En Turquie, le dernier magazine de caricatures politiques attaqué de toutes parts après un dessin controversé

Un dessinateur et des responsables du magazine sont sous les verrous, accusés d'avoir manqué de respect au prophète.

Article rédigé par Marie-Pierre Vérot
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Des manifestants protestant contre le dessin incriminé du magazine LeMan, le 1er juillet 2025 devant la mosquée Taksim à Istanbul (OZAN KOSE / AFP)
Des manifestants protestant contre le dessin incriminé du magazine LeMan, le 1er juillet 2025 devant la mosquée Taksim à Istanbul (OZAN KOSE / AFP)

Le magazine satirique LeMan est accusé d'avoir caricaturé le prophète, ce dont se défendent l'auteur du dessin incriminé et trois responsables du journal, tous aujourd'hui sous les verrous. Le dessin montre deux personnages représentés en anges qui se retrouvent au ciel. "Salam Aleykoum, je suis Mohamed", dit l'un. "Aleyhem Shalom, je suis Moïse", répond le second. Au-dessous d'eux, une ville écrasée par les bombes. Dogan Pehlevan, le caricaturiste, explique qu'il a voulu "souligner l'absurdité de la guerre, montrer que les âmes peuvent s'entendre", avant de demander : "Mais faut-il être mort pour s'en rendre compte ?"

Le dessinateur a été écroué pour insultes publiques aux valeurs religieuses ainsi que trois responsables du journal : le directeur du contrôle de gestion, le graphiste et le directeur de la rédaction, violemment arrêtés. Une vidéo publiée par le ministre de l'Intérieur montre notamment le rédacteur en chef plaqué au sol chez lui et traîné pieds nus dans la rue avant d'être emmené. Deux autres mandats d'arrêt ont été émis, contre le fondateur et rédacteur en chef aujourd’hui à l'étranger et un autre journaliste. Le président Erdogan n'a pas attendu la fin de l'enquête pour fustiger une "provocation infâme", "un crime de haine dont les auteurs devront rendre compte pour avoir manqué de respect au prophète". Autant dire qu'ils sont déjà condamnés.

Le magazine pris pour cible dans la rue et par le pouvoir

Dès lundi soir, des heurts ont éclaté devant le local du journal, que voulaient brûler des islamistes appelant à la charia. Puis le lendemain, c'est devant la mosquée de la place Taksim, normalement interdite à toute manifestation, que les plus radicaux ont hurlé leur haine du magazine : "LeMan salauds, ont-ils notamment crié, souviens-toi de Charlie Hebdo". Le magazine et son fondateur Tuncay Akgün sont des proches de l’équipe de Charlie Hebdo, à laquelle ils avaient apporté leur soutien lors de la tuerie de janvier 2015. 

Tuncay Akgün, fondateur du magazine LeMan, à Istanbul en mai 2023 (MARIE-PIERRE VEROT / RADIO FRANCE)
Tuncay Akgün, fondateur du magazine LeMan, à Istanbul en mai 2023 (MARIE-PIERRE VEROT / RADIO FRANCE)

"Durant ma longue carrière de caricaturiste j'ai fait face à des dizaines d'attaques comme celle-ci. Cela fait 45 ans que je suis caricaturiste. Mais je n'ai jamais vécu quelque chose d'aussi terrible, d'aussi violent, déplore Le fondateur de LeMan, Tuncay Akgün. Car ils nous instrumentalisent dans leur lutte pour rester au pouvoir. Ils nous terrorisent et ont mis nos vies en danger. Et, en plus de cela, ils le font en manipulant une caricature dans une totale mauvaise foi. Notre travail est extrêmement sensible. Nous l'exerçons dans des conditions déjà très difficiles."

"Ce n'aurait pas dû être le prix à payer. Nous sommes extrêmement tristes. En fait c'est peu dire : nos cœurs sont en mille morceaux."

Tuncay Akgün

Son magazine fait aussi l'objet d’une enquête financière, le pouvoir voyant la main de l'étranger. En fait LeMan est très critique de l'AKP du président Erdogan et dans le viseur de trolls proches du pouvoir depuis bien longtemps. Il a fallu ce prétexte bien ténu pour le faire taire. Le dessinateur a d’ailleurs été aussi inculpé pour insulte au président.

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