Conclave sur les retraites : "La rigidité du Medef est un peu étonnante", estime Pierre Ferracci, un spécialiste du dialogue social
Alors que syndicats et patronat se retrouvent pour l'ultime réunion du conclave sur les retraites, Pierre Ferracci, président fondateur du groupe ALPHA, décrypte les enjeux et les positions des partenaires sociaux.
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Syndicats et patronat sont réunis lundi 23 juin dans une salle du ministère du Travail, avenue de Ségur à Paris, pour ce qui est annoncé comme la réunion conclusive sur les retraites. Vont-ils ou non parvenir à un accord et si oui sur quels points ? Pierre Ferracci, président fondateur du groupe ALPHA, un cabinet de conseil et d'expertise en relations sociales tente de répondre à cette question.
Franceinfo : Les responsables du patronat, Patrick Martin pour le Medef et Amir Reza-Tofighi pour la CPME, ont mis en scène leur rapprochement devant les journalistes avec un nouveau texte et des propositions communes, ce qui a profondément agacé la CFDT. Est-ce le jeu habituel du dialogue social ou la CFDT a-t-elle raison de s'énerver ?
Pierre Ferracci : Je croyais qu'on en était sorti, je pense que la CFDT a raison. Discuter uniquement à partir d'une base patronale, c'est d'autant plus étonnant qu'il y a un médiateur dans ce conclave. Donc je trouve que c'est un petit peu gênant. Le rapprochement CPME-Medef, on le voyait venir avec la position très rigide du Medef. Mais c'est vrai que la méthode est très étonnante et on aurait pu s'en passer.
Le camp syndical a fait de grosses concessions, à commencer par l'âge légal de départ à la retraite qui reste à 64 ans. C'est tout de même la preuve d'une envie de négocier de la part des syndicats et de parvenir à un accord, non ?
En tout cas de ceux qui sont autour de la table, puisque CGT et Force Ouvrière ont quitté le conclave, avec l'U2P, depuis quelques semaines, même depuis quelques mois. Ceux qui sont là veulent conclure un accord. J'espère qu'il y en aura un parce que ça aura au moins le mérite de bouger quelques lignes.
"Ce n'est pas le débat sans totem et sans tabous que souhaitait le Premier ministre puisque lui-même a arbitré immédiatement en disant que les 64 ans, il ne fallait pas y toucher."
Pierre Ferraccisur franceinfo
François Bayrou a aussi donné un cadre strict : l'équilibre financier, d'ici 2030, ce qui est quand même compliqué aussi…
Et ça a provoqué le départ des trois organisations que j'ai évoquées. Mais il serait bon qu'il y ait un accord, pour le gouvernement comme pour les partenaires sociaux. Pour les partenaires sociaux, pour montrer leur autonomie et leur capacité à trouver une voie de passage, même si ce n'est pas une réforme systémique. Mais on ne peut pas faire une réforme systémique en trois ou quatre mois. Le président de la République, avec son Premier ministre de l'époque, a loupé la première marche avec son système à points qui n'a jamais vu le jour. Si on pouvait avancer sur la question des femmes, sur la question de la pénibilité et sur une revendication portée par la CFTC et soutenue par les deux autres, à savoir le passage de 67 ans à 66 ans...
Commençons justement par la pénibilité. Trois critères sont réintégrés : les vibrations, les charges lourdes et les postures pénibles. À quoi cela doit-il servir ?
D'abord, soulignons que ces critères - il y en avait quatre d'ailleurs - ont été retirés au moment des ordonnances par le gouvernement, ce qui était une très mauvaise chose. Les syndicats aujourd'hui ont raison. Pourquoi ? Parce que pour éviter les départs, le patronat propose de travailler sur la question des conditions de travail, et il faut s'y prendre bien en amont. Je rappelle toujours qu'en Finlande, avant de décaler l'âge de départ à la retraite, les partenaires sociaux ont travaillé sur le cadre de vie des seniors, de ceux qui sont touchés par des métiers pénibles ou qui sont touchés par la maladie. Donc c'est un travail de longue haleine. Au dernier moment comme ça, c'est vrai que les syndicats peuvent considérer que ce n'est pas crédible et il vaut mieux donner la chance à ceux qui font ces métiers pénibles de partir un peu plus tôt.
Quatre millions de personnes pourraient être concernées, selon la CFDT.
Peut-être que dans un deuxième temps, si on travaille en amont sur la prévention, la question de les voir poursuivre leur activité avec des reconversions sur des métiers moins pénibles ou en allégeant la pénibilité de leur métier serait crédible. Aujourd'hui, je pense qu'elle ne l'est pas. Et les trois syndicats ont raison de poser les problèmes en ces termes.
Aujourd'hui, si on n'a pas tous ses trimestres, on doit attendre 67 ans avant de partir avec une pension de retraite à taux plein. La CFTC veut avancer cet âge de six mois ou d'un an. Est-ce une bonne idée ?
On voit bien que les syndicats essaient d'attaquer par différents canaux un sujet du même type, qu'il concerne les femmes, les métiers pénibles ou les carrières hachées. Je pense que le patronat va proposer de passer à 66 ans et demi pour ne pas accepter totalement la revendication de la CFTC. Mais aller dans ce sens-là, ça coûte un peu cher. Pour moi, le problème essentiel, c'est qu'il y a des zones d'amélioration de la productivité du système qui ne sont pas abordées aujourd'hui. Il faudrait un autre conclave, ou une autre réunion des partenaires sociaux, pour traiter une question clé pour moi : la productivité. Elle faiblit en France depuis quelques années pour deux raisons essentielles. D'abord le manque de formation et donc la montée en compétences qui n'est pas suffisante avec les nouveaux changements stratégiques, les transitions environnementales, l'IA qui arrive. Et par ailleurs, l'investissement dans la recherche du développement des entreprises, du public et du privé, n'est pas suffisant pour aller dans le sens d'une amélioration de la productivité sans intensifier le travail des salariés qui sont en postes.
Les syndicats ont raison de s'accrocher à ces deux points : la pénibilité et avancer l'âge de la décote. Il faut que le patronat cède sur ces deux points ?
Il faut qu'il bouge sur ces deux points et qu'il demande aux syndicats, dans les entreprises, dans les branches, dans les filières et même au niveau interprofessionnel, de réfléchir sur cette façon de créer des richesses autrement qu'en posant éternellement la question du coût du travail, sans poser cette question de productivité qui devrait rassembler les différents partenaires.
À partir du moment où ce conclave n'aboutit pas sur l'abrogation de la réforme des retraites, les insoumis ont dit qu'ils déposeraient une motion de censure. On sait que l'avenir politique de François Bayrou est lié à la réussite ou non de ce conclave. Est-ce un cadeau empoisonné pour les partenaires sociaux ou est-ce finalement une occasion en or ?
Très franchement, je ne pense pas que la question de la dissolution ne se pose qu'à l'occasion de la fin de ce conclave, qu'elle se termine par un accord ou sans accord. Il y aura d'autres occasions de le mettre en danger. Je pense que ça ne se jouera pas là-dessus.
"Si le but du Premier ministre est simplement de gagner du temps, c'est un mauvais choix pour l'avenir et c'est une façon que les partenaires sociaux n'apprécieront pas. On a l'impression que les dés étaient pipés dès le départ."
Pierre Ferraccisur franceinfo
Moi, je souhaite qu'il y ait un accord, pas forcément pour sauver le gouvernement. Il y a d'autres enjeux qui le concernent aujourd'hui que ce conclave, et de toute façon ça sera un accord relativement modeste. La vraie question qui se pose aujourd'hui, c'est de ne pas traîner jusqu'à 2027 en ne faisant pas de réformes, en n'avançant pas. Le pays est confronté à des défis majeurs sur le plan économique. La situation internationale n'est pas brillante depuis quelques jours en particulier. Donc cette question de la création de richesses et de la productivité est essentielle, y compris pour régler le problème du financement des retraites à terme.
Êtes-vous d'accord avec la CFDT quand elle dit que la responsabilité est dans le camp du patronat aujourd'hui, concernant ce conclave sur les retraites ?
Je pense que la rigidité du Medef est un peu étonnante et que la CPME a fait preuve d'un peu plus d'ouverture dans la toute dernière période.
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