"C'est une réponse à l'urgence sur le terrain" : pourquoi Emmanuel Macron a finalement décidé de reconnaître un Etat palestinien

Article rédigé par Daïc Audouit
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Emmanuel Macron et le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, à New York (Etats-Unis), le 25 septembre 2024. (LUDOVIC MARIN / AFP)
Emmanuel Macron et le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, à New York (Etats-Unis), le 25 septembre 2024. (LUDOVIC MARIN / AFP)

En marge de l'Assemblée des Nations unies, le président français va plaider lundi pour une solution à deux Etats afin de résoudre le conflit israélo-palestinien.

C'est une promesse de longue date de la diplomatie française qu'Emmanuel Macron va tenir. Lundi 22 septembre, le président de la République reconnaîtra l'Etat de Palestine à New York en marge de l'Assemblée générale des Nations unies. Le 24 juillet, il avait pris beaucoup de monde de vitesse en annonçant cette décision et ce rendez-vous sur le réseau social X.

C'est au retour d'un voyage en Egypte, lors d'une interview donnée dans son avion à l'émission "C à vous", le 9 avril, qu'Emmanuel Macron a établi la nouvelle doctrine de la diplomatie française. "On doit aller vers une reconnaissance [de l'Etat palestinien] et donc, dans les prochains mois, on ira", lâchait-il sur France 5.

Pourtant, le 28 mai 2024, un an plus tôt, Emmanuel Macron semblait temporiser. Il estimait que si "cette décision n'était pas tabou", elle devait "arriver à un moment utile". "Je ne ferai pas une reconnaissance d'émotion", déclarait-il lors d'une conférence de presse à Berlin. Il prenait ainsi le contre-pied d'autres pays européens comme l'Espagne, la Norvège et l'Irlande qui venaient de reconnaître l'Etat de Palestine. Avant de changer d'avis. On vous explique pourquoi. 

Pour faire pression sur Benyamin Nétanyahou

Reconnaître l'Etat de Palestine, c'est avant tout essayer de contraindre le Premier ministre israélien à stopper son offensive dans la bande de Gaza. La France veut "maintenir une pression sur Israël pour que cessent ces opérations, pour que l'aide humanitaire puisse à nouveau entrer librement dans la bande de Gaza", confiait Christophe Lemoine, porte-parole du Quai d'Orsay, en juillet sur franceinfo. "C'est une réponse à l'urgence sur le terrain. On est arrivé presque à un point de non-retour", confirme-t-on du côté de l'Elysée ces derniers jours, évoquant aussi bien la dernière offensive israélienne que les projets de colonie en Cisjordanie.

"Avec leurs propositions de déplacement de population, c'est l'existence même de la Palestine que mettent en cause Donald Trump et Benyamin Nétanyahou. Il faut faire un geste formel pour rappeler cette existence."

Yves Doutriaux, enseignant à la Sorbonne et ancien ambassadeur adjoint à l'ONU

à franceinfo

A Singapour, le 30 mai, Emmanuel Macron avait tenté de rationaliser cette décision, estimant que "la création d'un Etat palestinien n'était pas simplement un devoir moral, mais une exigence politique". Pour l'Elysée, il ne s'agit pas d'une mesure symbolique mais bien de poser les bases d'un processus qui aspire à apporter une stabilité sur le long terme dans la région. "Il ne peut y avoir de paix sans un Etat palestinien. C'est notre conviction profonde", explique l'entourage du président. Reconnaître la Palestine, c'est aussi remettre en avant la solution à deux Etats qui a toujours été la position diplomatique française ces quarante dernières années. Il s'agit d'une garantie tangible donnée aux pays arabes voisins pour qu'ils reconnaissent de leur côté la pleine intégrité d'Israël. 

Pour "redonner de la crédibilité à l'Autorité palestinienne"

Reconnaître l'Etat de Palestine s'apparenterait à "donner raison au Hamas", estimait le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) sur le réseau social X en juillet. "Quelles que soient les intentions du président de la République, cette reconnaissance sera brandie par le Hamas comme une victoire symbolique et une récompense du terrorisme du 7-Octobre."

Pour le Crif, Emmanuel Macron s'affranchit des conditions qu'il a fixées pour procéder à cette reconnaissance et notamment la libération des otages israéliens détenus par le Hamas. Mais le chef de l'Etat considère que ces conditions sont en passe d'être remplies par l'Autorité palestinienne, l'entité gouvernementale qui administre principalement la Cisjordanie.

Son président, Mahmoud Abbas, a envoyé une lettre adressée à Emmanuel Macron le 10 juin. Il s'engage à nouveau à continuer à réformer l'Autorité palestinienne et confirme vouloir organiser des "élections présidentielles et législatives d'ici un an", sous "supervision" internationale. Dans ce courrier, il appelle aussi "à libérer immédiatement tous les otages et personnes retenues". Enfin, il se dit favorable à ce que le Hamas "dépose les armes" et "ne dirige plus Gaza".

L'Elysée a salué dans un communiqué des "engagements concrets et inédits, témoignant d'une volonté réelle d'avancer vers la mise en œuvre de la solution à deux Etats". Selon nos informations, Emmanuel Macron et ses conseillers seront attentifs au fait que les groupes prônant la violence ou la destruction d'Israël ne soient pas autorisés à participer aux futures élections. "Pour trouver une alternative au Hamas, il faut redonner de la crédibilité à l'Autorité palestinienne, explique-t-on à l'Elysée. Notre intention est bien qu'il y ait un futur à Gaza sans le Hamas."

Pour être leader sur la scène internationale

Reconnaître l'Etat de Palestine, c'est se conformer à la norme des pays membres de l'ONU. Pas moins de 148 pays ont en effet reconnu l'existence d'un Etat palestinien. Parmi eux figurent la Russie, les anciens pays du bloc de l'Est, une majorité de pays africains (en 1988) ou les pays d'Amérique Latine (en 2011). Ils ont été rejoints par d'autres pays après les attaques meurtrières du 7 octobre 2023 – dont la Slovénie, l'Espagne, la Norvège ou l'Irlande.

Mais la France est devenue le premier pays du G7 à franchir le pas de la reconnaissance. Cela permet à Emmanuel Macron d'affirmer un leadership puisque, dans la foulée du président de la République, le Canada ou le Royaume-Uni ont aussi fait un pas vers cette reconnaissance. La Belgique et l'Australie, elles, ont carrément suivi. Le Portugal et le Luxembourg devraient également se joindre à la France lors de la conférence de lundi. 

Dans les sphères diplomatiques françaises, on se félicite du scrutin qui a eu lieu vendredi 12 septembre à New-York aux Nations unies. Ce jour-là, 142 pays ont voté pour une résolution mentionnant que le Hamas doit "cesser d'exercer son autorité sur la bande de Gaza et remettre ses armes à l'Autorité palestinienne". La France et l'Arabie saoudite étaient conjointement à la manœuvre. "Nous avons obtenu de pays proches du Hamas une condamnation claire de l'attaque du 7-Octobre. Nous avons obtenu une délégitimation politique du Hamas, ce que personne d'autre n'avait encore réussi à faire", souligne-t-on à l'Elysée. 

Pour répondre à l'opinion en France

Reconnaître l'Etat de Palestine, c'est tenter de pacifier le débat public en France. Car si cette décision est motivée par des considérations diplomatiques, elle n'échappe pas à des arrière-pensées franco-françaises. "Cette décision est une question de politique intérieure", juge le diplomate Maxime Lefebvre, professeur de relations internationales à l'Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP).

"Comme il voit que l'opinion s'inquiète de la politique de Benyamin Nétanyahou et comprend de moins en moins ce qui se passe à Gaza, Emmanuel Macron peut durcir le ton vis-à-vis d'Israël.".

Maxime Lefebvre, docteur en sciences politiques

à franceinfo

Selon un sondage Ifop du 18 septembre pour le Crif, 29% des personnes interrogées estiment que la France doit reconnaître un Etat palestinien tout de suite, sans conditions. C'est sept points de plus qu'en juin. En revanche, 38% se prononcent pour une reconnaissance après la libération de toutes les personnes retenues en otage à Gaza et la reddition du Hamas. Enfin, 33% des sondés demeurent opposés à cette idée à court terme.

"Les Français restent très attachés à la situation des otages. Il y a une mémoire de cela. L'attaque de la rave-party du 7 octobre est un traumatisme qui a ravivé l'attentat du Bataclan", explique Frédéric Dabi, directeur des études à l'Ifop. De façon plus globale, les Français éprouvent de l'empathie pour le sort de la population gazaouie mais "ils se tiennent à distance d'un conflit où ils ne cherchent pas forcément à savoir qui est responsable", ajoute Mathieu Gallard, directeur d'études à l'institut Ipsos.

Par ailleurs, un rapport publié en juin par le ministère de l'Intérieur sur l'entrisme des Frères musulmans reconnaît un "profond malaise" au sein de la communauté musulmane, qui perçoit "la position française comme ouvertement favorable à Israël", un sentiment "instrumentalisé" par la mouvance islamiste. Reste que le rapport préfigure la décision du président de la République : "La reconnaissance par la France d'un Etat palestinien aux côtés d'Israël dans des frontières sûres et reconnues pourrait être de nature à apaiser ces frustrations."

A l'Elysée, on rappelle le souci constant d'Emmanuel Macron, depuis le 7-Octobre, du risque d'importation du conflit sur le sol national. "La ligne directrice est la volonté de garder de l'unité nationale et de la cohésion autour de cette question polarisante", commente-t-on dans l'entourage du chef de l'Etat.

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