Récit Gouvernement de Sébastien Lecornu : on vous raconte un mois de tractations qui ont abouti à un casting aux airs de déjà-vu

Article rédigé par Daïc Audouit, Laure Cometti
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Sébastien Lecornu, lors de sa prise de fonction en tant que Premier ministre, le 9 septembre 2025 à l'hôtel de Matignon, à Paris. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
Sébastien Lecornu, lors de sa prise de fonction en tant que Premier ministre, le 9 septembre 2025 à l'hôtel de Matignon, à Paris. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

Après quasiment un mois de consultations avec les partis politiques et les partenaires sociaux, le Premier ministre a finalement dévoilé dimanche soir le casting de son équipe gouvernementale.

On ne connaît pas la durée de vie du gouvernement Lecornu mais on sait déjà qu'il a battu un record. Pas moins de 26 jours se sont écoulés entre sa nomination à Matignon, le 9 septembre, et l'annonce de la composition de son équipe gouvernementale, dimanche 5 octobre sur le perron de l'Elysée. Dans l'histoire de la Ve République, jamais un Premier ministre n'avait pris autant de temps pour constituer son équipe. Pourtant, il y a comme un air de déjà-vu dans ce nouveau gouvernement. Sur les 18 ministres annoncés, pas moins de 12 étaient déjà en poste sous François Bayrou. Alors, pourquoi avoir mis tant de temps avant de reconduire quasiment la même équipe ?

Depuis sa prise de fonction, le Premier ministre de 39 ans suit la feuille de route fixée par Emmanuel Macron et ouvre plusieurs fronts de négociations politiques en parallèle. Face aux menaces de censure des oppositions, il s'agit d'abord d'assurer la rentrée parlementaire et l'atterrissage du budget à partir du début du mois d'octobre. C'est le retour des consultations à Matignon. Le 11 septembre, Sébastien Lecornu reçoit les troupes du socle commun ; le 15, c'est au tour des syndicats de travailleurs, alors qu'un mouvement social national marque la rentrée. Dès le 16, l'Eurois enchaîne les rendez-vous bilatéraux avec les chefs de partis d'opposition. Lors de ces huis clos, il se fixe l'objectif d'obtenir la bienveillance du Parti socialiste (PS) et du Rassemblement national (RN), stratégique en cas de motion de censure.

"S'accorder sur le quoi avant le qui"

A ses visiteurs, il explique qu'il n'y a pas de délais pour former son gouvernement et qu'il n'a pas commencé à réfléchir à sa composition. Il s'agit de "s'accorder sur le quoi avant le qui", résume son entourage, tandis que le nouveau Premier ministre temporise et que le gouvernement démissionnaire assure les affaires courantes.

Pas pressé de dévoiler son casting, Sébastien Lecornu profite de la pause parlementaire, avec une reprise des travaux fixée au 6 octobre dans les deux chambres. "Le Parlement ne siège pas, il a une fenêtre de tir pour prendre le temps de discuter avec la gauche et la droite", observe François Patriat, patron des sénateurs macronistes. Lorsque, deux semaines après sa nomination, Sébastien Lecornu donne sa première interview, il réaffirme son tempo. "Je suis au travail. Je sens un certain décalage entre la vie politico-médiatique parisienne et les intérêts du pays, justifie-t-il dans Le Parisien, le 26 septembre. Les bavardages intempestifs sont inutiles. La session ordinaire démarrera dans les temps à l'Assemblée nationale. Nos institutions fonctionnent, même s'il nous faut surmonter cette crise politique et parlementaire."

Plutôt que de multiplier les prises de parole, l'ancien ministre des Armées poursuit les rendez-vous et les négociations, car il mise sur des orientations budgétaires plutôt que sur un casting gouvernemental penchant à gauche pour obtenir la non-censure des socialistes. Un exercice délicat pour ne pas renier les totems macronistes et surtout provoquer le décrochage des Républicains, avec qui les relations font le yo-yo dans cet entre-deux-gouvernemental.

D'abord prudente sur son maintien au gouvernement, la droite semble rassurée par cet entretien au Parisien où il enterre plusieurs revendications socialistes (la taxe Zucman, le retour de l'impôt sur la fortune et une réforme de l'âge de départ à la retraite). "La semaine dernière, on débattait en interne de notre maintien au gouvernement. Mais l'interview au Parisien a clarifié les choses", retrace une sénatrice LR, le 29 septembre.

Jouer la continuité sans fâcher l'extrême droite

L'adhésion de LR à ces premières pistes se fait néanmoins au prix de crispations socialistes. Pour débloquer le dialogue, le Premier ministre annonce dans la foulée qu'il les recevra une deuxième fois à Matignon, le 3 octobre, avec les autres oppositions, retardant encore davantage la date de l'annonce de son gouvernement. "Ça commence à faire long. À un moment, il faut y aller, d'autant que l'on doit s'attaquer au budget", s'agace-t-on au siège de LR. La droite réclame un contrat à Sébastien Lecornu, avec des engagements, notamment sur l'immigration.

Les ministres démissionnaires, eux, prennent leur mal en patience. "Mes journées sont actives, celle de mes équipes aussi, le travail continue. Même si je ne peux pas faire de sorties officielles dans cette période, j'assure le suivi des dossiers. Je sollicite mes équipes pour des notes, adressées au Premier ministre et au cabinet de Matignon", raconte une ministre démissionaire.

"Comme tout le monde, je trouve cela un peu long, mais la situation est grave et mérite de laisser le temps à la recherche du compromis."

Une ministre démissionnaire du gouvernement Bayrou

à franceinfo

Au sein de ce gouvernement sortant, tous jouent aux bons élèves, certains espérant être reconduits. Car les "ruptures" promises ne passeront pas par un remaniement d'ampleur. Sébastien Lecornu plaide pour une certaine stabilité dans la composition du gouvernement, afin de ne pas bouleverser l'Etat.

Emmanuel Macron plaide pour la continuité, et pour un gouvernement resserré et paritaire. Le chef de l'Etat suit la situation de très près, entre ses déplacements à l'étranger. A son retour de New York après l'assemblée générale des Nations unies, les échanges entre les deux hommes s'intensifient. Contrairement à François Bayrou et Michel Barnier, Emmanuel Macron a une relation franche et de confiance avec son ancien ministre des Armées.

Au fil des semaines, Sébastien Lecornu voit le discours du RN s'infléchir à son égard. "On va attendre le budget et on verra s'il existe des avancées pour les Français", déclare Marine Le Pen, à sa sortie d'une entrevue le 17 septembre. Un sursis bienvenu pour celui qui n'a pas attendu d'arriver à Matignon pour nouer un dialogue avec les cadres du Rassemblement national et dîner avec la députée du Pas-de-Calais, comme elle l'a confirmé sur TF1 le 11 septembre.

Renoncement au 49.3 et dernières tractations avec LR

Alors que la date de reprise des travaux parlementaires approche, le locataire de Matignon tente une dernière fois d'amadouer les socialistes. Au lendemain de la mobilisation du 2 octobre, il envoie quelques signaux à la gauche et aux syndicats, annonçant "une amélioration de la retraite des femmes" et une baisse de l'impôt pour les ménages modestes. Et il abat surtout une dernière carte. "J'ai décidé de renoncer au 49.3", lance-t-il sur le perron de Matignon lors d'une première allocution télévisée bien matinale.

Avec l'aval de l'Elysée, consulté la veille, il donne un gage aux parlementaires et cède à une revendication des socialistes sur laquelle ni Michel Barnier ni François Bayrou ne s'étaient engagés. "Le gouvernement va devoir changer de méthode, bâtir des compromis", prévient-il, assurant que les membres de son gouvernement "devront accepter de rentrer dans une nouvelle méthode de partage du pouvoir" avec le Parlement. Quelques heures plus tard, il fait un nouveau pas vers les socialistes, en promettant une mesure pour le pouvoir d'achat dans le budget.

Tandis que le tandem exécutif planche encore sur le casting gouvernemental, Marine Le Pen enjambe l'enjeu de celui-ci, à la sortie de son deuxième entretien avec Sébastien Lecornu. "Personne n'attend les ministres, personne ne ressent le moindre suspense sur la nomination" du gouvernement, tacle la triple candidate à la présidentielle, vendredi, deux jours après l'élection de deux députés RN à la vice-présidence de l'Assemblée, grâce à l'accord des macronistes. "J'attends le discours de politique générale", prévient-elle.

En parallèle, Les Républicains accentuent leur pression sur le nouveau Premier ministre. Craignant publiquement que le renoncement au 49.3 ne conduise à "une coalition des démagogues" et "au vote d'un budget qui serait contraire aux intérêts supérieurs de notre pays", Bruno Retailleau, ministre démissionnaire de l'Intérieur et patron de LR, met en doute le maintien des membres de son parti au gouvernement. "Bruno a envie de rester, mais il y a de gros trous dans la raquette. Et si on reste alors qu'on n'obtient rien de notre programme, on va s'abîmer pour rien", souffle un cadre LR.

"On a inventé l'autocensure"

Jusqu'au dernier jour, les tractations se sont poursuivies entre LR et Sébastien Lecornu. Lors d'une visioconférence dimanche en début d'après-midi, Laurent Wauquiez a estimé que "les conditions n'étaient pas réunies pour une participation au gouvernement" selon des participants à la réunion auprès du service politique de France Télevisions.

Au contraire, Bruno Retailleau a considéré que la lettre que Sébastien Lecornu a adressée aux cadres du socle commun "répond à certaines attentes mais pas à toutes". "Si on ne participe pas, il n'y aura pas de gouvernement. Cette responsabilité, on doit la peser vis-à-vis de la France", a-t-il ajouté. Un vote a été organisé à l'issue de cette séance. Par 33 voix contre 7, les participants ont choisi de rester au gouvernement. "Cette participation sera une participation exigeante, pas un blanc seing", prévient le parti dans un communiqué.

Mais une fois la composition du gouvernement annoncée, Bruno Retailleau fait publiquement part de son mécontentement, semant le trouble. "La composition du gouvernement ne reflète pas la rupture promise", écrit sur X le ministre de l'Intérieur, qui convoque un comité stratégique du parti.

"Le resserrement autour de Renaissance ne nous semble pas tout à fait correspondre à l'air du temps", euphémise un de ses conseillers. La nomination de Bruno Le Maire cristallise les tensions. A peine devoilé, le gouvernement Lecornu menace déjà d'imploser. "On a inventé l'autocensure", ironise un cadre de Renaissance.

"Trois semaines pour remettre les mêmes, ce n'est pas génial"

Au terme de ces longues semaines de tractations, la promesse de changement ne s'est donc pas traduite par un renouvellement ministériel d'ampleur. Hormis le retour surpise de Bruno Le Maire aux Armées, on retrouve des visages bien connus comme ceux de Bruno Retailleau, Gérald Darmanin, Rachida Dati ou Jean-Noël Barrot. Seuls deux ministres issus des rang de l'Assemblée entrent pour la première fois au gouvernement : Mathieu Lefèvre et Naïma Moutchou. 

Car recruter de nouveaux visages n'est ni l'option la plus stable ni la plus simple. Difficile de convaincre de rejoindre un gouvernement dont la durée de vie est incertaine, à quelques mois des municipales, en mars prochain, et du scrutin présidentiel de 2027. "Plus on approche des échéances électorales, et moins les gens veulent y aller", note une parlementaire LR. "Je n'ai jamais vu un remaniement aussi peu intéresser les gens. C'est donc apaisé. Ça ne se tire pas dans les pattes", abondait encore une députée EPR quelques jours avant l'annonce de dimanche soir. Un conseil de l'exécutif confirme qu'il a été très difficile de séduire des profils issus de la société civile "vu la précarité des gouvernements précédents"

Dans le bloc central, la stabilité est aussi appréciée, même si l'on n'ignore pas le revers de la médaille. "Autant que les ministres qui ont pris connaissance de leurs dossiers puissent les garder dans cette période d'instabilité. Mais avoir pris trois semaines pour remettre les mêmes têtes, c'est sûr que ce n'est pas génial", soupire une sénatrice de droite. 

"Personnellement, ça ne me gêne pas, mais l'opinion va penser qu'on prend les mêmes et qu'on recommence."

Un cadre Renaissance

à franceinfo

Pour cette nouvelle équipe gouvernementale, le plus dur reste à faire, avec une motion de censure déposée par LFI sans doute dans le courant de la semaine et le début des débats budgétaires à l'AssembléeSébastien Lecornu dort toujours à l'hôtel de Brienne, siège du ministère des Armées, comme s'il avait acté qu'il était sur un siège éjectable à Matignon, où il n'occupe pas le logement de fonction. "Je suis le Premier ministre le plus faible de la Ve République", avait-il confié aux responsables syndicaux lorsqu'il les avait reçus pour la deuxième fois, le 24 septembre. Un aveu de faiblesse, ou une preuve de lucidité.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.