"Il ne faut pas surestimer son influence, mais elle existe encore" : quel est le poids de Nicolas Sarkozy, cerné par les affaires, dans la vie politique française ?

Nicolas Sarkozy va connaître son jugement jeudi dans le procès sur le soupçon de financement libyen de sa campagne de 2007. L'occasion d'évaluer si la figure du président de la République compte toujours dans la vie politique française.

Article rédigé par Daïc Audouit
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Les bureaux de Nicolas Sarkozy, situés rue de Miromesnil, à Paris, le 3 juillet 2012. (IAN LANGSDON / EPA / MAXPPP)
Les bureaux de Nicolas Sarkozy, situés rue de Miromesnil, à Paris, le 3 juillet 2012. (IAN LANGSDON / EPA / MAXPPP)

Bien que retraité de la politique, Nicolas Sarkozy a toujours des journées chargées. Au lendemain de son arrivée à Matignon, le 11 septembre, Sébastien Lecornu est allé lui rendre visite dans ses bureaux de la rue Miromesnil. Juste auparavant, Gabriel Attal était passé lors d'un rendez-vous prévu de longue date. Malgré ses condamnations judiciaires et le jugement qu'il doit affronter, jeudi 25 septembre, dans le procès sur les soupçons de financement libyen de sa campagne de 2007, l'ancien président de la République reste un homme dont on cherche le contact.

Les visiteurs du 77 rue Miromesnil, adresse des bureaux de Nicolas Sarkozy, décrivent tous le même rituel : on patiente dans une salle d'attente, avant de pénétrer dans son bureau, qui ressemble un peu à celui qu'il occupait à l'Elysée. L'hôte offre des chocolats et la conversation – qui ressemble le plus souvent à un monologue – peut s'engager. Avant de partir, l'invité a droit à sa petite photo avec l'ancien président de la République, qu'il peut poster sur ses réseaux sociaux. La mécanique est bien huilée.

Un passage obligé pour les politiques de droite en devenir

"Je fais partie des députés qui viennent régulièrement le voir avec plaisir. J'éprouve un très profond attachement pour lui. Mon premier engagement militant a été la campagne présidentielle de 2012", témoigne pour franceinfo Charles Rodwell, député EPR des Yvelines, qui appartient à l'aile droite du parti Renaissance. "C'est évidemment un honneur de discuter avec lui, mais c'est aussi très intéressant d'un point de vue politique : il sait comment gagner une élection". 

"C'est le dernier président de droite à avoir été élu. C'est aussi quelqu'un qui sent parfaitement les aspirations du peuple français. Ses conseils sont donc appréciables."

Charles Rodwell, député EPR des Yvelines

à franceinfo

Nicolas Sarkozy aime rencontrer les responsables politiques qui montent, et qu'il n'a pas connus pendant sa vie politique active. Pour ces "jeunes pousses", c'est une façon d'entrer dans la cour des grands. "On m'a conseillé d'aller le voir en disant que c'était important pour moi", témoigne un autre membre du groupe EPR, élu député en 2022. "Mais je ne suis pas encore allé embrasser la bague", ironise-t-il, se moquant du côté "parrain" du milieu politique. "Je suis partagé. Ça m'impressionne un peu. Même si c'est toujours intéressant d'écouter un ancien président, je ne saurais pas quoi lui dire."

Recherché en dehors de sa famille politique

Il n'y a pas que les espoirs de la droite et du centre qui cherchent à le rencontrer. L'étiquette des visiteurs est plus large. Le 1er juillet, à son initiative, l'ancien chef d'Etat a reçu Jordan Bardella. Cet échange a pu soulever quelques questions, aussi bien chez Les Républicains qu'au Rassemblement national, à propos d'un rapprochement entre les deux partis. "C'est un échange courtois et chaleureux sur la situation politique et l'avenir de la France. Un entretien très humain, mais qui n'a pas de sens politique, car Nicolas Sarkozy n'a pas de fonctions aujourd'hui", tentait aussitôt de déminer un membre de l'entourage du président du RN.

Comment expliquer cette popularité qui demeure, en dépit des affaires judiciaires ? Nicolas Sarkozy a été définitivement condamné à un an de prison ferme sous bracelet électronique dans l'affaire des écoutes, dite affaire Bismuth, et à un an dont six mois ferme dans l'affaire Bygmalion. Il a fait appel de cette seconde décision.

"S'il y a une nostalgie du sarkozysme, c'est la nostalgie d'un pouvoir fort", décrypte un élu francilien. Il peut aussi y avoir des arrière-pensées électoralistes : "Il faut bien comprendre que les électeurs de la 'droite Sarko' de 2007 se retrouvent aujourd'hui un peu dans tous les partis : les libéraux économiques sont chez [Emmanuel] Macron, les fidèles sont restés chez LR et les autres sont éparpillés au RN ou chez [Eric] Zemmour".

"Il a un côté tatie Danielle"

Gabriel Attal et Sébastien Lecornu, parmi les derniers visiteurs en date, ne sont plus des espoirs de leur camp, mais des politiques confirmés. Pourquoi éprouvent-ils alors le besoin de le visiter ? Officiellement, il s'agit le plus souvent d'aller demander des conseils ou d'échanger des points de vue. Mais ses visiteurs y voient aussi une façon de se mettre au niveau de responsabilité d'un chef d'Etat.

Les détracteurs de Nicolas Sarkozy ont une autre explication. Selon eux, il s'agirait de s'attirer les bonnes grâces de l'ancien président, sous-entendant qu'il vaut mieux l'avoir avec que contre soi. "Nicolas Sarkozy a le goût de la punchline. Il a un côté tatie Danielle, très vachard", juge une figure de la droite depuis vingt-cinq ans.

"Il a le sens de la formule qui peut faire très mal et vous coller à la peau."

Une figure de la droite

à franceinfo

En lui demandant un rendez-vous, ses invités reconnaissent son statut et peuvent espérer en retour obtenir des encouragements, voire des compliments. De fait, Nicolas Sarkozy a toujours eu des mots plutôt élogieux à l'égard de Gabriel Attal. De même, la visite de politesse de Sébastien Lecornu a été récompensée. "Nicolas Sarkozy lui a redit son amitié et lui a apporté son soutien" a confié un membre de l'entourage de l'ancien président à Paris-Match, qui a révélé l'entrevue.

Une importante force de frappe médiatique

L'image de Nicolas Sarkozy, ce qu'il a été, ce qu'il représente, comptent. Mais quelle est sa réelle influence ? Pèse-t-il, par ses écrits ou ses mots, sur les décisions politiques et les alliances stratégiques ? A en croire ses détracteurs, qui soulignent ses amitiés parmi les responsables des grands groupes de médias, la force de Nicolas Sarkozy relèverait surtout de sa capacité à voir sa parole relayée publiquement. "Il se vante de pouvoir 'faire' un [journal de] 20 heures en claquant des doigts", rappelle notre figure de droite. "Bien sûr que s'il a envie de 'faire' quatre pages dans Le Figaro, il 'fait' quatre pages dans Le Figaro, mais il ne pèse plus grand-chose", nuance un membre du bureau politique de LR. "Son influence est très surfaite. Il appartient au passé", poursuit-il.

Les interviews au Figaro, justement, publiées à un rythme régulier, lui permettent de commenter la vie politique. Pour Maud Bregeon, ancienne porte-parole du gouvernement de Michel Barnier, l'entretien qu'il a donné en août 2024 prônant l'alliance entre la macronie et LR a été décisif pour l'entrée du Savoyard à Matignon. "Je pense qu'il a un pouvoir. Il reste une des grandes figures tutélaires de la droite. Il ne faut pas surestimer son influence, mais elle existe encore", estime-t-elle. "Mais cela concerne la sphère politique, et plus du tout l'opinion publique : je suis députée des Hauts-de-Seine, et très peu d'électeurs de droite me parlent de Nicolas Sarkozy."

"S'il est condamné à de la prison ferme, c'est fini"

Sa dernière interview au Figaro – dans laquelle il considère "que le RN est dans l'arc républicain" et "qu'il n'y aura pas d'autre solution que la dissolution" – n'est en tout cas pas passée inaperçue dans son camp. "Son appel a la dissolution est à contre-courant des intérêts de la droite. Il assène des vérités avec un air catégorique, mais se trompe souvent. Il est très destructeur de la droite", juge la figure de la droite citée plus haut. Bruno Retailleau, patron du parti LR, invité du 20 heures de France 2 ce jour-là, a été obligé de le contredire publiquement.

C'est donc un Nicolas Sarkozy plutôt isolé politiquement qui va faire face au jugement dans l'affaire du financement libyen. S'il était condamné à de la prison ferme, aurait-il toujours une influence, même réduite, dans le paysage politique ? Au moment d'aborder cette question avant de connaître la sentence du tribunal, les interlocuteurs requièrent tous l'anonymat.

Ses amis rappellent que même en cas de condamnation, l'ancien président – qui pourra faire appel – restera présumé innocent dans cette affaire tant que le parcours judiciaire ne sera pas achevé, et pourra donc continuer à exercer son influence et remplir son carnet de rendez-vous. D'autres admettent "qu'à la fin du mois, cela risque d'être un peu plus compliqué". "S'il est condamné à de la prison ferme, c'est fini", assène, définitive, une élue LR qui semble attendre cette décision pour tourner la page du sarkozysme.

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