Procès le Scouarnec : bien connaître l'affaire et gérer l'aspect émotionnel

Le procès Le Scouarnec, devant la cour criminelle du Morbihan, a marqué une affaire d’une ampleur exceptionnelle. Comment traiter un tel événement ?

Article rédigé par Emmanuelle Daviet
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Une banderole, symbolisant l'ensemble des victimes de Joël Le Scouarnec, déployée devant le tribunal de Vannes avant le verdict. (LIONEL LE SAUX / MAXPPP)
Une banderole, symbolisant l'ensemble des victimes de Joël Le Scouarnec, déployée devant le tribunal de Vannes avant le verdict. (LIONEL LE SAUX / MAXPPP)

De longues semaines de procès, une affaire sordide et éprouvante, le procès de Joël Le Scouarnec ne pouvait laisser insensibles les journalistes qui y ont assisté. Emmanuelle Daviet a interrogé Margaux Stive, qui était à Vannes pour franceinfo.

Emmanuelle Daviet : Comment se prépare-t-on pour couvrir un tel procès ?

Margaux Stive : Il y a d'abord un travail sur le fond de l'affaire. Dans ce cas-là, une affaire très complexe, avec énormément d'informations à gérer : des dates, des noms, pour être sûre de comprendre tout ce qui se passe, tout ce qui se dit à l'audience. Et il y a évidemment un travail sur la question émotionnelle. Je suis cette affaire depuis 6 ans, je savais donc à quoi m'attendre, je savais que ça allait être difficile. En même temps, c'est impossible de vraiment s'y préparer. Prenons l'exemple des carnets du chirurgien, ce journal intime où il a consigné toutes ses agressions sur des enfants. Ces carnets, je les avais lus. Mais entendre leur lecture à l'audience, en présence des victimes qui écoutent, cela a été particulièrement difficile.

Justement, une auditrice souhaite savoir quelles difficultés vous avez rencontrées au cours du procès ?

D'abord, à l'image de tous les procès, réussir à rendre intelligible et à résumer des heures et des heures de débats, d'auditions. Là encore, dans une affaire très complexe. L'autre grande difficulté, c'est que les victimes étaient très réticentes à parler, avec une peur de la médiatisation. Il y avait chez certains beaucoup de honte. Il a fallu un long travail de mise en confiance pour réussir à recueillir ces paroles.

Des auditeurs se demandent comment vous avez trouvé la juste distance entre empathie pour les victimes et exigence de neutralité dans le récit ?

Il y a eu 3 mois d'audience, moi, je travaille sur cette affaire depuis 6 ans, un lien s’est créé avec certaines victimes. Il faut la même exigence que pour tous les sujets qu'on traite à franceinfo et à Radio France. Celle de revenir toujours aux faits et de donner la parole à toutes les parties, évidemment aux victimes, mais aussi, ici, à la défense de l'accusé.

Comment raconter sans tomber dans le sensationnalisme et sans édulcorer non plus ?

Cela a été un véritable enjeu sur cette affaire et sur ce procès. Pour vous donner une idée, je pense avoir rapporté à peu près 10% de ce qui s'est dit. Parce que c'était parfois inaudible, parce qu'aussi, à la radio, les auditeurs ne choisissent pas ce qu'ils vont écouter. On ne peut pas leur imposer au petit-déjeuner, ou à n'importe quelle autre heure de la journée d'ailleurs, des horreurs pareilles. Donc on fait un tri, on ne garde que ce qui a du sens. Il y a aussi un travail sur les mots, sur la métaphore, pour essayer de faire comprendre, de dire l'indicible. Ce n'est pas toujours facile, mais c'est le rôle du journaliste.

N'y a-t-il pas une sorte de frustration, quand vous exploitez 10% seulement de la matière totale du procès ? N'y a-t-il pas une autre manière, sur un plan journalistique, de l'exploiter ?

Oui, on peut décliner sur le Web des versions plus longues, en entrant un peu plus dans le détail. Là, c'est le choix du lecteur d'aller cliquer sur tel ou tel article, il sait à quoi s'attendre. Une frustration ? Non. Parce qu'on raconte quand même énormément de choses. J'ai été très souvent à l'antenne.

Quelle a été pour vous le moment le plus marquant de ce procès hors norme ?

C'est très personnel, un moment m'a marqué fortement, ans les tout premiers jours d'audience. Une gendarme – la toute première à avoir travaillé sur cette affaire, qui est en burn-out depuis des années – n'était pas sûre de pouvoir témoigner. Elle a finalement accepté, en visioconférence, et en fait elle s'est effondrée en larmes au bout de quelques minutes d'audition. Elle était incapable de parler. La présidente a dû couper court. Ce témoignage-là, cette scène-là, est la démonstration des conséquences qu'a pu avoir cette affaire bien au-delà des victimes, sur des professionnels en lien avec ce dossier. J'y ai moi-même, en tant que journaliste, travaillé des années. Cela m'a donc vraiment touchée.

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