Tea, une application créée pour protéger les femmes vire au cauchemar

Créée en 2023 par l’Américain Sean Cook, l'application Tea se présente comme une réponse directe aux inquiétudes des femmes sur les applications de rencontre. Son slogan, "le Yelp des hommes", promettait de pouvoir lire des commentaires sur un partenaire potentiel comme on trouve, sur le site Yelp, des avis sur des hôtels ou des restaurants.

Le principe est simple. Une utilisatrice poste la photo d’un homme, et d’autres peuvent partager leur expérience, signaler des "red flags" (drapeaux rouges, c’est-à-dire des signaux de comportement problématiques révélant des caractères jaloux, menteurs, infidèles ou violents). En deux ans, l’application revendique plus de 4,6 millions d’abonnées et a même atteint la première place de l’App Store durant l’été 2025.

Sean Cook dit s’être inspiré des Whisper networks, ces réseaux informels où les femmes s’échangent discrètement des informations pour signaler des harceleurs ou des agresseurs. Dans Tea, il suffit d’entrer un prénom et une photo. L’algorithme recoupe avec les profils des applis de rencontre, et si d’autres femmes connaissent déjà cet homme, elles peuvent témoigner de leur expérience.

Dans la continuité des groupes Facebook

L’idée de Tea n’est pas totalement nouvelle. L’application reprend le concept des groupes Facebook "Are we dating the same guy ?", créés à New York en 2022 par Paola Sanchez. Ces communautés rassemblent aujourd’hui des millions de membres, dont un groupe francophone à Paris. Il s'agit de publier la photo d’un homme rencontré sur une application de rencontre avec cette question directe : "Vous aussi, vous sortez avec lui ?"

Ces espaces fonctionnent comme des lieux d’entraide entre femmes, où se mêlent sororité numérique et parfois révélations salutaires. Tea entendait en être la déclinaison technologique et plus systématique.

Deux fuites de données massives

Le rêve d’entraide a rapidement viré au cauchemar. Fin juillet, puis en août 2025, deux fuites de données spectaculaires frappent l’application. Quelque 72 000 photos et plus d’un million de messages privés se retrouvent en libre accès sur 4chan, un forum en ligne connu pour abriter de nombreux militants masculinistes.

Parmi les données exposées : des conversations intimes sur la sexualité, des confidences sur l’avortement, des témoignages de violences sexuelles, mais aussi des numéros de téléphone. Autant d’informations exploitables pour le harcèlement en ligne. D'autre part, heureusement que certains hommes ont gardé leur sens de l'humour en apprenant qu'ils étaient notés sur l'application. 

Sean Cook a tenté de rassurer, affirmant que la sécurité serait renforcée. Mais difficile de ne pas voir dans Tea un modèle économique très lucratif, basé sur les confidences les plus sensibles de ses utilisatrices. Le média spécialisé 404Media a révélé que Cook avait même tout fait pour affaiblir les groupes Facebook concurrents afin de capter l’exclusivité de ce marché.

Une époque post-MeToo sous tension

L’affaire Tea illustre les contradictions de la tech post-MeToo. D’un côté, la promesse d'offrir aux femmes un outil d’entraide et de protection face aux comportements toxiques dans les rencontres amoureuses. De l’autre, un produit exposant les utilisatrices à de nouveaux risques.

En deux ans, Tea est donc passée du statut d’application "sororité" à symbole des dangers de l’économie numérique, où les données personnelles deviennent une matière première comme une autre.