Scandale des eaux en bouteille : "L'Élysée savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis des années", assure le rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale

Article rédigé par Marie Dupin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, le 2 avril 2025 à Paris. (VINCENT ISORE / MAXPPP)
Le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, le 2 avril 2025 à Paris. (VINCENT ISORE / MAXPPP)

Après le refus d’Alexis Kohler de répondre à leur convocation, les sénateurs de la commission d’enquête sur l’affaire "Nestlé Waters" décident de rendre publics l’intégralité des échanges entre Nestlé et l’Elysée. Des échanges qui évoquent notamment la présence de virus dans l’eau de Perrier.

"Nous constatons aujourd'hui qu'Alexis Kohler, le secrétaire général de la présidence de la République, n'est pas venu à la convocation que nous lui avons fait parvenir. L'Élysée joue la chaise vide. Cette décision est lourde. Elle instille le poison du doute". C'est par ces mots que le sénateur socialiste Alexandre Ouizille, rapporteur de la commission d'enquête sénatoriale, a commencé son allocution mardi 8 avril, dans la salle Médicis où se déroulent habituellement les auditions de la commission d'enquête sur le scandale des eaux en bouteille contaminées et traitées illégalement par le groupe Nestlé. 

Après avoir évoqué un "affront à la représentation nationale" et un "refus d'aller au bout de la vérité devant les Français", Alexandre Ouizille a annoncé sa décision de rendre accessibles à tous, au moment de la publication de son rapport, l'intégralité des échanges entre l'Elysée et la multinationale suisse : 74 pages de documents, qui "démontrent la densité des échanges Nestlé-Élysée". Le 4 février, des documents inédits révélés par la cellule investigation de Radio France et Le Monde avaient dévoilé l'ampleur des efforts de lobbying de Nestlé au sommet de l'Etat.

Alexandre Ouizille cite une première rencontre le 11 juillet 2022 entre le secrétaire général de l'Élysée Alexis Kohler et le directeur général de Nestlé, Mark Schneider, au cours de laquelle il a été question d'"un usage trop important de filtration pour corriger la qualité des eaux Vittel, Contrex et Hépar". "L'Élysée sait qu'il y a un problème de qualité des eaux" au moins depuis cette date, estime Alexandre Ouizille.

"Pourquoi avoir donné tant de place à Nestlé ?"

Plusieurs rencontres, échanges de mails sont énumérés jusqu'en décembre dernier, alors même que cette commission, créée en novembre dernier, avait déjà commencé à travailler. La présidence de la République "savait que Nestlé trichait, que cela créait une distorsion de concurrence avec les autres minéraliers, elle avait connaissance des contaminations bactériologiques".

Dans son allocution, Alexandre Ouizille raconte aussi que "le 23 janvier 2024, Alexis Kohler est sollicité par le lobbyiste de Nestlé waters, Nicolas Bouvier, pour un échange 'dès que possible dans la journée' avec Mark Schneider, directeur général de Nestlé." La direction de Nestlé s'inquiète de l'enquête menée par Radio France et Le Monde, finalement publiée quelques jours plus tard, le 30 janvier. Le lendemain, "un courriel de Victor Blonde, toujours conseiller à l'Élysée et à Matignon, indique à la présidence, au cabinet industrie et au cabinet santé : 'même si la pression [de l'enquête de presse] diminue, voilà une version reformatée des EDL [éléments de langage] sur l'affaire Nestlé Waters'."

"Pourquoi ne pas avoir donné des instructions simples de respect de la loi aux ministères ? Pourquoi avoir donné tant de place à Nestlé ? Pourquoi cette position privilégiée, alors que l'Élysée sait que ce groupe triche depuis des années ?", sont quelques-unes des questions qu'Alexandre Ouizille aurait aimé poser à Alexis Kohler.

"Nous voulons aller plus loin"

Autre question importante que les sénateurs auraient aimé poser au secrétaire général de l'Élysée : des virus ont-ils été découverts ou pas dans les eaux du groupe Perrier ? Dans un courriel daté du 18 décembre 2024, le conseiller à l'agriculture de l'Élysée Matthias Ginet évoque, à propos de Perrier, une "forte présence de virus qui ne sont pas éliminés par la filtration".

Une autre note du même jour, provenant, cette fois, de la conseillère industrie à l'Elysée, indique que les filtres utilisés par Nestlé dans son usine Perrier sont "inopérants sur les virus" et que le groupe n'a donc "pas de solutions évidentes aux contaminations virologiques épisodiques", contrairement à ce qu'a toujours prétendu le numéro un mondial des eaux en bouteille.

La direction de Nestlé Waters assure mardi 8 avril ne pas avoir connaissance de ce document. Elle répond qu'il "n'existe pas de contamination virale. Nestlé Waters France a réalisé environ 6 000 analyses de virus ces 10 dernières années et il n'a jamais été confirmé la présence de virus. L'absence d'identification de contamination virale a été confirmée par le Directeur Général de la DGS et la Directrice Générale de l'ARS Grand-Est lors des auditions."

Face au refus du secrétaire général de l'Élysée de se présenter devant la commission, le rapporteur rappelle que "l'Assemblée et le président de la commission des finances, Éric Coquerel, ont choisi de porter devant la justice cette question. Nous voulons aller plus loin et porter notre pierre à l'édifice et, pour notre part, porter le sujet devant le Parlement. Il faut d'urgence conforter les pouvoirs des commissions d'enquêtes parlementaires".

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.