Paris sportifs : "On induit l'idée que si on aime le sport, il faut parier", déplore Bernard Basset, président d'honneur d'Addictions France

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Article rédigé par franceinfo - L. Chaumette
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Mardi 16 septembre, Bernard Basset, président d'honneur d'Addictions France, était l'invité du 11/13. Il est notamment revenu sur un récent rapport publié par l'association, qui dénonce un "marketing agressif" de la part des opérateurs de jeu, pouvant favoriser un comportement pathologique.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription du reportage ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.

Lucie Chaumette : Le volume de mise pour les paris sportifs a été multiplié quasiment par trois en cinq ans chez les adultes. Est-ce que ça, c'est inédit ?

Bernard Basset : Oui, c'est inédit et c'est directement la conséquence de la libéralisation du marché qui a eu lieu en 2010, et aussi de l'absence de régulation forte de la part de l'État. Alors c'est vrai qu'il y a une agence nationale des jeux, mais elle n'a pas les moyens suffisants, en personnel mais aussi en juridique. La loi est extrêmement souple. Ça permet aux opérateurs de s'engouffrer et de jouer sur les failles et d'amener les gens à jouer et à jouer constamment.


La démocratisation de l'accès à ces paris sportifs passe notamment par Internet, par les réseaux sociaux ?

Oui, elle passe par Internet, évidemment, parce qu'on peut jouer à toute heure du jour et de la nuit. La nuit, on peut parier sur des événements sportifs qui ont lieu sur un autre continent. On peut jouer sur toutes les plages horaires. Et puis, c'est vrai que les jeux en eux-mêmes sont promus par les réseaux sociaux et par les influenceurs. Il y a des liens qu'on pourrait définir "incestueux" entre les influenceurs et les opérateurs de paris sportifs, où tout le monde gagne sauf les joueurs.

Finalement, c'est un peu de la pub quand on voit des influenceurs qui parlent de paris sportifs et qui en font la promotion. Elle est très agressive, la publicité de cette industrie ?

Elle est extrêmement agressive et extrêmement pernicieuse. Elle agit de deux manières. D'une part, elle s'associe avec l'image positive du sport. Tout le monde aime le sport, évidemment. Mais on induit l'idée que si on aime le sport, il faut parier, qu'il faut jouer. Et ça, évidemment, c'est dommageable pour les joueurs, parce que de toute façon, ils perdent. Et puis, on a des systèmes pour faire entrer les gens dans le jeu : des gratifications, des bonus, où, en fait, on fait rentrer le joueur en lui faisant croire qu'il joue gratuitement. Mais il est entré dans un système qui l'oblige à jouer constamment.


Et ça cible qui, ce genre de mécanismes de publicité ? Est-ce qu'il y a un public qui est plus ciblé que d'autres ?

Oui, les opérateurs ciblent évidemment les jeunes, qui sont les principaux spectateurs du sport. Ils ciblent aussi les personnes en situation de précarité, parce qu'on leur vend l'illusion de gagner, l'illusion de l'espoir de sortir d'une situation difficile. C'est une illusion. Cette promotion est en principe interdite. Tous les opérateurs jouent là-dessus.


Est-ce que vous demandez aujourd'hui une interdiction plus ferme, justement, de ce genre de publicité, de ce genre de promotion ?

Oui. Nous, on demande l'équivalent d'une loi Evin sur les jeux, c'est-à-dire de réguler la publicité, de réguler son contenu, de pouvoir informer, mais de ne pas promouvoir une activité qui, finalement, est dommageable pour les joueurs. Ils s'enferment dans le jeu, ils deviennent addicts, ils ne peuvent plus s'en passer, leur vie sociale tourne autour du jeu, autour des paris. Et évidemment, leurs finances en sont affectées, mais aussi leur vie sociale, leur vie affective. Ils s'isolent, ils jouent.


Dans le rapport dont on parle aujourd'hui, on apprend qu'il y a 20 % des garçons de 17 ans qui ont déjà parié l'année précédente, et 2,7 % pour les filles. Ce n'est pas interdit, normalement, de parier pour les mineurs en France ?

Si, les paris sont interdits pour les mineurs. Mais bien entendu, c'est très difficile à réguler, en particulier sur Internet. Les opérateurs le savent et, évidemment, jouent là-dessus et attirent les mineurs dans le jeu.


Ça signifie qu'on ne régule pas ou que les mineurs arrivent à trouver des failles ? Il n'y a pas de contrôle ou ce sont des contrôles trop faciles à passer ?

Ce sont des contrôles très faciles à passer. Les contrôles dépendent de l'Autorité Nationale des Jeux, qui n'a pas de moyens. Si vous voulez, en trois ans, l'Autorité Nationale des Jeux n'a pu interdire qu'une seule campagne.


Comment vous expliquez qu'on ne donne pas les moyens à cette autorité-là ? C'est un choix politique, il y a des intérêts économiques derrière. Comment vous, vous l'analysez ?

Il y a plusieurs facteurs. Il y a effectivement l'état des finances publiques. Ce sont des opérateurs qui dépendent de l'État, il n'y a pas tellement d'argent. Mais il y a aussi la pression des opérateurs. Les opérateurs, c'est un acteur économique. C'est un acteur économique et, en tant que tel, évidemment, il est l'interlocuteur de Bercy. Il lui dit : "Je suis un employeur, j'apporte aussi des recettes fiscales, donc ménagez-moi et ne soyez pas trop méchants avec moi."


Comment se remarque cette dépendance aux paris sportifs ?

Elle se remarque quand les gens passent la plupart de leur temps devant leur ordinateur à jouer. C'est-à-dire que le jeu s'impose dans la vie courante. Et c'est ça qui prime. C'est ça qui devient prioritaire par rapport à autre chose : aller au cinéma, aller voir un match, par exemple, ou passer du temps avec son petit ami ou sa petite amie. Le jeu prend peu à peu la place de toutes les autres activités. L'aggravation de cette situation, la place de plus en plus importante du jeu dans la vie, est le signe révélateur d'une addiction.


Ce soir, il y a le match Real Madrid-Olympique de Marseille en Ligue des Champions. Un match qui va être très suivi en France et qui peut justement en amener certains à faire des paris sportifs. Qu'est-ce que vous avez envie de dire à celles et ceux qui nous regardent et qui se disent que peut-être un de leurs proches a un problème justement d'addiction avec les paris sportifs ?

Si les proches s'aperçoivent qu'il y a un problème, il faut les adresser soit à un addictologue, soit à une structure comme celle qu'on anime, et qui peuvent les aider. Mais le premier message qu'on peut passer, c'est : "Vous allez voir un match, profitez du match. Ce n'est pas la peine de parier pour autant."

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