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Reportage
"J'ai liquidé la société que j'avais créée et dirigée" : les très petites entreprises particulièrement sensibles à la mauvaise situation économique
Si les liquidations judiciaires s'enchaînent ces derniers mois pour les grandes entreprises, les TPE ne sont pas non plus épargnées et doivent souvent se battre pour se relever.
Suppressions d'emplois chez ArcelorMittal, liquidation de Camaïeu, de Jennyfer... Les difficultés économiques des grands groupes font souvent l'actualité, mais elles touchent aussi les TPE et PME partout en France. Au premier trimestre 2025, près de 18 000 entreprises sont entrées en procédure judiciaire, dont une très grande majorité de très petites entreprises, selon les chiffres du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires.
C'est notamment le cas d'un couple de boulangers à Quincié-en-Beaujolais, dans le nord du Rhône. Depuis cinq ans, Cécile et Michel Coubard gèrent l'unique boulangerie de cette commune de 1 300 habitants. "On essaye quand même d'avoir du pain chaud toute la journée, même si l'électricité est chère", lance le boulanger, qui assure qu'il y a quelque temps encore, il pouvait faire cuire son pain toute la journée.
Il y a un an et demi, les factures d'électricité de l'établissement ont triplé. Les clients dépensent également moins dans leur boulangerie. Sans oublier la hausse des matières premières, de 60% selon Michel. "Ce n'est vraiment pas entendable en France, on est souverain sur pas mal de matières premières", s'indigne-t-il.
"Quand vous voyez que la levure a pris presque 100%, le sel 80%, c'est de la spéculation. Ils font un peu comme ils veulent et nous, on n'a pas le choix."
Michel Coubard, boulangerà franceinfo
Le 6 février dernier, le couple de boulangers pousse la porte du tribunal de commerce de Villefranche-Tarare pour demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire. Leurs dettes sont donc gelées et ils ont six mois pour refaire leur trésorerie. "On hésitait, explique Cécile. Les fêtes ont été très moyennes." Elle garde un souvenir amer du mois de janvier, où les galettes se sont assez mal vendues.
"On a commencé à ne pas bien dormir, à se demander ce qu'on allait faire, poursuit la boulangère. On a mangé 32 000 euros de trésorerie en un an", se désole-t-elle. Cécile entame chaque nouvelle journée de travail la boule au ventre, en se demandant si elle et son compagnon réussiront à boucler le mois. En attendant, ils font des efforts : "On fait les courses dans les grandes surfaces, on achète ce dont on a besoin dans la semaine au kilo. On essaye de minimiser nos dépenses". En cas de liquidation, Cécile craint que la fermeture définitive de la boulangerie impacte les autres commerçants de la commune. "Ce serait la mort du village", assure la boulangère.
Le cas de Cécile et Michel est loin d'être isolé. Parfois le redressement va jusqu'à la liquidation : il y en a eu près de 12 500 sur les trois premiers mois de l'année 2025. Comment se relever après une liquidation ? De plus en plus d'entrepreneurs sont contraints de se poser cette question, tout en retrouvant l'envie et la confiance pour mener de nouveaux projets. L'association 60 000 rebonds les accompagne justement dans ces moments difficiles.
Éric, 55 ans, fait partie de ces entrepreneurs "rebonds". Chaque mois, ils sont une dizaine à se réunir juste à côté de Lyon pour échanger. "J'ai liquidé la société que j'avais créée et dirigée pendant quatre ans", raconte-t-il. Son entreprise, spécialisée dans l'industrie du bâtiment à travers la construction de murs en bois et en paille, comptait sept salariés.
"Je me suis retrouvé à poil"
Le secteur de la construction est particulièrement touché par les liquidations. Sur les trois premiers mois de l'année, on compte 3 500 entreprises en défaillance. "Malheureusement, il y a eu la guerre en Ukraine et donc un gros choc sur l'énergie qui a provoqué une inflation importée, qui a provoqué en réaction à ça une augmentation des taux d'intérêt... Ce qui a figé complètement le marché de la construction immobilière", explique Éric.
Tous ses clients potentiels disparaissent alors et il finit par demander une mise en redressement judiciaire, faute de pouvoir payer les salaires de ses employés "J'ai un client qui devait me payer et qui est en défaut de paiement. Je suis, par ricochet, en défaut de paiement", poursuit l'entrepreneur. Il y a un an, son entreprise était liquidée après quatre années d'activité. Un souvenir encore douloureux pour lui : "Je me suis retrouvé à poil, au sens quasiment propre du terme. Tout ce que je porte sur moi a entre dix et trois ans. Je n'ai rien de neuf, parce que je ne suis pas en capacité de m'acheter des choses neuves."
Malgré l'émotion dans sa voix, Éric continue son récit : "C'est une période qui est vraiment douloureuse. Mon entourage proche me disait de faire attention parce que j'étais dans le déni. Ça a été difficile, j'ai encore de l'émotion en en parlant un an plus tard. Et en même temps, cette humanité qui a été un peu malmenée me rend aujourd'hui plus fort."
"Je sais ce que c'est de tomber et je sais que je suis capable de me redresser."
Eric, un entrepreneurà franceinfo
Pour se redresser, il compte notamment sur l'association 60 000 rebonds. "Quand on vit ça, on est très seuls, on est face à un peloton d'exécution. Tout le monde est protégé sauf l'entrepreneur. Et en plus, on vit une injustice massive. Pouvoir se retrouver entre pairs, avec des hommes et des femmes qui ont entrepris et qui ont malheureusement échoué, ça fait un bien fou !", conclut-il. En un an, Éric a retrouvé l'envie de mener des projets. Il souhaite aujourd'hui transmettre son expérience et accompagner d'autres entrepreneurs en difficulté. Le nombre d'entrepreneurs accompagnés par l'association 60 000 rebonds a augmenté de 30% en un an, de 1 000 en 2023 à 1 300 en 2024.
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