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Reportage
"Ce n'est plus tabou d'acheter du faux" : comment la contrefaçon de grandes marques se banalise notamment chez les plus jeunes
Entre 2022 et 2023, le nombre de vêtements et d'accessoires de contrefaçon saisis en France a doublé, malgré l'illégalité de cette pratique.
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Il y a de plus en plus de chances pour que vos baskets ou celles de vos adolescents soient des contrefaçons. C'est une pratique toujours illégale mais désormais décomplexée : 29 % des Français de 15 à 24 ans achètent sciemment des produits de contrefaçon d'après une étude de l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle. Ce chiffre s'élevait à 14 % en 2019.
Chez les jeunes, au-delà d'être assumée, la contrefaçon est même devenue tendance. En face de son lycée parisien, Lili, en classe de première ne s'en cache pas et s'en amuse même : "J'achète du faux, il faut dire les termes". Écharpe Louis Vuitton, casquette Gucci, sac Prada... La jeune fille au look soigné énumère ses achats de contrefaçon, qu'elle effectue parfois avec sa mère.
"C'est une bonne façon de s'intégrer"
Derrière elle des lycéens se bousculent pour montrer leurs habits contrefaits. "Ça c'est une fausse veste avec un vrai logo, comme ça, ce n’est pas cramé", se vante l'un d'eux. Son ami, lui, se dédouane : "Je n'ai pas les moyens pour m'acheter du vrai, donc j'achète du faux !".
Chez les garçons, ce sont surtout les baskets Dior, grises ou blanches, qui font fureur. Plus vraies que nature, elles restent sept fois moins chères que les originales. Les filles, elles, jettent leur dévolu sur le fameux sac Goyard, mais le payent 20 euros au lieu des 1 400 euros pour l'authentique. "Tout le monde en a, mais personne n'a le vrai", ironise une lycéenne. Vu le prix, "ce n'est plus tabou d'en acheter un faux", glisse-t-elle.
La contrefaçon provoque une sorte d'effet boule de neige. "C'est une bonne façon de s'intégrer dans la société parce qu'aujourd'hui on a peur du regard des gens et donc on veut tous s'habiller avec des marques", justifie un lycéen. Il poursuit : "Je pense que c'est aussi pour l'image. Je trouve ça un peu normal que des gens achètent de la contrefaçon".
Commander directement sur les réseaux sociaux
Au-delà des prix cassés, ces jeunes se tournent aussi vers la contrefaçon car, selon eux, il y a de moins en moins de différence entre le faux et l'original. Les produits sont également beaucoup plus faciles à trouver qu'avant, notamment en passant par des sites internet chinois. Sans oublier les réseaux sociaux : il suffit de commander sur des comptes Telegram, Snapchat, TikTok pour voir son colis arriver en quelques jours dans sa boîte aux lettres.
Samir tient justement un de ces comptes Telegram spécialisés dans les contrefaçons. Installé en Chine, ce Français vend en gros de faux vêtements de luxe. Sans complexe, il explique comment il fait confectionner des répliques parfaites de produits authentiques, et notamment ses achats de vêtements de luxe pou mieux les analyser.
"On est de très bons clients de Dior et Louis Vuitton. Il faut acheter des modèles pour pouvoir les refaire."
Samir, vendeur de contrefaçons sur Telegramà franceinfo
Sa société dépense 20 à 30 000 euros par mois en vêtements de luxe. Il détermine ensuite le grammage, le tissage, le patron, et la couleur grâce à une machine spéciale, puis passe commande dans une usine. Samir l'assure, les ouvriers qui cousent ses t-shirts sont payés au mois et pas à la pièce.
"C'est presque impossible de tout contrôler"
"On leur donne un nombre de pièces maximum à sortir par jour pour qu'ils s'appliquent", indique-t-il. L'un des avantages de la Chine, selon lui, c'est la disponibilité de la main-d’œuvre : "En général, ils travaillent quand même 29 jours dans le mois". "Mais ça ne les dérange pas !", assure-t-il.
Grâce aux économies sur le salaire, sur le marketing et sur les marges moins importantes, le consommateur achète ses faux t-shirts dix fois moins chers que les originaux, d'après Samir. Chaque année, il en envoie ainsi des dizaines de milliers à travers le monde : "Je ne vais pas entrer dans les détails, mais on a des personnes spécialisées là-dedans, à qui on confie notre marchandise et qui s'occupent de l'envoi".
Quand la question des douaniers est évoquée, Samir laisse échapper un rire. Il ne les craint pas vraiment : "C'est presque impossible de tout contrôler. Il y a des pertes de temps en temps mais ça rentre dans les frais". Si son activité demeure illicite, et elle n'est pas immorale d'après lui. "Je ne fais que vendre des vêtements", se défend-il.
Un million de contrefaçons saisies
Face à la banalisation de la contrefaçon, l'Union des fabricants représente des milliers de marques qu'elle tente de protéger. Dans l'hôtel particulier où se trouve l'Unifab trône le buste de leur ancien président : Gaston Vuitton, petit-fils de Louis Vuitton. "Un grand dialogue est en cours avec les plus grandes plateformes qui permettent de faire des progrès dans la détection de contrefaçons", explique Delphine Sarfati-Sobreira, à la tête de l'Unifab.
Des moyens technologiques sont aussi proposés aux entreprises de manière à ce que ce soit plus facile de tracer leurs produits.
Delphine Sarfati-Sobreira, directrice générale de l'Unifabà franceinfo
Des moyens sont aussi mis à disposition des consommateurs : "Par exemple avec un QR code pour tout de suite savoir si le produit est une contrefaçon", poursuit-elle. Des dispositifs que les contrefacteurs arrivent toutefois très bien à imiter.
Il est difficile de quantifier le préjudice pour les marques, mais Delphine Sarfati-Sobreira estime qu'acheter du faux n'est pas anodin. Car selon une étude de l'Unifab, la vente de faux produits de marques est liée à avec la criminalité organisée. En 2023 les douanes françaises ont saisi plus d'un million de vêtements et accessoires contrefaits, un chiffre qui a doublé en un an. L'Unifab rappelle enfin que vendre ou acheter de la contrefaçon sont des faits illégaux.
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