Violences dans le cinéma : "Si l'interruption d'un tournage coûte à l'agresseur, là, il va avoir peur", estime Sara Forestier

Sara Forestier a témoigné en novembre 2024, devant la commission d'enquête parlementaire sur les violences sexistes et sexuelles dans le monde du cinéma. Sa prise de parole a été une révélation pour l'auditoire autant que pour elle-même.

Article rédigé par Sandrine Etoa-Andegue
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Sara Forestier, lors de la 81e Mostra de Venise, le 30 août 2024. (JB LACROIX / FILMMAGIC / GETTY)
Sara Forestier, lors de la 81e Mostra de Venise, le 30 août 2024. (JB LACROIX / FILMMAGIC / GETTY)

Le 7 novembre 2024, devant la commission d'enquête parlementaire sur les violences sexistes et sexuelles dans la culture, Sara Forestier, 38 ans, émeut l'auditoire. Lors d'un témoignage édifiant et sans fard, elle raconte ce qu'elle a subi depuis ses débuts en tant qu'actrice, dès l'âge de 13 ans, et elle accuse un acteur, de l'avoir frappée lors d'un tournage en 2017.

Le nom de l'acteur Nicolas Duvauchelle sera révélé plus tard. Présumé innocent, il conteste. Deux plaintes sont en cours. Après son agression, la comédienne, doublement césarisée, explique qu'elle est restée plusieurs années silencieuse et loin des plateaux de cinéma. Mais ce jour-là, elle explique pourquoi c'était si important de s'exprimer sans détour devant les parlementaires : "Ça touche tellement au niveau de l'affect que j'étais extrêmement fébrile. J'ai tout préparé toute seule, dans ma chambre avec mon téléphone portable, raconte-t-elle. J'ai commencé à 13 ans, et tous les assauts sexistes, sexuels que j'ai pu vivre. C'était important d'avoir une trajectoire exhaustive."

"Dans le métier d'actrice, on subit un harcèlement constant. On ne se rend pas compte."

Sara Forestier

à franceinfo

"C'est après avoir parlé devant la commission, plusieurs mois après, que j'ai réalisé l'ampleur, poursuit l'actrice. Pour tout vous dire, je me suis dit il n'y a pas très longtemps, qu'en fait je suis une survivante". Pour la comédienne, l'impunité des acteurs agresseurs tient au fait que les remplacer en plein milieu d'un tournage est beaucoup trop coûteux pour la production, "des milliers d'euros, des millions même", parce qu'il faudrait retourner toutes les scènes déjà faites. "Donc la plupart du temps, ce qu'on faisait, déplore-t-elle, c'est qu'on mettait sur le côté la fille qui avait été agressée et on lui disait : 'prends sur toi parce que l'acteur, on ne peut pas le virer, ça coûterait trop d'argent'".

Faire porter une responsabilité financière à l'auteur des faits

La solution serait donc de faire porter la responsabilité d'une interruption de tournage et le coût qui s'ensuivrait à l'agresseur. "Si tout d'un coup, ça lui coûte de l'argent, si la perte d'argent lui incombe, là il va avoir peur", assure Sara Forestier. 

La comédienne insiste aussi sur la partialité des enquêtes menées par les productions qui favorisent ses enjeux financiers. Elle appelle à une "externalisation de ces enquêtes", notamment par l'intermédiaire de l'inspection du travail. "C'est totalement anormal que le cinéma français ait été si peu inspecté, dénonce-t-elle, ça faisait comme une zone de non droit".

À la suite de cette prise de parole, Sara Forestier a reçu de nombreux témoignages d'autres secteurs économiques qui racontaient trop souvent la même chose : "Plusieurs personnes m'ont raconté avoir été licenciées après avoir dénoncé une agression, c'est assez récurrent, assure-t-elle, ça montre une espèce de mécanisme qui opère dans plein d'endroits de la société". Et cet épisode a aussi été l'occasion pour l'actrice de jauger son milieu. "Le milieu du cinéma n'est pas du tout à la hauteur, fustige-t-elle, en fonction de si on vous aime ou pas, ils vont écouter ou pas si vous êtes victime. Il ne faut pas être naïf, c'est une volonté aussi de ne pas s'attaquer au problème", estime-t-elle.

Aujourd'hui, son combat est devenu prioritaire sur sa carrière. Et l'une de ses priorités actuelles, insiste l'actrice, c'est la lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants, après l'affaire Joël Le Scouarnec.

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