"Le président de la Syrie Ahmad al-Charaa n'a pas d'expérience de gouvernance, c'est pourquoi il a commis des erreurs", estime un spécialiste

Selon Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève, le président syrien est face à de nombreux défis.

Article rédigé par franceinfo
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Le président syrien par intérim, Ahmad al-Charaa, le 9 mars 2025, à Damas, en Syrie. (- / SYRIAN PRESIDENCY)
Le président syrien par intérim, Ahmad al-Charaa, le 9 mars 2025, à Damas, en Syrie. (- / SYRIAN PRESIDENCY)

Le président syrien "Ahmad al-Charaa n'a pas d'expérience de gouvernance, c'est pourquoi il a commis des erreurs", a déclaré Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève, sur franceinfo jeudi 17 juillet. Depuis dimanche, Soueïda, ville du sud de la Syrie, a été le théâtre d'affrontements entre Druzes et Bédouins qui ont fait plus de 350 morts.

Israël, hostile à toute présence militaire syrienne près de sa frontière et disant vouloir protéger la communauté druze, a répliqué en bombardant Damas et d'autres zones du pays.  
 
franceinfo : est-ce que c'est le signe d'un échec pour le président syrien qui affichait l'ambition d'une transition pacifique du pouvoir ?  
 
Hasni Abidi : C'est un échec, mais c'est un échec programmé, dans la mesure où Ahmad al-Charaa ne dispose pas assez de moyens, financiers ou militaires, pour entamer une transition pacifiée. Et on sait que le coût de la transition est très élevé. Il a fait le pari de se concentrer sur des questions de légitimité de son pouvoir et c'est pourquoi il a adopté un profil rassurant pour toutes les chancelleries occidentales, afin d'obtenir la levée des sanctions. Là, c'est un pari réussi. En revanche, le dossier interne, qui est prioritaire, reste tout de même posé entièrement, surtout celui des relations entre le centre et la périphérie, entre Damas et les minorités. Sachant qu'Ahmad al-Charaa part déjà avec un handicap, celui de ne pas avoir une armée nationale, mais plutôt plusieurs milices rejetées par plusieurs minorités.
 
Chacun se jauge, chacun se défie avec, pour l'instant, une incapacité à unifier de la part du président syrien ? 
 
Il n'a pas d'expérience de gouvernance, c'est pourquoi il a commis des erreurs, mais ce sont des erreurs tout de même qui sont propres à un début de transition difficile. Retirer le Conseil militaire aux Druzes qui avaient jusque-là la capacité exclusive de gérer les questions de sécurité, c'était une erreur. C'était aussi une erreur de ne pas exercer une pression importante sur les tribus bédouines, qui sont aussi armées et qui sont tout autour de la ville de Soueïda. Ces erreurs l'ont fragilisé, l'ont conduit à faire marche arrière et retirer les forces gouvernementales de Soueïda. 
 
Un pouvoir fragile, donc. Au-delà de la Syrie, est-ce qu'il faut s'inquiéter d'un risque d'embrasement ? 
 
L'inquiétude provient du président lui-même. Son discours a montré qu'il était très inquiet. D'ailleurs, il est critiqué dans le monde arabe et aussi critiqué par certains Syriens parce qu'il a adopté un profil presque bienveillant, conciliant avec les Israéliens. Il y avait des contacts indirects via les Émirats arabes unis pour rassurer les Israéliens et pour montrer qu'Ahmad al-Charaa n'était nullement hostile à Israël. Et malgré ce profil et ces assurances, (...) Israël a trouvé une opportunité pour intervenir militairement, à la fois pour gagner sa population druze, mais aussi parce qu'Israël a un plan dans la région, un plan militaire, pas du tout politique. Non seulement pour désarmer la région, mais avoir finalement un environnement complètement vassalisé. Et ça, c'est un gros problème. 

"Oui, il y a un risque d'implosion, un risque de chaos généralisé. Nous ne sommes pas très loin de plusieurs frontières, notamment celle de la Jordanie. Et c'est pour ça que le président syrien a voulu plutôt entamer un retour à la case départ, c'est-à-dire retirer ses forces de Soueïda."

Hasni Abidi

à franceinfo

Il a choisi plutôt de se concentrer sur l'intérieur, malgré les provocations des Israéliens. On voit bien la retenue du président syrien pour ne pas justement allumer un autre front avec les Israéliens. Et on sait que les Syriens aujourd'hui ne disposent plus de capacité militaire, elle a été complètement détruite par Israël. Et ça, c'est aussi un grand problème puisque comment peut-on demander aux autorités syriennes de mettre de l'ordre dans cette région alors que le régime a été privé, suite à ces bombardements israéliens, de toute capacité militaire ? 
 
Qui pour apaiser la situation ? On sait qu'il y a une médiation à la fois des Américains, des Turcs... 
 
Les Turcs sont visés d'ailleurs. Leur réaction est à scruter. Ahmad al-Charaa est quand même leur poulain, ce sont eux qui l'ont parrainé avec les Qataris et ensuite avec l'Arabie saoudite. Et ces provocations (israéliennes) sont aussi destinées aux Turcs qui travaillent pour une consolidation de l'armée (syrienne) et qui ont des positions militaires. Jusqu'à maintenant, les Turcs observent sans réagir, mais je pense qu'à un moment donné, ils vont bouger. Mais ce qui est tout de même curieux, c'est qu'Israël fait le travail que la Russie et l'Iran n'ont pas réussi à faire, c'est-à-dire affaiblir les nouvelles autorités syriennes. Puisque les Russes et les Iraniens sont les premiers perdants de l'arrivée d'Ahmad al-Charaa. Et c'est Israël qui est en train de lui donner des coups et ça, c'est vraiment incompréhensible pour la perspective de paix dans cette région.

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