Condamnation de Nicolas Sarkozy : on vous retrace l'histoire du document de Mediapart à l'origine de l'affaire, que l'ex-président accuse d'être "faux"

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Capture d'écran de l'article de Mediapart publié le 28 avril 2012 avec la note de Moussa Koussa, l'ancien chef des services de renseignements libyens. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)
Capture d'écran de l'article de Mediapart publié le 28 avril 2012 avec la note de Moussa Koussa, l'ancien chef des services de renseignements libyens. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Nicolas Sarkozy estime que la note de l'ancien chef des renseignements libyens révélée en avril 2012 par le site d'information est à l'origine d'un "complot" contre lui. Le document n'était pourtant pas au centre des accusations qui ont mené la justice à le condamner pour association de malfaiteurs.

"Le tribunal a été plus loin en déclarant solennellement que le document Mediapart qui était à l'origine de cette procédure était, je cite, 'un faux'." Jeudi 25 septembre, dès sa sortie de la salle d'audience du tribunal de Paris, après l'annonce de sa retentissante condamnation à cinq ans de prison pour association de malfaiteurs, Nicolas Sarkozy a mis en cause, face à une nuée de micros et de caméras, le site d'information à l'origine de l'affaire. "S'il y a un faux, c'est qu'il y a eu des faussaires, des manipulateurs et donc un complot", a-t-il martelé, trois jours plus tard, dans une interview accordée au Journal du dimanche. L'ancien chef d'Etat fait référence à une note publiée par Mediapart au moment des révélations sur les soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007.

A l'époque, ce document, révélé le samedi 28 avril 2012, durant l'entre-deux-tours de la campagne présidentielle qui oppose Nicolas Sarkozy à François Hollande, fait grand bruit. Car il est mis en ligne juste avant que le président sortant monte sur scène pour un meeting. "Sarkozy-Kadhafi : la preuve du financement", titre Mediapart, qui accompagne son article d'une note de Moussa Koussa, l'ancien chef des services de renseignements libyens. Selon le média d'investigation, ce document, daté de décembre 2006, signé et rédigé en arabe, fait état d'un "accord de principe" pour "appuyer la campagne électorale" de Nicolas Sarkozy, "pour un montant d'une valeur de 50 millions d'euros", sans préciser si le versement des fonds a effectivement eu lieu.

Cette note d'une dizaine de lignes évoque aussi une réunion organisée afin de conclure cet accord, qui aurait eu lieu le 6 octobre 2006 en Libye, en présence de Brice Hortefeux, alors ministre des Collectivités territoriales, d'Abdallah Senoussi, directeur des services de renseignements libyens, de Béchir Saleh, président du Fonds libyen des investissements africains, et de l'intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine.

L'hypothèse d'un "faux" rejetée trois fois par la justice

La bataille autour de la note de Moussa Koussa est lancée. Nicolas Sarkozy dénonce une "infamie", "un faux grossier" et attaque Mediapart en justice. Les débats portent principalement sur la date et la signature de Moussa Koussa qui apparaissent sur la note, dont l'authenticité est remise en cause par la défense de l'ex-président. Le parquet de Paris ouvre une enquête pour faux, usage de faux et publication de fausse nouvelle.

Les juges d'instruction obtiennent de nombreux témoignages, ainsi que des expertises, notamment en écriture. Ils rejettent l'hypothèse d'un faux en mai 2016. La cour d'appel de Paris fait de même en novembre 2017. Nicolas Sarkozy se pourvoit en cassation. Mais en janvier 2019, la Cour de cassation donne raison à Mediapart et, sans pour autant dire qu'il s'agit d'un vrai document, écarte l'accusation de "faux" martelée par l'ancien président de la République.

C'est le 9 janvier 2025 que la note de Moussa Koussa revient sur le devant de la scène, à l'ouverture du procès de l'affaire des soupçons de financement libyen. Lorsque Nicolas Sarkozy prend la parole pour la première fois devant le tribunal correctionnel de Paris, il qualifie de "menteurs" "ceux qui ont fabriqué et diffusé cette soi-disant note sur le financement libyen". Et l'ancien président s'interroge sur le moment de la publication du document – une "étrange coïncidence" – tout en admettant que cette note "n'est plus le centre de l'accusation".

Un document écarté volontairement

De fait, dans leur ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel consultée par franceinfo, les juges d'instruction expliquent que "les contestations relatives à l'authenticité de cette note" les ont conduits "à ne pas la considérer comme un élément central du dossier". Des affirmations que le tribunal rappelle dans les motivations de son jugement, également consultées par franceinfo. "Les magistrats ayant eu à conduire l'instruction pour faux et usage de faux ont été contraints dans leurs investigations à se limiter à la vérification des informations matérielles contenues dans la note et aux caractères intrinsèques du document", souligne-t-il.

De plus, le tribunal estime que les déclarations de Moussa Koussa sur le contenu du document, recueillies au cours de l'enquête, sont "assez confuses". Car l'ancien chef des services de renseignements libyens conteste avoir signé cette note, avant d'utiliser une "formule énigmatique" au sujet du document : "Le contenu n'est pas faux mais la signature est fausse." Par conséquent, le tribunal écarte "la note Moussa Koussa" des éléments qui lui permettent de condamner de Nicolas Sarkozy. Il rappelle que le Parquet national financier a fait de même dans ses réquisitions. "Il n'y a aucun élément qui a permis de corroborer le contenu de la note, qui apparaissait déjà fragile", a souligné la présidente du tribunal jeudi.

"Il apparaît désormais que le plus probable est que ce document soit un faux."

Le tribunal correctionnel de Paris

dans la motivation du jugement

Pour démontrer cette fragilité, le tribunal souligne "l'impossibilité pour Brice Hortefeux d'avoir été présent en Libye à la date indiquée" dans la note de Moussa Koussa, soit le 6 octobre 2006. Or, comme l'ancien ministre, également condamné dans cette affaire, l'a maintenu lors du procès, il était à Clermont-Ferrand à cette date-là.

Des infos confirmées par Mediapart 

"Ce qu'a dit la présidente du tribunal, c'est que ce document n'était pas un élément de preuve pour elle, dans son raisonnement, que le contenu du document n'a pas pu être vérifié par les débats du procès et que d'après elle, il était probablement faux", a estimé le journaliste de Mediapart Fabrice Arfi. "Ce n'est pas parce qu'il y a une erreur de date que ça en fait un faux, a fortiori pour une rencontre qui a vraiment existé", a-t-il encore soutenu lundi sur BFMTV. "La note libyenne révélée par ⁦Mediapart n'est pas un faux", a également affirmé Edwy Plenel, l'un des cofondateurs du site d'information. 

"Avant de publier un tel document, et dans un moment aussi crucial, Mediapart a bien entendu fait toutes les vérifications et authentifications nécessaires", assure le média d'investigation. Le site met en avant le secret des sources et maintient savoir "qui lui a transmis le document et pourquoi, ainsi que les conditions qui ont pu permettre sa sauvegarde". "Il serait suicidaire pour un média de diffuser un document d'une telle importance s'il se révélait un jour falsifié", insiste Mediapart.

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