A quoi pourrait ressembler la "banque de la démocratie" évoquée par François Bayrou lors de sa déclaration de politique générale ?

Le Premier ministre souhaite donner la possibilité aux partis politiques de se financer auprès d'organismes publics. Une idée qu'il défend depuis de nombreuses années.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le Premier ministre, François Bayrou, lors de sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale, le 14 janvier 2025. (TELMO PINTO / NURPHOTO / AFP)
Le Premier ministre, François Bayrou, lors de sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale, le 14 janvier 2025. (TELMO PINTO / NURPHOTO / AFP)

L'accès aux prêts bancaires ne doit pas être un obstacle à la vie politique. François Bayrou a relancé l'idée de créer une "banque de la démocratie" pour que les partis politiques puissent se financer auprès d'"organismes publics" et pas seulement privés. "Je souhaite qu'ils puissent se financer sans avoir besoin de passer par des stratégies de contournement", a déclaré le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale, mardi 14 janvier. Il veut "que le financement des partis politiques ne dépende plus de choix de banques privées mais puisse, éventuellement et en dernier recours, être le fait d'organismes publics, placés sous le contrôle du Parlement."

Cette prise de parole a été applaudie dans les rangs du Rassemblement national (RN). Après sa nomination, François Bayrou avait déjà évoqué brièvement ce point lors de sa rencontre avec les deux leaders du parti, Marine Le Pen et Jordan Bardella. "L'intention est bonne, même si nous ne sommes pas très confiants sur sa mise en œuvre", a déclaré à franceinfo le député Kévin Pfeffer, trésorier du parti. La formation politique essuie régulièrement des refus de la part des établissements bancaires, notamment lors des campagnes présidentielles. "Les prêts de particuliers sont interdits, les banques françaises ne jouent pas le jeu – la Société générale n'accorde plus aucun prêt aux formations politiques – et les banques européennes estiment que ce n'est pas leur rôle", poursuit Kévin Pfeffer.

Un médiateur du crédit aux candidats et aux partis

Le Premier ministre défend cette idée depuis des années. Il a déjà plaidé pour sa création en 2017, alors qu'il était garde des Sceaux et que son parti, le MoDem, a parfois rencontré des difficultés pour financer ses campagnes. La même année, une réforme du financement a interdit aux partis et aux candidats de financer leurs campagnes électorales grâce à des prêts contractés avec des Etats étrangers ou des banques non européennes. Le gouvernement avait été autorisé à créer une "banque de la démocratie" par ordonnance, dans un délai de neuf mois, mais le projet a été finalement abandonné. Un médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques a en revanche "été institué par l'article 28 de la loi du 15 septembre 2017", comme l'écrit sur son site le ministère de l'Intérieur.

Face aux députés, en juillet 2018, la garde des Sceaux de l'époque, Nicole Belloubet, a cité un rapport des inspections générales de l'administration des finances. Celui-ci relevait que "l'accès au crédit (…) relève moins d'une absence d'offre bancaire, que viendrait combler la banque de la démocratie, que de questions d'informations ou de délais, qui pourraient être réglées par le médiateur du crédit". Cette personnalité était alors sur le point d'être nommée, dans le cadre d'une loi Confiance adoptée en parallèle. Lors de l'examen du texte, ce doublon avait déjà été pointé du doigt par le Conseil d'Etat.

Le rôle du médiateur est justement de faciliter les demandes d'ouverture de comptes bancaires pour les mandataires financiers ou les demandes de prêts bancaires. Lors des européennes de 2019, pour autant, le RN a dû lancer un emprunt dit "patriotique" pour financer sa campagne, appelant les Français à participer à hauteur d'un millier d'euros, avec un intérêt de 5%. En vue du même scrutin, la France insoumise, de son côté, a imaginé "une campagne d'emprunt populaire" à hauteur de 400 euros, sans versement d'intérêt. De telles initiatives sont en revanche interdites pour la présidentielle.

Fin 2021, "nous avions rencontré les chefs des partis, des trésoriers et des candidats, dans le cadre d'une évaluation de la loi confiance", explique le député Les Républicains Philippe Gosselin à franceinfo. Et nous en étions arrivés à la conclusion, avec la corapportrice, Yaël Braun-Pivet, qu'un certain nombre de partis rencontraient des difficultés pour obtenir des financements. Aucun établissement public ou privé ne voulait prendre la responsabilité de financer le RN." A cette époque, l'élu s'est déjà exprimé en faveur d'une banque de la démocratie.

"Pas d'idéologie dans le traitement des dossiers"

En septembre 2021, Marine Le Pen, présidente du RN, a adressé un courrier à Emmanuel Macron pour dénoncer les difficultés rencontrées par "bon nombre de candidats potentiels l'élection présidentielle, certains représentant des courants de pensée importants". Sa formation, une nouvelle fois, avait alors essuyé plusieurs refus, avant d'obtenir finalement 10,6 millions d'euros de prêt en se tournant vers une banque hongroise.

"Il fait peu de doutes que l'histoire des relations financières du parti lui nuit encore", car la médiation n'a "pas décelé d'idéologie dans le traitement des dossiers", avec des "critères de sélection [qui] paraissent les mêmes pour tous, a commenté le médiateur du crédit, Jean-Raphaël Alventosa, dans son rapport rédigé après l'élection. La plupart du temps, les prêts obtenus par les candidats à l'élection présidentielle ont été accordés par certaines banques mutualistes.

Jean-Raphaël Alventosa a alors exprimé ses réserves sur l'idée d'une "banque de la démocratie" évoquant une explosion de candidats, un risque de surendettement pour les candidats et les partis, un surcoût potentiel pour l'Etat et le contribuable et des risques d'accusations "d'intervention partisane". Au fil du temps, plaidait le médiateur, "dix lois ont été votées pour cerner de plus en plus précisément les conditions de financement politiques".

"Une banque de la démocratie ne serait probablement pas une réponse définitive à une question récurrente, mais plus probablement une marche arrière."

Jean-Raphaël Alventosa, médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques

dans un rapport de 2022

Le RN peine depuis longtemps à obtenir des prêts auprès des banques – en 2014, ce qui était encore le FN s'est tourné vers un établissement russo-tchèque. "Les banques usent d'arguments plus ou moins fondés sur notre capacité à garantir le prêt, répond aujourd'hui Kévin Pfeffer, mais il sera intéressant d'observer leurs réponses, maintenant que la situation financière s'améliore." Est-ce un gage apporté par François Bayrou au parti d'extrême droite ? "Il y a un vrai sujet", évacue Philippe Gosselin, soulignant une "question d'accès à la démocratie". Il n'est "pas normal qu'un parti politique français soit obligé d'aller ailleurs que vers des banques françaises."

L'élu LR compte saisir la balle au bond dans les prochains jours. "Je dis 'chiche' et je suis prêt à embrayer avec une proposition de loi qui pourrait être transpartisane." Il pense notamment à La Banque postale, qui a déjà un certain nombre d'obligations en matière de services publics, ou à la Caisse des dépôts et consignations. "L'avantage, dans ces deux cas, serait de compléter les établissements déjà existants, sans créer une structure ex nihilo." Reste à savoir également si ce texte prendra en compte les seules élections présidentielles, ou si cet accès aux emprunts sera garanti pour d'autres scrutins. "Quand vous êtes un candidat lambda, par exemple après la dissolution, fait remarquer Philippe Gosselin, comment trouver en quelques jours 10 000 ou 30 000 euros pour mener une campagne législative ?"

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