Italie : la face cachée des ateliers de Prato, temple de la fast-fashion européenne
Qui se cache derrière le prêt-à-porter bon marché "made in Italy" ? Direction Prato, en Toscane, où se sont installés des centaines d'ateliers dirigés par des Chinois. Les salariés, venus de l'autre bout de la planète, sont soumis à une organisation de travail très éloignée de la réglementation européenne.
Ce texte correspond à une partie de la retranscription du reportage ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour le regarder en intégralité.
Un cercueil déposé en pleine nuit au pied de l'hôtel d'un entrepreneur du textile, des incendies d'entrepôt à répétition... Que se passe-t-il à Prato (Italie) ? Le plus grand pôle textile du continent, devenu temple de la fast-fashion européenne, est contrôlé par la communauté chinoise. Elle représente ici un quart de la population. Véritable Chinatown au cœur de la Toscane, Prato compte 5 000 entreprises chinoises pour 200 000 habitants.
Derrière ces règlements de compte et ces menaces, les enquêtes lèvent peu à peu le voile sur des méthodes de production de vêtements plus proches du "made in China" que du "made in Italy". Dans le secteur industriel, les grossistes chinois, pour la plupart, exposent leur création à destination des revendeurs et des boutiques en Europe, notamment en France. Une équipe de France Télévisions se fait passer pour des propriétaires de magasins à Paris, en quête de nouveaux modèles. Un pantalon est vendu 7 euros pièce, trois fois moins cher qu'une production européenne classique, et le vendeur assure pouvoir fabriquer rapidement : "En général, pour 1 000 pièces, on peut les sortir en une semaine sans problème."
Exploitation des travailleurs étrangers
Comment ces entreprises font-elles pour produire à des prix aussi bas ? Bien souvent en exploitant des travailleurs étrangers. Depuis deux mois, un atelier de confection est à l'abandon. Le patron est parti brutalement sans verser les derniers salaires, suite à un contrôle des gendarmes. Adeell Shahzad, Pakistanais, travaillait ici depuis huit ans, 14 heures par jour sans repos ni vacances, embauché avec un faux contrat à temps partiel et payé à la tâche. "Regarde celui-là. J'ai été payé 40 centimes par pièce. Un jour, il sera peut-être vendu 40 euros. En 14 heures, je gagne environ 40 euros", raconte-t-il. Soit à peine 3 euros de l'heure, dans un atelier dont le patron chinois les faisait surveiller en permanence pour qu'ils maintiennent la cadence.
Un autre salarié tient à montrer les étiquettes de différentes marques pour lesquelles il cousait. Parmi elles, des revendeurs français comme For Her Paris, qui sur son site internet vend une mode empreinte de liberté et authentique. On retrouve un vocabulaire tout aussi humaniste sur l'étiquette d'April Vintage. Contactées, les marques ont confirmé qu'elles fabriquaient en Italie, refusant de donner plus de détails.
Les entreprises contournent les taxes
Les vêtements sont vendus comme une moyenne gamme, bien au-dessus des tarifs des marques chinoises. Pour le syndicaliste qui les accompagne, l'atelier est un exemple classique des méthodes en cours à Prato, où le "made in Italy" est un argument marketing redoutable. "La marque made in Italy permet à ces entreprises de vendre leurs produits à un prix plus élevé. Mais la vérité, c'est que les conditions de travail que nous trouvons ici sont comparables à celles des pays du tiers-monde, dont on parle si souvent. La vérité, c'est que ces conditions existent aussi en Italie, à Prato, tout près de chez nous", observe Riccardo Tamborrino, du syndicat SUDD Cobas Prato.
Pour produire à des prix si bas, les entreprises contournent également massivement les taxes. Les tissus de Prato sont bien souvent importés illégalement, grâce à une faille dans la réglementation européenne : un prête-nom basé en Italie passe une commande de tissus en Chine. La commande arrive dans un port de Méditerranée, bien souvent au Pirée, en Grèce. Comme le veut la réglementation européenne, toute marchandise qui arrive aux frontières de l'Union ne paie pas la TVA à la douane en Grèce mais dans le pays de destination finale, en l'occurrence l'Italie.
Sauf qu'à Prato, il n'y a souvent pas d'entreprise à l'adresse indiquée, mais un complice qui conduit le livreur vers l'entrepôt réel où sont fabriqués les vêtements. Il est donc impossible par la suite pour l'administration italienne de récupérer la taxe. L'entreprise réelle aura donc importé des tissus à des prix défiant toute concurrence. Une fraude possible car les entreprises chinoises de Prato sont éphémères. Elles ferment après un an ou deux d'activité seulement, juste à temps pour ne pas payer les taxes et amendes, et rouvrent souvent quelques mètres plus loin.
Violences et intimidation
Aujourd'hui, des salariés sont en grève, car ils n'ont pas été réembauchés dans la nouvelle entreprise de leur ancien patron. "Vous devez leur faire un contrat pour la nouvelle entreprise", lance un syndicaliste à un patron qui lui rétorque : "Si je fais ça, je ferme."
Lorsque les journalistes de France Télévisions tentent de lui poser des questions, elles sont prises à partie par la femme qui l'accompagne. À Prato, la violence et l'intimidation semblent être les meilleurs alliés du système d'exploitation, que les forces de police italiennes ont bien du mal à juguler... Tout comme le manque à gagner pour l'État italien, qui s'élèverait à plusieurs milliards d'euros.
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