Sebastião Salgado présente pour la première fois les œuvres de son fils trisomique : "Il nous a initiés à la différence"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Vendredi 16 mai 2025 : le photographe et reporter Sebastião Salgado. Son fils, Rodrigo, atteint de trisomie 21, expose ses œuvres du 27 mai au 10 septembre dans l'ancienne église du Sacré-Cœur à Reims.

Article rédigé par Elodie Suigo, Étienne Presumey
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Le photographe et reporter Sebastião Salgado, le 3 avril 2025, à Bruxelles. (NICOLAS MAETERLINCK / BELGA MAG / VIA AFP)
Le photographe et reporter Sebastião Salgado, le 3 avril 2025, à Bruxelles. (NICOLAS MAETERLINCK / BELGA MAG / VIA AFP)

Sebastião Salgado est un reporter, photographe et artiste franco-brésilien, infatigable fervent défenseur des peuples les plus fragiles et malmenés. Il a notamment couvert le génocide rwandais, immortalisé la tribu indigène Ashaninka ou encore la forêt amazonienne. Il est exposé actuellement aux Franciscaines à Deauville dans le cadre des collections de la MEP, jusqu'au 1er juin 2025. Mais ce qui l'amène, c'est l'exposition de son fils Rodrigo, atteint de trisomie 21. Rodrigo, une vie d'artiste se tiendra à l'ancienne église du Sacré-Coeur à Reims, du 27 mai au 10 septembre 2025.

franceinfo : Pour la première fois, son travail est présenté et il montre la passion infinie qu'il a développée depuis sa plus tendre enfance pour la peinture. Comment est née cette envie d'exposer Rodrigo ?

Sebastião Salgado : Il travaille beaucoup. Parfois, à 4 heures du matin dans sa chambre, il est en train de peindre. Aujourd'hui, la vie n'est pas facile pour lui. Il a perdu sa mémoire, il ne sait plus aller tout seul à l'école comme il le faisait avant, il a un problème à sa colonne vertébrale. L'atelier Simon-Marq a pris la décision de faire 16 de ses vitraux, et l'espace où ils sont installés est un espace magnifique. Et on a pris la décision de faire tout ensemble, inaugurer les vitraux et présenter son travail qu'en réalité personne ne connaît.

Ce qu'on ressent quand on regarde les œuvres de Rodrigo, c'est qu'il est libre dans ses choix. Il a toujours été animé par une seule chose, le plaisir. Il semble presque dialoguer avec la peinture. L'artiste peintre Michel Granger qui a découvert chez vous les œuvres de Rodrigo dit qu'il l'a initié à la différence.

Il nous a initiés aussi, à la différence. Quand vous êtes parents d'un enfant handicapé, vous avez un grand pan de la société qui est introduit à nous. Je suis sûr que ça a une influence énorme dans ma photographie. Vous ne pouvez pas imaginer comme c'est énorme quand il y a des réunions de fêtes dans l'école de Rodrigo. On voit la différence qu'il y a entre les handicapés, le nombre de handicaps différents et la grande solidarité entre eux.

"Rodrigo ne sait pas lire, pas écrire, pas parler. Donc la peinture est venue du profond de lui-même. Tous les moments de sa vie sont consacrés à la peinture."

Sebastião Salgado, reporter, prhotographe franco-brésilien

à franceinfo

J'aimerais qu'on parle de ce qu'il y a dans cette exposition qui vous est consacrée jusqu'au 1er juin, à Deauville. Vous traitez de l'Amérique, l'Amérique latine notamment, qui est quand même l'endroit qui vous correspond le plus. Vous traitez de la main de l'homme, des exodes. Comment est-ce qu'on gère l'impuissance ?

J'étais critiqué pour faire des images trop belles. Beaucoup de gens ont dit que je faisais l'esthétisme de la misère simplement parce que les gens que je photographiais dans des situations difficiles, je représentais leur dignité. La beauté, c'est la dignité des gens. La simple chose que j'ai essayé de faire pendant toute ma vie, c'est de montrer aux gens une situation difficile, mais pas une situation misérable. C'est à peu près ça, la photographie que j'ai fait pendant toute ma vie. Essayer de donner une image, et peut-être même une voix, à une partie de la population de cette planète, qu'on ne considère pas.

Les gens qui vivent comme on vit en France, en Italie ou en Allemagne, c'est la minorité de la planète. La grande majorité vit autrement.

Au programme de l'exposition de Rodrigo, 80 peintures, 16 vitraux. C'est un regard sur la vie et une manière de prouver que la différence est très importante ?

On prend des leçons énormes avec la différence. Je me rappelle une fois, je travaillais sur un camp de réfugiés palestiniens. Chaque fois que je plantais ma caméra, j'avais une kalachnikov sur moi, c'était très difficile.

"Un jour, je fais une photo, un homme vient et il me donne un bisou, une accolade. C'était un trisomique et là, j'ai vu que possiblement, notre violence vient de notre combinaison de gènes. Les handicapés sont bons."

Sebastião Salgado

à franceinfo

Je suis sûr que si Rodrigo était né sans sa trisomie, il aurait été un grand peintre reconnu. Mais il est trisomique et je crois que c'est la première opportunité qu'il va avoir, de montrer son travail et peut-être l'unique.

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