"L'exploration Tara : en route vers le Grand Nord" (1/6) : un chantier hors-norme

C'est à Cherbourg, aux Constructions mécaniques de Normandie (CMN), que le bateau prend forme, dès le mois de juillet 2024. Un navire à bord duquel un équipage et des scientifiques passeront de longs mois d’hiver, pris dans la glace, se laissant dériver au gré du déplacement de ces masses d’eau gelée.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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La Tara polar station en construction aux Constructions mécaniques de Normandie (CMN) à Cherbourg, le 3 septembre 2024. (PG-CMN-FondationTaraOcean)
La Tara polar station en construction aux Constructions mécaniques de Normandie (CMN) à Cherbourg, le 3 septembre 2024. (PG-CMN-FondationTaraOcean)

La Fondation Tara Océan s'est fixée un programme ambitieux : organiser dix expéditions de longue durée en Arctique sur les vingt prochaines années pour mieux comprendre l'évolution de cette région polaire, encore mal connue, et son phénomène de rétrécissement de la banquise sous l'effet du dérèglement climatique. Pour relever ce défi, ses dirigeants, Étienne Bourgois et Romain Troublé, ont imaginé un bateau inédit, la Tara polar station, conçu pour se faire prendre dans la glace et dériver avec elle. Ce navire, une véritable "station dérivante", est équipé de tout le nécessaire scientifique et vital pour opérer dans l'univers extrême du Grand Nord. Avec ses dimensions atypiques de 26 mètres de long et 16 mètres de large, sa forme ovale et sa construction en aluminium gris, la Tara polar station est qualifiée de "projet fou qui marque l'époque".

Dans ce premier épisode du podcast, l'histoire de sa construction débute à Cherbourg, aux Constructions Mécaniques de Normandie (CMN). Le chantier naval est habitué aux navires de guerre, mais, en juillet 2024, il a vu prendre forme ce bateau unique dans son vaste hangar baptisé "nef Arctique". Le chantier est un environnement assourdissant, exigeant le port constant de protections et où les ouvriers, dont de rares femmes soudeuses, travaillent dans des conditions physiques intenses, la chaleur et le bruit, pour assembler les 250 tonnes d'aluminium destinées à résister à des conditions extrêmes.

Une conception révolutionnaire pour la science

Romain Troublé, directeur général de la Fondation Tara Océan, explique que ce projet a été mûri pendant dix ans, avec quatre ans consacrés à la phase opérationnelle de levée de fonds et de conception. Le bateau a été conçu par l'architecte Olivier Petit, avec le bureau d'études Mauric et Capgemini Engineering, et sa construction est surveillée par le Bureau Veritas, qui a imposé une structure d'une solidité et d'une densité "jamais vue" dans l'histoire maritime. La nécessité d'un nouveau navire s'explique par les limites de la goélette Tara, utilisée lors de précédentes expéditions. Si Tara a déjà effectué une dérive au Pôle Nord il y a 15 ans, elle n'a pu collecter le vivant en hiver, car les opérations sur le pont étaient impossibles en raison du froid, de la neige et du vent.

Le nouveau bateau est spécifiquement conçu pour permettre le travail scientifique à l'intérieur, grâce à une "moon pool", un puit qui donne accès de l'intérieur du bateau à la mer. Sa forme arrondie en aluminium ne vise pas à "résister à la glace", mais à "s'échapper de la pression de la glace", permettant au navire de remonter sur la banquise plutôt que d'être écrasé par les mouvements des plaques continentales de glace. Les espaces intérieurs du bateau sont conçus pour être à la fois des lieux de convivialité et des espaces d'isolement, comparables à un "refuge de haute montagne" ou une "capsule spatiale". Un défi technique majeur a été de résister à la prise dans la glace et d'assurer une isolation exceptionnelle. L'objectif est de maintenir une température de 18 degrés à l'intérieur, alors que l'extérieur peut atteindre des moyennes de -20 degrés, avec des extrêmes à -50 degrés. Pour cela, la Tara polar station est dotée de 300 mm d'isolation et d'un système de ventilation parallèle pour éviter l'accumulation d'humidité. Les installations intérieures, incluant les moteurs, systèmes électriques, de ventilation, et les laboratoires, transformeront ce bateau en une plateforme scientifique de pointe.

Après près d'un an de travaux menés tambour battant, l'assemblage des deux parties du bateau – la coque flottante et la superstructure en forme de géode, une sorte d'iglou d'aluminium bardé de vastes fenêtres – a été achevé. La mise à l'eau de ce navire de 150 tonnes d'aluminium, un "jalon très important" selon le capitaine Martin Hertau, a eu lieu fin septembre. Cette opération délicate, programmée sur plus d'une heure pour vérifier l'étanchéité, a connu un imprévu : une infiltration d'eau autour d'une pièce de capteurs scientifiques, nécessitant l'interruption temporaire de la manœuvre pour réparation. Bien que mineur, ce défaut d'étanchéité a entraîné des retards de plusieurs heures, inhérents aux opérations complexes de mise à l'eau d'un tel géant, exigeant patience et coordination avec les marées. Une fois cette étape validée, les équipes pourront finaliser les aménagements intérieurs pour préparer le navire à sa première expédition vers l'Arctique.



"L'exploration Tara : en route vers le Grand Nord", Un podcast de six épisodes en immersion à bord de la Tara polar station avec les journalistes de franceinfo Olivier Emond, Anne Le Gall et Boris Hallier, en partenariat avec la Fondation Tara Océan. À retrouver sur le site de franceinfo, l'application Radio France et plusieurs autres plateformes comme Apple podcasts, Podcast Addict, Spotify, ou Deezer.

Production : Olivier Emond, Boris Hallier et Anne Le Gall | Réalisation : Marie Plaçais | Coordination : Pauline Pennanec’h | Prise de son : Hélène Langlois, Johanna Gabric, Julien Girard, Marc Garvennes, Corentin Bailly et Benjamin Reyes | Mixage : Raphaël Rasson

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