Incursion de drones russes en Pologne : "Que ce soit intentionnel ou non, Moscou analyse la façon dont nous avons réagi", selon le chercheur Jean-Claude Allard

Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min - vidéo : 12min
Article rédigé par franceinfo - Édité par l'agence 6Medias
France Télévisions

Invité de "La Matinale" vendredi 12 septembre, Jean-Claude Allard, chercheur associé à l'Iris, livre son analyse de la situation en Europe de l'Est, après la découverte de drones russes dans l'espace aérien polonais. Comment interpréter cette incursion ?

À la suite de l'envoi d'au moins 19 drones militaires russes dans l'espace aérien polonais dans la nuit de mardi à mercredi, la crainte de voir s'étendre l'offensive du Kremlin menée en Ukraine depuis 2022 grandit en Europe de l'Est. La France a annoncé mobiliser en soutien à la Pologne trois de ses Rafale. Pour en parler, Jean-Claude Allard, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), était l'invité de "La Matinale" de franceinfo, vendredi 12 septembre.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Djamel Mazi : Ces trois Rafale mobilisés par Emmanuel Macron, à quoi vont-ils servir ? Est-ce que cela ne risque pas d'entraîner un engrenage vis-à-vis de la Russie ?

Jean-Claude Allard : Il faut bien voir ce qu'il se passe actuellement en termes de ce qu'on appelle la "réassurance", c'est-à-dire l'engagement des pays d'Europe occidentale au profit des pays qui sont en limite de la frontière avec la Russie. L'Otan a mis en place depuis plusieurs années des structures permanentes qui permettent de guider, d'accueillir, d'acheminer et d'intégrer dans le système de défense des unités de combat des pays occidentaux. Et nous avons dans ce cadre-là, nous, la France, des unités en Estonie et en Roumanie. Votre question porte sur la Pologne. Eh bien, avec la Pologne, nous avons une mission qui est de contribuer à la défense aérienne de ce pays en envoyant, si nécessaire, des Rafale. C'est quelque chose qui est prévu. Parfois les Rafale y sont, parfois l'aviation y est, parfois elle n'y est pas. Donc là, c'était le moment de les envoyer. Ils arrivent, ils se branchent sur un système Otan et participent. Et qu'est-ce qu'ils vont faire ? D'abord, de la police du ciel et puis, comme nous l'avons vu l'autre jour, s'il y a une attaque, contribuer à la défense. Voilà, ce sont trois Rafale qui s'inscrivent dans un système otanien.

Anthony Bellanger : Des Rafale à plusieurs dizaines de millions d'euros l'unité contre des drones à quelques centaines d'euros, est-ce que l'Otan est vraiment prêt à cette guerre des drones ?

Jean-Claude Allard : Vous avez bien vu que, dès que l'attaque a été lancée, il y a eu une agitation médiatique très importante. Hier, sur ce plateau, j'ai essayé d'expliquer que cela ne me paraissait pas être la bonne réponse. Maintenant, on est en train d'étudier et on dit que ce sont des drones Gerbera, qui sont des drones leurres, ne coûtant rien et que l'on va continuer à analyser. Donc effectivement, l'affaire s'est enflammée. Mais la leçon à tirer, c'est qu'il faut effectivement qu'il y ait, en Europe, un système de défense aérienne intégré avec échange d'informations, cela existe jusqu'à présent, et qui met en œuvre un système de réaction que l'on appelle une défense multicouche, laquelle doit défendre contre des attaques aériennes de basse, de moyenne et de haute altitude. Et on comprend bien, même sans être spécialiste, que détecter un drone ou un appareil volant qui vole très bas, derrière des collines, est tout autre chose que détecter un appareil qui vole très haut dans le ciel. Il faut des radars différents, des moyens de tir différents, et il faut développer des armements qui sont moins coûteux et onéreux que le Rafale et que l'armement qu'il tire, car il tire un missile air-sol qui coûte très cher contre un drone. Je rappelle d'ailleurs que l'Allemagne a proposé il y a quelque temps de faire cette défense. Curieusement, elle a proposé la défense avec la Pologne et deux autres pays, et nous avons exclu la France qui a, avec MBDA et Safran, des capacités également. Donc nous avons besoin de réfléchir à la stratégie et à la politique industrielle de défense.

Djamel Mazi : Pour rappeler, il y a plusieurs drones qui ont franchi la frontière et qui ont survolé l'espace aérien polonais. La Biélorussie évoque des erreurs de guidage, des erreurs de navigation GPS. Mais quand on voit le parcours de ces drones qui sont arrivés justement au-dessus du territoire polonais, on se demande si c'est vraiment crédible. Est-ce qu'il n'y a pas une façon, du côté de Moscou, de tester la défense européenne et donc la réaction aujourd'hui des Européens face à ces incursions de drones ?

Jean-Claude Allard : Que ce soit intentionnel de la part de Moscou ou que ce soient des problèmes de guidage, de programmation des drones, etc., le résultat est le même. Moscou analyse ce qu'il s'est passé et la façon dont nous avons réagi, et c'est ça qui est important. Pour nous aussi, la façon dont nous allons nous dire : "Nous risquons d'être attaqués de cette façon-là", donc il faut développer la défense multicouche. Maintenant, une enquête est en cours. C'est vrai que dès le début, on a dit "c'est la Russie", maintenant, y compris l'Otan commence à analyser, à partir du drone que l'on a détecté, les raisons pour lesquelles Moscou aurait fait cela intentionnellement, ou les raisons qui pourraient expliquer qu'il s'agit d'une erreur de l'unité. Parce que les drones sont mis en œuvre par des unités. Donc, il y a une unité avec un commandant qui programme tout cela et qui les envoie. Est-ce que l'unité de ce commandant a fait des erreurs de programmation, etc. ? Donc les deux volets sont là. Maintenant, tout le monde y réfléchit.

Anthony Bellanger : Ce que vous dites en creux, c'est que cette opération n'est pas seulement militaire, elle est aussi politique. Elle vise à tester les défenses occidentales et à voir comment l'Europe et l'Otan réagissent politiquement. Or, ce qu'on entend par exemple de la part de Donald Trump est assez inquiétant puisqu'il parle lui-même d'accidents. Est-ce que ce n'est pas au fond ça que veulent tester les Russes ?

Bien entendu, c'est le danger, vous soulignez un point important. Mais on réfléchit toujours un peu par l'historique. Il y a eu la même chose en Roumanie, il y a eu un drone qui a dépassé la frontière roumaine et qui est tombé dans un village. Et là, on a eu à peu près le même cheminement. C'est-à-dire qu'on a dit : "C'est intentionnel". Et les Etats-Unis ont dit : "Non, nous avons tous les éléments pour penser que c'est une erreur".

La Pologne n'est pas la Roumanie. La Pologne est un pays qui a l'une des premières armées de l'est de l'Europe et qui est particulièrement sensible à ce genre d'intrusions. Et là, il ne s'agissait pas d'un drone, mais de 19...

Vous avez parfaitement raison. Mais ce que je veux simplement dire là-dessus, c'est que la question que je me pose, moi, parce que je n'ai pas la réponse, c'est : est-ce que les services américains n'ont pas une connaissance beaucoup plus fine au fil des jours, car cela fait 48 heures, des raisons qui ont poussé ou qui ont conduit à ce que ces drones se retrouvent en territoire polonais ? Donc, est-ce qu'ils savent si c'est un test de Poutine, mais veulent abaisser la tension ? Car on sait que pour Trump, l'une de ses idées fondamentales, sa colonne vertébrale, c'est d'apaiser les relations Etats-Unis-Russie, parfois au détriment de l'Ukraine, parfois au détriment de l'Europe. Donc il y a cette solution, il y a cette option. Il y a aussi l'option qu'au fond, ils savent que ce n'est pas intentionnel. Il y a les deux. Comme vous le dites, la réaction de Trump a beaucoup surpris et depuis, nous n'avons pas de confirmation.

Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.