Crise politique en Roumanie : un pays cible de la Russie et sous pression des États-Unis

La Roumanie traverse une profonde crise démocratique depuis l'annulation de l'élection présidentielle en fin d'année dernière, après des soupçons d'ingérence étrangère. L'interdiction de la candidature de Calin Georgescu, arrivé en tête à la surprise générale, nourrit le ressentiment d'une partie de la population, et l'extrême droite confirme sa poussée.

Article rédigé par Nicolas Teillard
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Des partisans du candidat à la présidentielle Calin Georgescu affrontent la police lors d'une manifestation près du Bureau électoral central à Bucarest, le 9 mars 2025. (DANIEL MIHAILESCU / AFP)
Des partisans du candidat à la présidentielle Calin Georgescu affrontent la police lors d'une manifestation près du Bureau électoral central à Bucarest, le 9 mars 2025. (DANIEL MIHAILESCU / AFP)

Après des mois de tensions et de crise institutionnelle, la Roumanie verra finalement son élection présidentielle avoir lieu le 4 mai prochain. Un scrutin pourtant organisé en fin d'année 2024, mais purement et simplement annulé avant le second tour, fait inédit dans l'Union européenne, sur fond de soupçons d'ingérence russe.

Rappel des épisodes précédents, histoire de vous rafraîchir la mémoire. Fin novembre 2024, un candidat sorti de nulle part ou presque, Calin Georgescu, arrive en tête du premier tour de la présidentielle avec près de 23% des voix, et alors que les sondages ne lui donnaient que quelques points à trois semaines du scrutin. Un succès bâti sur une popularité fulgurante sur les réseaux sociaux pour cet ancien haut fonctionnaire de 62 ans, aux discours populistes et prorusses. Lors des derniers jours avant le vote, ses publications cumulent des dizaines de millions de vues, ce qui lui vaut le surnom de "candidat TikTok", et qui met la puce à l'oreille aux autorités roumaines.

Les services de renseignement vont alors découvrir une vaste opération d'influence, mise en œuvre par "une organisation étatique", terme choisi pour désigner l'évidence, à savoir la Russie. L'enquête montre l'apparition d'au moins 25 000 comptes TikTok, subitement hyperactifs à l'approche du vote. Mais aussi le soutien de dizaines de comptes influents en Roumanie, approchés par de mystérieux commanditaires pour faire la promotion du candidat, qui déclare pourtant n'avoir pas dépensé le moindre euro pour sa campagne !

Enquête puis interpellation

En cherchant à remonter la trace de ces soutiens opportuns, les enquêteurs tombent sur un personnage sulfureux, Bogdan Peschir, implanté dans les cryptomonnaies, et des perquisitions permettent aussi de découvrir toute une organisation, presque paramilitaire, dans l'entourage de Calin Georgescu. Un arsenal est mis au jour, des lingots d'or dissimulés en quantité, et le garde du corps du candidat, Horatiu Potra, soupçonné d'avoir préparé l'opération des mois à l'avance, se révèle avoir des liens avec la milice russe Wagner, tout en cachant 900 000 euros en liquide sous son plancher.

Une enquête qui conduit à l'interpellation spectaculaire de Calin Georgescu, arrêté en pleine rue en février 2025. Notamment poursuivi pour financement illégal et fausses déclarations, il est aujourd'hui placé sous contrôle judiciaire, et sa candidature à la présidentielle a été définitivement rejetée début mars par la Commission électorale et la Cour constitutionnelle.

La colère des partisans de Calin Georgescu 

Fin de l'histoire ? Au contraire... Soutenu par ses partisans, Calin Georgescu crie à la manipulation, et dénonce "une tyrannie" dictée par l'Europe pour faire annuler un résultat qui ne lui plaît pas. Un discours qui porte chez une partie de la population roumaine qui estime qu'on lui a volé l'élection, et le candidat déchu surfe sur la défiance vis-à-vis des institutions pour nourrir ce ressentiment. Il reçoit par ailleurs un soutien de poids, avec des figures de l'administration Trump qui volent à sa rescousse. Elon Musk en personne qualifie de "décision folle" le rejet de sa candidature, et le vice-président américain, J.D. Vance, en fait publiquement "un symbole des atteintes aux libertés" en Europe.

Tout cela fait du cas roumain un concentré de l'époque : un pays de l'UE et de l'Otan, (par ailleurs frontalier de l'Ukraine...) cible de la Russie et sous pression des États-Unis. Mais aussi un pays confronté à des difficultés sociales et à une vie politique sclérosée et marquée par la corruption, où l'épisode renforce les fractures de la société, et fragilise un peu plus encore la démocratie.

Dans ce paysage, l'extrême droite est aux aguets. Après avoir vu ses scores bondir lors des derniers scrutins, son chef de file compte rallier les déçus de cette situation rocambolesque. Fondateur du parti AUR (l'Alliance pour l'unité des Roumains), Georges Simion, qui était arrivé en quatrième position en novembre, est aujourd’hui en tête des intentions de vote dans les sondages, crédité de plus de 30% des voix pour le premier tour de la présidentielle, prévu dans un peu plus d'un mois. Georges Simion organise  mercredi 26 mars un grand rassemblement devant le siège du gouvernement. La date ne doit rien au hasard, c'est l'anniversaire de Calin Georgescu. 

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