Séisme en Asie du Sud-Est : "Les Birmans vont faire ce qu'ils peuvent avec très peu, pour ne pas dire rien", témoigne un Français depuis Rangoun
En Birmanie, c'est la région de Mandalay et de Sagaing qui a été la plus touchée par le séisme, vendredi. Joint par franceinfo, un Français qui vit dans la plus grande ville du pays, Rangoun, décrit la situation.
Un puissant séisme a frappé vendredi 28 mars la Birmanie et la Thaïlande. Il a fait au moins 144 morts et 732 blessés en Birmanie, et provoqué d'énormes destructions, a affirmé le chef de la junte Min Aung Hlaing, prévenant que ce bilan devrait s'alourdir, dans un discours diffusé par les médias d'État. Le pouvoir militaire, isolé depuis le coup d'Etat de février 2021, en appelle à l'aide internationale. Depuis Rangoun, l'ancienne capitale, Eric Glover, un Français vivant en Birmanie depuis de nombreuses années, témoigne de la situation sur place.
franceinfo : Vous vivez à Rangoun, l'ancienne capitale de la Birmanie. Quelle est la situation sur place, quelques heures après le séisme ?
Eric Glover : Globalement, à Rangoun, on a eu une secousse un peu forte, mais sans conséquence particulière. Les gens ont été secoués au sens propre comme au sens figuré. Et puis la vie a repris son cours à Rangoun. En revanche, des informations circulent dans la communauté française notamment, et on constate, dans les réseaux auxquels j'appartiens, qu'il y a eu un certain nombre de dégâts importants, voire très importants dans le nord du pays, notamment la grande ville de Mandalay, qui est une ancienne capitale historique. Le pont entre la région de Sagaing et la ville de Mandalay est écroulé. C'est une structure assez ancienne et qui était importante en termes de circulation. L'aéroport de Mandalay a l'air d'être bien abîmé. Je n'ai pas pu aller sur place, c'est ce que nous récoltons comme information. Via l'ambassade, nous avions été prévenus assez tôt, pour un certain nombre d'entre nous, qu'il y avait des risques. On avait eu une réunion de sécurité il y a quelques jours de cela où on nous avait informés de signes possibles d'un séisme. Et donc je savais quoi faire et je l'ai fait, il n'y a pas eu de problème.
Mandalay est à plus de 600 kilomètres au nord de Rangoun. A quoi ressemble cette ville de près d'un million d'habitants, pour que l'on comprenne bien les dégâts, potentiellement énormes ?
Mandalay, c'est une vieille ville du royaume, son ancienne capitale. En Birmanie, la construction ne se fait que rarement selon des normes internationales, et je dirais même nationales. Il y a plein de constructions sauvages. Ce ne sont pas du tout des bidonvilles : ce sont des constructions tout à fait normales, mais où les gens vont construire sur trois à quatre étages sans s'assurer que les fondations sont bien faites, avec des matériaux qui sont souvent de mauvaise qualité. Le savoir-faire de construction n'est pas toujours le meilleur. Certains endroits sont construits aux normes antisismiques mais la plupart ne le sont pas. Et là, les images qui circulent, ce sont des maisons écroulées, des accidents dans la rue. À Naypyidaw, qui est la capitale du pays, il y a des images de rues fissurées. Et surtout, il semblerait que dans le Sagaing, qui est une région difficile d'accès, il y a eu pas mal de gros dégâts puisque c'est là qu'était l'épicentre.
C'est une région difficile d'accès et particulièrement vulnérable aux catastrophes naturelles.
Oui, comme le pays en lui-même. Il y a un index qui classe les risques aux catastrophes naturelles pour l'ensemble des pays de la planète [le WorldRiskIndex] et en gros, le Myanmar [nom offficiel de la Birmanie] arrive dans les premiers avec Haïti depuis maintenant quinze ou vingt ans. Le problème des catastrophes naturelles, ce n'est pas seulement la catastrophe elle-même. C'est comment on les accompagne, comment les prépare, comment tout cela a été anticipé. Et ce n'est pas le cas du tout dans ce pays, pour plein de raisons différentes. Là, en l'occurrence, même en sachant qu'il y a un problème, les gens n'ont aucun moyen pour réagir. Ils n'ont ni l'argent, ni la connaissance qu'il faut, ni la compréhension des enjeux. Leur argent va dans la vie quotidienne, il ne va pas du tout dans la préparation. Les gens qui construisent, ici, construisent au plus simple, au moins cher, sans comprendre les impacts que ça peut avoir. Je parle birman, je vis avec des Birmans, et quand je leur parle de construction, pour eux, la seule chose qui compte c'est le prix.
Là, à Rangoun, on y a échappé et tant mieux, mais dans des grandes villes comme Mandalay ou autres, ça va s'abîmer. Ce qui est à craindre, c'est que les dernières grandes inondations qui ont eu lieu ont eu des conséquences sur les infrastructures électriques. Actuellement, je n'ai aucun moyen de téléphoner. Les infrastructures de réseau ont manifestement été atteintes et il y a un risque sur les infrastructures électriques. Mon quotidien à Rangoun, c'est 16 heures de coupures d'électricité par jour et la moitié du pays n'a pas l'électricité. Mais pour ceux qui l'ont, ça a beaucoup d'importance. Ce qui m'inquiète le plus dans ce tremblement de terre, c'est qu'effectivement, il y a des conséquences immédiates qui sont très violentes mais je pense que les conséquences à moyen terme vont être extrêmement violentes pour l'ensemble de la population du Nord et on sera probablement atteints économiquement à Rangoun.
Que pouvez-vous nous dire du système de santé, des hôpitaux en Birmanie ? Des témoignages font état de manque de place en ce moment dans les hôpitaux de la capitale.
Les hôpitaux ici ne fonctionnent pas du tout ou très, très mal. Le niveau des médecins est faible, le pays est sous sanctions internationales et donc ces sanctions tuent des gens parce qu'ils ne peuvent pas avoir accès à des soins. Il faut être très clair, les Birmans ne comprennent pas ce genre de choses. Je suis marié à une Birmane, elle ne comprend pas pourquoi elle ne reçoit pas d'aide, même si on lui dit que c'est "pour son bien". Le niveau des médecins, les infrastructures, l'absence de médicaments, les réseaux qui ne fonctionnent pas... Les gens vont faire ce qu'ils peuvent. Les soignants sont très dévoués, je ne vais rien dire là-dessus parce que je sais à quel point ils sont dévoués, mais ils vont faire avec ce qu'ils ont. Et ce qu'ils ont, ça correspond à très très peu, pour ne pas dire rien.
Qu'allez-vous faire dans les heures qui viennent ?
Cela n'a pas d'impact sur moi. Moi, je vais me préoccuper des gens avec qui je travaille, je suis dans diverses associations. Je travaille aussi avec la Chambre de commerce, je travaille avec des Birmans. Je vais essayer de les contacter, on a déjà réussi à joindre des gens. On a une personne qui vit à Mandalay depuis très longtemps, dont je n'ai pas de nouvelles. Pour être honnête, sur ma vie quotidienne à moi, ça n'a plus aucun impact. Je vais continuer à faire ce que j'essaye de faire, c’est-à-dire essayer de vivre ici, sans aide globale. Tremblement de terre ou pas.
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