Éric Zemmour contre les "ennemis du peuple"
Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
Retour sur le premier discours du candidat Éric Zemmour, qui se tenait dimanche 5 décembre à Villepinte devant plus de 10 000 personnes. Il a parlé d’immigration, de baisse des impôts, mais aussi du "lien spécial" qui l’unit au peuple français. Un discours populiste certes, mais pas uniquement, j’y reviendrai. Pour lors, j’aimerais en effet m’arrêter sur un thème qu’Éric Zemmour a développé amplement, celui du lien si particulier qui l’unirait au peuple français : "A chacun de mes déplacements, ils enragent, en voyant ce peuple qu'ils pensaient à jamais disparu. S'ils me détestent, c'est parce qu'ils vous détestent. S'ils me méprisent, c'est parce qu'ils vous méprisent. Vous êtes arrivés, nous sommes arrivés, et nous avons bouleversé les plans les mieux établis." Ça, c’est un sophisme. C’est même la définition du sophisme par division : ce qui est vrai pour la partie serait vrai pour le tout, et inversement.
En l’occurrence, Éric Zemmour faisant partie du peuple, si ses adversaires le méprisent, c’est qu’ils méprisent aussi le peuple. D’une part, il faudrait déjà prouver qu’Éric Zemmour suscite réellement du mépris, ce qui ne me paraît pas évident. Et, d’autre part, l’affirmation ne va absolument pas de soi : on pourrait mépriser Éric Zemmour, sans pour autant mépriser tous les groupes auxquels il appartient. Mais peu importe, l’objectif de cette affirmation n’est pas d’être rigoureuse, mais de générer du ressentiment chez ses auditeurs ; d’utiliser ce ressentiment pour souder une identification entre Éric Zemmour et le peuple ; et d’opposer cette alliance à un adversaire. C’est "vous et moi" contre "ils".
Populisme et rhétorique singulière
Et qui est-il alors, cet adversaire qui méprise le peuple ? C’est toute la question en effet, et Éric Zemmour y répond très explicitement : "A chaque élection, le système exclut soigneusement les candidats qui lui déplaisent avec ses juges aux ordres et ses journalistes militants. Nos meetings dérangent les journalistes, agacent les politiques et hystérisent la gauche. Ils veulent nous interdire de défendre nos idées. Ils veulent me rendre inéligible, ils veulent vous voler la démocratie. Ne les laissons pas faire." Un peu plus tard, Éric Zemmour rajoute également Les Républicains et Emmanuel Macron ; et pour finir, "le système". Voilà donc ceux qui veulent "voler la démocratie" au peuple. Et ça y est. Le puzzle est complet. Éric Zemmour se décrit en seul représentant d’un peuple qui aurait été trahi par tous les pouvoirs, politiques, judiciaires et médiatiques. Cette opposition, c’est la définition exacte de ce qu’en science politique on a appelé le populisme.
Le problème, c’est que cette description peut s’appliquer aussi à beaucoup d’autres responsables politiques. Est-ce qu’affubler Zemmour de ce qualificatif, ce n’est pas une manière de le décrédibiliser ? On retrouve cette structure rhétorique chez Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, et on l’a même entendu dans certaines déclarations de Nicolas Sarkozy. Si bien, d’ailleurs, que le mot "populisme" a fini par ne plus rien vouloir dire. Mais je crois qu’avec Éric Zemmour, il est temps de le ressortir du placard à concepts. Pour deux raisons. La première, c’est une question de degrés. Chez Éric Zemmour, l’opposition entre "le peuple" et "le système" n’est pas anecdotique, elle structure l’intégralité de son discours. La deuxième raison, c’est une question de nature. Il y a, dans la rhétorique d’Éric Zemmour quelque chose de singulier : "Nous allons récupérer la France contre les cyniques et les vaniteux, contre ceux qui n'ont que le mépris et la morgue au fond des yeux, contre tout ceux qui veulent nous faire disparaître. Nous nous levons. Le peuple français se tient face à tous ceux qui veulent le faire disparaître, face à tous ceux qui veulent priver ses enfants d'héritage et de grandeur. Ce peuple français qui ne baissera jamais les yeux face à ceux qui ont juré sa perte. Notre existence en tant que peuple français n'est pas négociable."
Dans le discours d’Éric Zemmour, les individus qui composent le système n’ont pas simplement échoué, failli, ni même trahi le peuple. Ils ont "juré sa perte" ; ils veulent le "faire disparaître" et menacent jusqu’à son "existence". Autrement dit, ils auraient une intention maligne, voire perverse. C’est une distinction qui me paraît fondamentale. Cette distinction, c’est celle qui sépare l’adversaire de l’ennemi. Celle qui distingue celui qui nous combat de celui qui veut nous détruire. Celui que l’on affronte par les urnes de celui contre lequel on lutte par tous les moyens nécessaires. Cette ligne porte un nom : c’est celle de la démocratie représentative, c’est-à-dire de l’ensemble des procédures qui nous permettent de régler pacifiquement nos désaccords collectifs. Il me semble que, dimanche, dans son discours, Éric Zemmour a mis le pied sur une ligne, celle qui borne la rhétorique démocratique.
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