En Italie, des retraités "umarells" vont passer du temps à commenter les travaux, avec la bénédiction de leur maire

En italien, le terme "umarells" désigne les éternels contempteurs des chantiers publics, qui devisent les bras croisés en émettant des jugements. Dans le nord de la péninsule, la commune lombarde de Villasanta a décidé d'en recruter comme bénévoles, faute d'avoir assez d'employés pour signaler d'éventuels problèmes sur la voie publique.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Des passants observent un chantier dans les rues de la ville italienne de Bologne, en mars 2016. (WITTYLAMA / WIKICOMMONS)
Des passants observent un chantier dans les rues de la ville italienne de Bologne, en mars 2016. (WITTYLAMA / WIKICOMMONS)

Il est rare de pouvoir passer à l'action les bras croisés, ou même derrière le dos. Mais en Italie, d'infatigables retraités anonymes se sont donné pour mission de hanter les chantiers publics. Parfois seuls, parfois en petits groupes, ils passent de longs moments à surveiller la conduite des travaux de leurs villes, livrant des conseils plus ou moins avisés aux employés exténués. Connaisseurs en tout, mais responsables de rien, les umarells – comme on les appelle – font partie du patrimoine de la péninsule. Non sans une pointe d'exagération, peut-être, car le phénomène est universel.

En tout cas, l'heure de la reconnaissance a sonné à Villasanta, ville lombarde de 13 000 habitants dans la banlieue de Monza, dans le nord de la Botte. Huit bénévoles ont été recrutés par la municipalité pour arpenter les rues et prodiguer leurs doctes avis. Les umarells commenceront leur mission officielle la semaine du 14 avril, annonce la presse italienne.

"C'est ouvert à tous les âges"

Le terme, dérivé d'un mot bolognais autrefois péjoratif, a fait son apparition en 2005 dans un billet de blog sous la plume de l'écrivain Danilo Masotti, auteur deux ans plus tard d'Umarells per sempre ("Umarells pour toujours" en français). Il s'est fait rapidement une place dans la langue italienne, en suscitant des torrents de commentaires amusés sur les réseaux sociaux. Le mot umarell a logiquement fait son entrée dans l'édition 2021 du Zanichelli, dictionnaire de référence dans la péninsule. Lequel en donne la définition suivante : "Un retraité qui erre sur les chantiers, la plupart du temps les mains derrière le dos, vérifiant, posant des questions, faisant des suggestions ou critiquant les activités qui y sont menées".

L'appel à candidatures de Villasanta a été lancé en décembre dernier, en raison des sous-effectifs – la ville ne compte que cinq employés dans les services techniques, alors qu'il en faudrait le double. Le maire Lorenzo Galli avait alors demandé à des habitants de devenir "les yeux et les sentinelles" de sa ville.

L'émission télévisée satirique "Striscia la notizia", en avait fait l'objet d'un reportage, surfant sur la sympathie suscitée par les umarells. "Contrôler les chantiers ? Mais moi, je les contrôle déjà !", souriait un habitant d'un certain âge, interrogé par un animateur. "C'est ouvert à tous les âges, corrigeait le maire Lorenzo Galli, dans une autre séquence. Les journalistes ont commenté à parler d'umarell et c'est devenu viral. Mais c'est ouvert à tous les âges !".

La commune divisée en six zones de contrôle

Quatre mois plus tard, force est de constater que les huit volontaires retenus sont tous retraités. Mais les umarells de Villasanta auront de bons arguments. Tous sont diplômés avec une expérience professionnelle dans un secteur technique, explique le site local Monzatoday, mardi 8 avril, et ont déjà participé à des réunions en amont, afin de préparer les dossiers avec les services compétents.

Le territoire sera divisé en six zones déterminées à l'aune de plusieurs indicateurs, comme l'entretien des espaces verts, l'état de la voirie, le déroulement des chantiers publics, l'éclairage ou encore la gestion des déchets, ajoute le quotidien Corriere della sera. Cerise sur le gâteau, les heureux élus disposent même d'une adresse mail municipale. Tout ceci annonce donc de longues promenades de travail en perspective.

Au cours de leur mission, ils pourront s'inspirer du plus célèbre des umarells : Franco Bonini. Cet homme, aujourd'hui disparu, avait été récompensé par un prix honorifique dans sa ville de San Lazzaro, proche de Bologne. "Au début, j'avais du mal à me faire écouter des gens, ils pensaient que j'étais fou ou un casse-pieds", expliquait-il en entretien. "L'umarell ne doit pas être vu comme un vieux grincheux qui n'a rien à faire : c'est un véritable collaborateur civique."

"Nous ne voulons pas de shérifs"

En 2018 et 2019, à Bari, le maire avait proposé à une trentaine de retraités de parrainer un chantier de la ville, après avoir fait un petit tour des travaux en minibus. "Par leur présence, expliquait l'élu à l'époque, l'entreprise et les ouvriers se sentent un peu contrôlés. Ce sont des yeux supplémentaires." Et à Bologne, une place de la ville a été renommée en honneur des umarells. Mais la cohabitation est parfois houleuse. En 2022, près de Milan, une mairie avait dû faire suspendre des travaux d'asphaltage, après plusieurs intrusions de retraités sur le chantier, et un harcèlement quasi-quotidien sur les ouvriers.

"Nous ne voulons pas de shérifs qui donnent des instructions aux ouvriers", avertissait le maire Lorenzo Galli, cité par la chaîne Sky en décembre dernier. L'élu dénonçait au passage la propension humaine à juger le travail des autres, souvent derrière un écran. Mais privés de leur capacité à critiquer et à juger le travail des autres, ces umarells seront-ils encore des umarells ? Leur comportement sera scruté de près une fois leur mission commencée. Reste à espérer, pour les ouvriers locaux, que ces retraités ne se contentent pas de garder les bras croisés. Et que la quiétude de Villasanta ne soit pas troublée par cette sentence irrévocable et redoutée, sur les chantiers et les ronds-points : "Moi, j'aurais pas fait comme ça."

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