"Changer le Moyen-Orient" : deux ans après les attaques du 7-Octobre, comment Israël a affaibli "l'axe de la résistance" pro-Iran, de Gaza à Téhéran

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Deux ans après le 7-Octobre, Israël poursuit son objectif de démanteler l'autoproclamé "axe de la résistance", au fil d'une guerre ouverte sur de multiples fronts, de la bande de Gaza jusqu'à l'Iran. (HELOISE KROB / FRANCEINFO / AFP)
Deux ans après le 7-Octobre, Israël poursuit son objectif de démanteler l'autoproclamé "axe de la résistance", au fil d'une guerre ouverte sur de multiples fronts, de la bande de Gaza jusqu'à l'Iran. (HELOISE KROB / FRANCEINFO / AFP)

En réponse aux attentats meurtriers du Hamas, l'Etat hébreu s'est engagé dans une guerre "multifronts" contre la République islamique et ses alliés, au prix d'innombrables vies civiles.

Il avait annoncé son projet dès le 9 octobre 2023. Deux jours après les attaques meurtrières du Hamas, face aux maires de plusieurs villes israéliennes endeuillées, Benyamin Nétanyahou avait promis que sa réponse aux attentats allait "changer le Moyen-Orient". Le Premier ministre israélien ne visait pas seulement l'anéantissement du groupe palestinien, qui a tué plus de 1 200 personnes et fait des dizaines d'otages. Il comptait aussi démanteler l'autoproclamé "axe de la résistance", alliance pro-iranienne dont le Hamas fait partie. Deux ans plus tard, au moment de commémorer le 7-Octobre et alors que de nouvelles négociations sont en cours avec le mouvement islamiste, Israël poursuit toujours ce but, au fil d'une guerre ouverte sur de multiples fronts, de la bande de Gaza jusqu'à l'Iran.

"L'axe de la résistance" est né de la volonté de la République islamique de "regrouper et solidariser des mouvements armés sous sa supervision", pour obtenir "un outil de dissuasion et de projection régionale" face à l'Etat hébreu, explique David Rigoulet-Roze, chercheur à l'Institut français d'analyse stratégique (Ifas). Initié dans les années 1980, ce rapprochement anti-israélien s'est structuré dans les années 2000, s'étendant des territoires palestiniens à l'Irak. "Le Hamas est l'un des composants de cet axe, aux côtés d'autres mandataires [de la République islamique]. Le 7-Octobre n'aurait pas pu se produire sans le soutien de l'Iran", affirme Kobi Michael, chercheur à l'Institut d'études de sécurité nationale (INSS) de Tel-Aviv, un think-tank proche de la défense et du renseignement israéliens.

"Provoquer un changement profond" dans la région

Selon des documents découverts par l'armée israélienne et relayés par le New York Times, le groupe palestinien a effectivement tenté de convaincre Téhéran et le Hezbollah libanais, rouage essentiel de "l'axe de la résistance", de participer aux massacres du 7-Octobre. "Le Hamas s'est senti assuré du soutien global de ses alliés, mais a conclu qu'il devrait passer à l'acte sans leur implication totale", rapporte le quotidien américain. "Le 7-Octobre s'inscrit dans une logique de nationalisme palestinien, ce n'est pas une manœuvre du Hezbollah ou de l'Iran", appuie Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des universités et directeur de la revue Confluences Méditerranée.

Après le choc causé par ces attentats, "la stratégie israélienne est de provoquer un changement profond" dans la région, en s'attaquant au "centre de gravité de ce système" pro-iranien, analyse Kobi Michael. En réalité, l'Etat hébreu prépare depuis des décennies des plans contre l'Iran et le Hezbollah, qui lui apparaissent comme les deux principales forces qui le menacent. "Cette stratégie est graduelle, car Israël ne pouvait pas s'attaquer directement et immédiatement à [Téhéran]", poursuit le chercheur de l'INSS.

"Après le 7-Octobre, il y a désormais une notion d'urgence : l'objectif prioritaire des Israéliens est de faire cesser la menace de cette 'ceinture de feu' autour de l'Etat hébreu, et de désintégrer cette première ligne pro-iranienne [qu'est "l'axe de la résistance"]. La première étape de ce scénario est Gaza, avec la réplique contre le Hamas."

David Rigoulet-Roze, chercheur à l'Ifas

à franceinfo

Le conflit dépasse presque aussitôt les limites de l'enclave palestinienne. Dès le 8 octobre 2023, le Hezbollah lance des missiles vers l'Etat hébreu, en soutien au Hamas. L'escalade entre le groupe armé et l'armée israélienne culmine un an plus tard. Le 17 septembre 2024, des bipeurs piégés par le Mossad détonnent à travers le Liban, tuant une douzaine de hauts responsables du Hezbollah et faisant près de 3 000 blessés. L'attaque était préparée depuis 2015 par le renseignement israélien, qui attendait l'opportunité de mettre son plan en œuvre, révélera plus tard le New York Times.

Le 20 septembre, Tel-Aviv lance une offensive en territoire libanais, puis s'attaque directement au chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, tué une semaine plus tard lors de bombardements massifs à Beyrouth. Privé de ses plus hauts responsables et d'une large partie de son arsenal, le groupe armé signe, en décembre, un accord de cessez-le-feu avec Israël.

Des habitants inspectent les décombres des immeubles détruits par la frappe israélienne qui a tué Hassan Nasrallah, le 29 septembre 2024, à Beyrouth (Liban). (HAITHAM MOUSSAWI / AFP)
Des habitants inspectent les décombres des immeubles détruits par la frappe israélienne qui a tué Hassan Nasrallah, le 29 septembre 2024, à Beyrouth (Liban). (HAITHAM MOUSSAWI / AFP)

L'affaiblissement du Hezbollah provoque une réaction en chaîne, se répercutant sur un autre allié majeur de Téhéran : le régime de Bachar al-Assad. Depuis des décennies, la Syrie sert de "hub à l'Iran, pour faire transiter l'argent et les armes destinés" au mouvement libanais, souligne David Rigoulet-Roze. En contrepartie, le groupe armé chiite "est mobilisé dès [le début de la guerre civile syrienne] en 2011 pour défendre le régime" au pouvoir à Damas. Mais le conflit entre Israël et le Hezbollah, contraint de rappeler ses combattants au Liban, laisse le président syrien fragilisé. Le 8 décembre 2024, face à une offensive éclair des rebelles, le régime de Bachar al-Assad tombe, et le président prend la fuite.

La chute d'al-Assad ouvre la voie vers l'Iran

L'armée israélienne se saisit de l'opportunité. Deux jours après la chute du régime, elle bombarde plusieurs centaines de sites militaires, "détruisant une grande partie des capacités aériennes et de défense syriennes", relate Kobi Michael. L'objectif ? "Ouvrir un passage aérien vers l'Iran", de plus en plus isolé. Car la République islamique reste "la priorité" de l'Etat hébreu, selon le chercheur de l'INSS. C'est d'ailleurs sur son territoire que le leader du Hamas, Ismaël Haniyeh, est tué dans une frappe en juillet 2024.

Tout comme il l'a fait avec le Hezbollah, le Mossad a depuis longtemps infiltré l'Iran, dans le but de lui porter un coup majeur lorsque l'occasion se présentera. Les projets d'attaques ont été plusieurs fois écartés, faute d'une préparation suffisante et d'un feu vert de son allié américain, relatent les experts interrogés par franceinfo. Mais après le 7-Octobre, Benyamin Nétanyahou bénéficie dans un premier temps d'un soutien conséquent, "dans son pays comme à l'international", constate Jean-Paul Chagnollaud. L'argument de la légitime défense, utilisé pour justifier deux ans de conflit contre le Hamas à Gaza, sert aussi à motiver une offensive sur le territoire iranien, en juin 2025. 

"Nombre de pays occidentaux, y compris ceux qui critiquent aujourd'hui ouvertement la guerre à Gaza, s'accordent à considérer que le grand perturbateur régional demeure l'Iran, accusé d'avoir embolisé la stabilité régionale depuis plus de 30 ans."

David Rigoulet-Roze, chercheur à l'Ifas

à franceinfo

Israël a l'aval et l'appui logistique des Etats-Unis. "Ce sont les Américains qui ont fourni toutes les munitions et les informations cruciales", relate Lina Kennouche, docteure en géopolitique et chercheuse associée à l'université de Lorraine. Donald Trump va jusqu'à impliquer directement son aviation, en larguant des bombes anti-bunker sur les sites nucléaires souterrains de Fordo et Natanz. Washington avait déjà contribué aux offensives de l'Etat hébreu au Liban et à Gaza, en "l'approvisionnant en armes, en munitions intelligentes" et en lui apportant "un soutien politique total", poursuit Lina Kennouche.

Le président américain, Donald Trump, et le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, lors d'une rencontre à la Maison Blanche, à Washington, le 7 juillet 2025. (ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / AFP)
Le président américain, Donald Trump, et le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, lors d'une rencontre à la Maison Blanche, à Washington, le 7 juillet 2025. (ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / AFP)

En douze jours, Washington et Tel-Aviv détruisent de nombreuses bases militaires, tuent plusieurs hauts responsables et visent des sites clés du programme nucléaire de l'Iran, que les Occidentaux soupçonnent de vouloir acquérir la bombe atomique. Désormais, Téhéran "n'a plus les moyens qui étaient les siens avant le 7-Octobre : il y a une nouvelle architecture régionale, un nouvel équilibre des pouvoirs", juge Kobi Michael.

Signe du déclin de "l'axe de la résistance", le Hezbollah condamne les attaques en Iran, mais se garde de toute réplique militaire contre l'Etat hébreu. Les rebelles houthis du Yémen, pro-Téhéran, ont, eux aussi, vu récemment "leurs capacités militaires sérieusement réduites" par des frappes américaines et israéliennes, note David Rigoulet-Roze.

"Israël a plus que jamais assis sa position de pouvoir régional. (...) Les règles du jeu ont changé : [l'Etat hébreu] ne se contente plus de contenir et dissuader, mais attaque dès lors qu'il est menacé."

Kobi Michael, chercheur à l'INSS

à franceinfo

Deux ans après le 7-Octobre, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou est toutefois encore loin d'avoir atteint tous ses buts de guerre. De l'aveu même du renseignement militaire américain, les frappes en Iran n'ont pas anéanti le programme nucléaire de Téhéran, mais l'ont seulement retardé de "quelques mois".

Au Liban, le Hezbollah, qui reste la cible quotidienne de raids de l'armée israélienne, refuse de se désarmer. Le mouvement islamiste "s'abstient de riposter aux attaques [de Tel-Aviv] mais rien n'indique que cette situation va se pérenniser", souligne Lina Kennouche. Au contraire, il "dit être entré dans une phase de restructuration, afin de se préparer à l'éventualité d'un nouveau conflit avec Israël". "'L'axe de la résistance' a subi des pertes, mais est loin de se considérer comme vaincu dans une guerre toujours en cours", insiste la chercheuse.

Une déstabilisation profonde du Moyen-Orient

L'armée israélienne reste aussi enlisée dans la bande de Gaza, où elle dit chercher à "éradiquer le Hamas". Bien qu'exsangue, le groupe armé palestinien détient toujours une cinquantaine d'otages israéliens et continue d'attirer de nouvelles recrues. Les pressions croissantes de la part de la communauté internationale contre Tel-Aviv, dont les offensives se font au prix de destructions catastrophiques et d'innombrables vies civiles – plus de 4 000 morts au Liban, plus de 1 000 en Iran, au moins 67 000 à Gaza –, ont toutefois commencé à faire bouger les lignes.

Lundi 6 octobre, le Hamas et l'Etat hébreu ont débuté des pourparlers indirects en Egypte, pour discuter d'un plan de paix avancé par Donald Trump pour mettre fin au conflit. Le mouvement islamiste s'est dit prêt à "entamer immédiatement le processus" de libération des otages et à "mettre fin à ses opérations militaires" si l'armée israélienne en fait de même. Il n'a cependant fait aucune mention de son désarmement, point clé de la proposition américaine. "Cela se produira soit diplomatiquement par le plan de Trump, soit militairement par nous", a promis Benyamin Nétanyahou le 4 octobre, alors que son armée poursuivait ses bombardements à Gaza.

Des enfants réclament à manger lors d'une distribution alimentaire dans le camp de réfugiés de Nuseirat, dans la bande de Gaza, le 4 septembre 2025. (EYAD BABA / AFP)
Des enfants réclament à manger lors d'une distribution alimentaire dans le camp de réfugiés de Nuseirat, dans la bande de Gaza, le 4 septembre 2025. (EYAD BABA / AFP)

"Il faut comprendre qu'à partir du 7-Octobre, c'est une guerre d'une autre nature qui démarre [pour Israël]. Derrière l'objectif de battre le Hamas et de libérer les otages, il y a la volonté de liquider la question palestinienne", remarque Jean-Paul Chagnollaud. Le gouvernement de Benyamin Nétanyahou "étouffe la Cisjordanie en laissant le champ libre aux colons" israéliens, tout en "écrasant Gaza et sa population", insiste l'expert. Un plan qui sert les intérêts des partis suprémacistes juifs et de la coalition gouvernementale israélienne, qui veulent étendre les colonies israéliennes et empêcher toute naissance d'un Etat palestinien.

"Benyamin Nétanyahou lui-même a affirmé (...) être engagé dans une mission historique et spirituelle : construire le grand Israël. Nul doute ne subsiste sur la finalité du recours illimité à la force, qui transgresse toutes les règles pour remodeler la région."

Lina Kennouche, docteure en géopolitique

à franceinfo

Pour Jean-Paul Chagnollaud, la stratégie de Benyamin Nétanyahou est vouée à l'échec. Si Israël dispose d'"une incontestable supériorité militaire" sur ses adversaires, deux ans après les attaques du 7-Octobre, l'Etat hébreu a aussi profondément "déstabilisé" la région. "Une recomposition du Moyen-Orient (...) ne peut être établie par la force", sans "compromis, ni diplomatie", s'alarme le chercheur, évoquant le risque de "déclencher des réactions violentes". Et de mettre en garde : "Le chaos provoque le chaos".

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