonds importants pour se militariser. Pour des ONG, le Brimob a depuis lors été utilisée pour réprimer les opposants et défendre des intérêts financiers tels que ceux des grandes plantations ainsi que les mines. Les agents de la Brimob "sont impliqués dans plusieurs grandes manifestations de masse pour assurer le contrôle des foules", a déclaré Dimas Bagus Arya, de l'organisation de défense des droits de l'homme KontraS. "Ils ont le même credo que les militaires : tuer ou être tué." Si les manifestations ont donc débuté lundi pour dénoncer des conditions économiques jugées mauvaises, une colère profonde contre la police est devenue un autre de leurs moteurs.
Comment réagit le président indonésien ?
Ces manifestations représentent le plus grand test du président Prabowo Subianto depuis sa prise de fonctions, en octobre 2024. Les tensions l'ont forcé à annuler un voyage prévu en Chine pour un défilé militaire. Dimanche, il a vivement dénoncé les manifestations violentes. "Le droit de réunion pacifique doit être respecté et protégé. Mais nous ne pouvons nier qu'il existe des signes d'actions illégales, voire contraires à la loi, qui relèvent même de la trahison et du terrorisme", a-t-il déclaré dans un discours prononcé au palais présidentiel de Jakarta. Les manifestations doivent se dérouler pacifiquement et si des personnes détruisent des installations publiques ou pillent des maisons privées, "l'Etat doit intervenir pour protéger ses citoyens", a-t-il encore souligné.
Dimanche, il a également annoncé réduire les avantages sociaux contestés accordés des députés. "Il a été convenu d'abroger certaines politiques du Parlement, notamment les indemnités des députés", a-t-il déclaré, selon les propos rapportés par l'agence Antara. "Je demanderai également à la direction du Parlement d'inviter les dirigeants communautaires, les représentants étudiants et les groupes souhaitant exprimer leurs aspirations, afin qu'ils puissent être entendus et engager le dialogue."
Les experts affirment que l'ex-général doit agir pour apaiser la colère du public. "Si j'étais le président, je relèverais le chef de la police nationale de son poste", a déclaré Made Supriatma, évoquant la nécessité d'un "geste symbolique".
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