"Il ne faut pas avoir peur de la technologie", maintient le lauréat du prix du Jeune économiste Antonin Bergeaud

Professeur d'économie à HEC, lauréat du prix du Jeune économiste et spécialiste de la croissance économique et de l'innovation, Antonin Bergeaud fait un point sur la croissance économique française.

Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Antonin Bergeaud, vient de remporter le Prix du Jeune Economiste. (franceinfo)
Antonin Bergeaud, vient de remporter le Prix du Jeune Economiste. (franceinfo)

Antonin Bergeaud a seulement 36 ans, il enseigne au sein de la prestigieuse école de commerce parisienne à HEC et vient de remporter le Prix du Jeune économiste, remis par le Cercle des économistes et le journal Le Monde.

franceinfo : L'économie est au cœur de beaucoup de sujets en ce moment avec les questions autour des choix de Donald Trump et de son envie de mettre fin au libre-échange ou encore d'imposer des droits de douane. La période actuelle a-t-elle été déstabilisante en tant qu'économiste, vous a-t-elle fait douter de la pertinence et de la solidité des théories sur lesquelles sont bâties nos politiques monétaires et budgétaires ?

Antonin Bergeaud : Je pense que la période actuelle montre deux choses. La première qu'on voit avec Donald Trump, c'est que même si l'économie reste une science récente, quand on fait n'importe quoi, ça ne marche pas très bien. Donc on voit que les tarifs douaniers qui ont été mis en place par Donald Trump de manière assez difficilement compréhensible, ont conduit les marchés à réagir très négativement et petit à petit, il est en train de revenir un peu en arrière. L'autre chose, c'est qu'en Europe, on se rend compte de la situation. C’est-à-dire que finalement, on avait une économie qui dépendait beaucoup de ce qui se passait aux États-Unis. Aujourd'hui, on est devant nos responsabilités et donc il faut qu'on trouve notre modèle et forcément notre modèle passe beaucoup par des questions économiques et la politique monétaire. Il faut un peu redéfinir la manière dont on fonctionne ensemble. C'est sans doute pour ça qu'on parle beaucoup d'économie. Je ne pense pas que ça remette en cause vraiment les théories économiques. Par contre, cela incite à réfléchir vraiment à ce qu'on doit faire.

La productivité baisse sans discontinuer en Europe depuis des décennies, on produit toujours moins de richesse par heure de travail. Comment est-ce qu'on l'explique ?

La productivité ralentit, voire stagne. On ne produit pas moins que précédemment, on produit à peu près la même, avec la même efficacité. C'est un problème parce que c'est ce qui explique le ralentissement de la croissance, qui pose tout un tas de questions économiques, notamment sur le budget, sur le chômage et sur notre capacité à investir pour l'environnement, pour la baisse de la démographie. Maintenant, pourquoi ? C'est une question qui n'est pas complètement tranchée.

"Une des raisons qui est évidente, c'est qu'en Europe, on n'investit pas assez dans l'innovation. Ça paraît peut-être un peu paradoxal parce qu'on a l'impression qu'il y a de la technologie partout, qu'on n'a jamais autant parlé d'innovation et de technologie."

Antonin Bergeaud

sur franceinfo

La semaine dernière, 26 milliards d'euros d'investissement dans les nouvelles technologies ont été annoncés lors du Sommet Choose France.

En effet, mais cela reste des sommes qui sont assez faibles. Si on regarde collectivement en France, on dépense 2,3 % du PIB en recherche et développement. Ça ne veut peut-être pas dire grand-chose, mais pour donner une comparaison, aux Etats-Unis, c'est 3,5 %. La différence entre les deux est colossale. C'est vraiment des dizaines de milliards et même des centaines de milliards d'euros ou de dollars qui sont dépensés par les entreprises, essentiellement aux États-Unis, pour développer des nouveaux produits. Alors nous, en Europe, on finit par les acheter, ces produits. Mais déjà, évidemment, on achète beaucoup à des entreprises américaines, même chinoises. Mais surtout, ça prend du temps. On ne les adopte pas aussi vite, pas aussi profondément et aussi efficacement que les entreprises américaines.

A-t-on raison d'investir dans l'innovation, dans ces nouvelles technologies, et d'avoir un discours politique autour de ces investissements et de cette volonté ?

Je pense qu'on a raison de mettre l'accent là-dessus et c'est assez récent. Il y a une espèce de prise de conscience collective du retard que l'on a sur ces questions. Mais ça ne résoudra pas tout. On a d'autres problèmes structurels.

"En France, on a un vrai problème d'éducation, de capital humain. On voit les classements chaque année, qui sont de plus en plus négatifs et pessimistes pour le niveau d'éducation."

Antonin Bergeaud

sur franceinfo

Vous pouvez donc investir autant que vous voulez dans l'innovation, mais si les entreprises ne peuvent pas recruter les talents, elles ne peuvent pas recruter des techniciens, des ingénieurs ou même des employés des ouvriers qualifiés pour utiliser ces technologies. De toute façon, il n'y aura pas d'effet sur l'efficacité de la production.

Vous préconisez donc d'investir dans les nouvelles technologies, dans l'innovation mais également dans les compétences ?

C'est un débat qui est compliqué et qui revient régulièrement. L'État en Europe, ce n'est pas spécifique à la France, dépense beaucoup, il dépense autant que les Etats-Unis, si on veut faire une comparaison. La différence ce sont les entreprises. Et donc, la question qui se pose, c'est pourquoi les entreprises n’investissent pas autant qu'aux États-Unis, alors qu'elles sont incitées à le faire.

Que préconisez-vous sur ce point ?

Plutôt que de passer par des outils de type crédit d'impôt, je préconise de baisser le coût de la recherche et du développement et donc le coût d'un ingénieur ou d'un chercheur pour les entreprises, ce qui est une bonne chose pour ceux qui veulent le supprimer complètement. Je pense qu'on peut le faire de manière un peu plus ciblée, autour notamment des achats publics, c’est-à-dire que l'Etat doit aussi reprendre un peu en main la direction de l'innovation et se dire que par exemple, il a tel ou tel type de technologie dont on aurait besoin parce qu'on veut réussir à atteindre nos objectifs. L'État doit, suite à cela, mettre les entreprises, les universités et tous les acteurs ensemble pour leur dire de s'engager à acheter. Cela poussera les entreprises à investir davantage. C'est ce qui est fait aux Etats-Unis, on le fait assez peu en Europe.

Tout ça pourrait nous faire gagner en productivité mais, ne va-t-on pas perdre en emploi si est utilisée, un peu partout, l'Intelligence artificielle ?

Ce ne sera pas au détriment des emplois, si on en croit les technologies et les vagues technologiques passées, notamment la robotique. Quand ces vagues technologiques, donc la diffusion de ces technologies à augmenter la productivité des entreprises, ce qui s'est passé en définitive, c'est que ces entreprises ont grossi davantage et finalement, elles ont fini par employer plus de monde qu'avant l'arrivée de ces robots. Cela paraît un peu paradoxal, mais les métiers au sein de l'entreprise ont changé, les gens ont travaillé différemment, ont accompli d'autres tâches dans l'entreprise. Mais en définitif, l'emploi de chaque entreprise a continué à augmenter, si elle adoptait correctement ces technologies et donc si elles avaient des gains de productivité.

Ce ne sera donc pas la technologie contre l'emploi ?

Non, en effet, mais il faut bien le faire et il ne faut pas avoir peur de la technologie, ni une lutte entre les employés et la technologie. Au contraire, dans l'histoire, on voit que ça a toujours marché ensemble. Il y a des difficultés, il y a des choses à améliorer, il faut rester vigilant, mais en général, il n'y a pas d'inquiétude particulière à avoir.

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