Témoignage "Très vite, ça m'a mis des bâtons dans les roues" : l'endométriose, cette maladie "connue, mais mal connue" qui peut freiner la carrière des femmes

Article rédigé par Camille Laurent
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Camille Derveaux Ringot souffre d'endométriose, elle a démissionné pour lancer sa ligne de produits de micronutrition afin d'aider les femmes à mieux vivre avec leur maladie. (GYNEIKA)
Camille Derveaux Ringot souffre d'endométriose, elle a démissionné pour lancer sa ligne de produits de micronutrition afin d'aider les femmes à mieux vivre avec leur maladie. (GYNEIKA)

Après un début de vie professionnelle compliqué par sa maladie, Camille Derveaux Ringot démissionne pour se consacrer à un nouveau projet directement inspiré de son parcours. Franceinfo l'a rencontrée à l'occasion de la semaine européenne d'information et de prévention sur l'endométriose, qui se déroule du 3 au 9 mars.

Manque de concentration, baisse de motivation, davantage de stress… L'endométriose a aussi des conséquences négatives sur la vie professionnelle des femmes qui en souffrent. Selon l'enquête EndoVie, publiée par l'association EndoFrance avec Ipsos et Gédéon Richter en 2020, 65% des femmes interrogées indiquent que l'endométriose a eu un impact négatif sur leur quotidien professionnel. Une réalité à prendre en compte dans le monde du travail, avec deux millions de femmes concernées par cette maladie en France et 198 millions dans le monde, "c'est comme si toute la population du Brésil était atteinte", précise Camille Derveaux Ringot, elle-même souffrante.

Comme beaucoup de femmes atteintes d'endométriose, Camille Derveaux Ringot a été diagnostiquée tardivement, en 2014, après plusieurs années d'errance médicale. Sa maladie "invalidante au quotidien", y compris dans le travail donc, est "connue, mais mal connue", souligne-t-elle. Après un début de carrière dans la finance et le marketing, sa maladie l'a poussée à démissionner. Âgée de 35 ans aujourd'hui, elle est devenue patiente experte et a créé Gyneika, une gamme de produits de micronutrition destinés aux femmes atteintes d'endométriose. Elle confie à franceinfo son évolution professionnelle directement inspirée de son parcours.

Franceinfo : Comment s'est manifestée l'endométriose chez vous ?

Camille Derveaux Ringot : C'est une maladie qui touche tout le corps humain, qui a beaucoup de manifestations et pas uniquement pendant les règles. Chez moi, ça a commencé par des troubles digestifs très intenses. Parfois, j'avais du sang dans les selles. J'avais du mal à me lever et des évanouissements. J’éprouvais des douleurs aussi, comme des coups de poignard. Une de mes plus grosses crises a duré quinze jours, je ne pouvais pas marcher. Mais, au travail, j’ai dit que j'avais une grippe.

Dans quelle mesure l'endométriose a affecté votre travail ?

Très vite, ça m'a mis des bâtons dans les roues. Au début, je ne m'en suis pas rendu compte, j'étais dans une phase de déni. Dans mon premier poste, je devais beaucoup voyager et, à un moment, on m'a proposé de partir sur une mission très intéressante, au Mozambique, et j'ai dû refuser parce que je savais que ma condition de santé ne pouvait pas me le permettre. Ça a commencé comme ça et après, ça a été des arrêts de travail. Une fois, je travaillais en finances et j'étais sur un projet qui me passionnait depuis des mois, puis j'ai eu une crise à laquelle je n'ai pas pu faire face. Je n'ai pas pu me forcer cette fois-ci et donc j'ai été arrêtée quinze jours. Quand je suis revenue, j'ai perdu le dossier. Puis, petit à petit, j'ai commencé à accepter ma maladie et à mettre en place des stratégies pour m'en sortir.

"C'est beaucoup de déception, de frustration."

Camille Derveaux Ringot, fondatrice de Gyneika

à franceinfo

Quelles stratégies avez-vous mises en place pour mieux vivre avec l'endométriose ?

J'ai commencé par changer toute ma prise en charge, qui est devenue globale, avec des médicaments pour la douleur chronique, le traitement de première intention, c'est-à-dire la pilule en continu, mais aussi du yoga, de l'ostéopathie, de la micronutrition... Ça m'a pris un peu de temps mais, finalement, j'ai réussi à calmer l'intensité et la fréquence des crises. Ça m'a permis de m'organiser. Je mettais des rendez-vous chez le médecin hyper tôt le matin, j'utilisais les rares moments, car ça existait peu, de télétravail pour travailler de chez moi avec une bouillotte. Je venais parfois au travail avec un Tens, un petit appareil antidouleur, que je cachais sous une robe. Je ne sais pas si je referais pareil, ça ne m'a pas rendu service et pourtant je ne vois pas comment j'aurais pu faire autrement à l'époque. Ça me polluait et ça a dû parfois perturber ma productivité ou mon efficacité.

"Être malade, c'est une charge mentale et c'est un job supplémentaire de le cacher."

Camille Derveaux Ringot, atteinte d'endométriose

à franceinfo

Est-ce encore un tabou au sein du monde travail, qu'il est important de lever ?

Avant, j'avais très peur d'en parler. J'avais peur qu'on me dise "ah oui, moi aussi j'ai une copine qui a ça, elle prend du paracétamol pendant ses règles". Alors que moi, je prenais des traitements pour des douleurs chroniques, donc ça n'a rien à voir. Et puis, j'ai commencé à me dire "non, il faut qu'on en parle, ça va être dur, mais il faut que ça change pour qu'on puisse en parler, comme d'autres maladies chroniques".

"J'ai commencé à le dire, parce que sinon personne n'en parlera."

Camille Derveaux Ringot, atteinte d'endométriose

à franceinfo

Quand j'en ai parlé, j'ai eu une manager qui était très compréhensive et bienveillante. J'étais déjà installée dans l'entreprise, j'avais déjà fait mes preuves, donc j'étais dans une position confortable. On ne m'a pas proposé de solution d'adaptation mais j'ai pu m'organiser, avoir plus de jours de télétravail, aller deux fois par semaine faire du sport, le midi. Ces aménagements-là m'ont aidée. Je trouve ça hyper important d'en parler à ses collègues, ça aide énormément à se sentir comprise. Et c'est une des choses que je recherche le plus en tant que patiente parce que pendant des années je me suis sentie seule et incomprise.

Qu'est-ce qui vous a poussée à démissionner ?

J'ai démissionné parce que je me suis rendu compte que j'avais eu énormément de chance, que je voulais partager avec d'autres. J'habitais dans une grande ville, à Paris, j'ai rencontré des médecins fabuleux et j'ai découvert les pouvoirs de la micronutrition qui sont un soin de support qui améliore la qualité de vie. Je me suis dit que je voulais démocratiser la micronutrition pour toutes les femmes et c'est pour ça que j'ai fondé Gyneika. C'est pour ça aussi que j'ai passé un diplôme universitaire d'éducation thérapeutique du patient à la Sorbonne pour devenir patiente experte et pouvoir aider à la prise en charge de l'endométriose.

Aujourd'hui vous êtes donc devenue travailleuse indépendante, c'est un avantage pour mieux vivre avec l'endométriose ?

Je peux m'adapter, donc c'est sûr que ça aide énormément. Il y a notamment des choses sur lesquelles je ne transige pas, comme l'activité physique ou mon alimentation. C'est plus simple, je décide plus ou moins où je mange, je n'ai pas de cantine. Après, dans la vie professionnelle, il y a souvent des contraintes, mais ce qui m'aide aussi, c'est le temps et le fait de me connaître beaucoup mieux. Quand je sens que je vais avoir un peu trop de stress ou que j'ai fait trop de déplacements, maintenant j'arrive à m'arrêter un peu tout petit peu avant d'avoir une crise et, du coup, je n'ai plus trop de crises désormais.

Avez-vous des conseils à donner afin que les femmes concilient mieux endométriose et vie professionnelle ?

Mon conseil, c'est vraiment d'essayer de tester la prise en charge globale de l'endométriose. Je sais que parfois ça semble être une montagne parce qu'il y a plein de changements à opérer. Mais je recommande d'y aller petit pas par petit pas et de réfléchir à toute son hygiène de vie, son sommeil, son alimentation. Cette réflexion sur l'hygiène de vie va aider à mieux se connaître ainsi qu'à pouvoir espacer les crises et réduire leur intensité.

"Trouver du confort dans l'inconfort."

Camille Derveaux Ringot, atteinte d'endométriose

à franceinfo

Sur le lieu de travail, on peut utiliser ce qui est mis à disposition pour améliorer son confort : le télétravail si c'est possible, le Tens qui est un outil antidouleur avec lequel on peut travailler, entamer le dialogue avec son manager ou le responsable des ressources humaines si on peut. C'est différent pour chaque personne, mais si, déjà, il y a une réflexion sur son hygiène de vie et sur les soins de support, comme l'activité physique ou la micronutrition, ça aide énormément.

Pour vous, le congé menstruel, mis en place par certaines entreprises et institutions, est-il une bonne idée ?

Je trouve ça intéressant, mais je me demande si c'est la bonne solution. Parce que, quand on parle de congés menstruels et d'endométriose, il faut se rappeler que l'endométriose, ce n'est pas uniquement une maladie de règles, c'est surtout une maladie de douleurs chroniques. Je me dis que le congé menstruel est peut-être une réponse court-termiste, un pansement. Est-ce qu'il ne faudrait pas une réflexion plus globale dans les entreprises sur la prise en charge des handicaps et des maladies invisibles ? Parce qu'il y a deux millions de femmes qui ont de l'endométriose, mais il y a aussi la maladie de Parkinson, Alzheimer, la sclérose en plaques, les cancers, les post-AVC, la dépression et tous les handicaps invisibles. Neuf millions de personnes sont concernées, c'est énorme.

"J'espère que les réflexions vont aller dans le bon sens pour vraiment voir l'endométriose comme une maladie parmi d'autres."

Camille Derveaux Ringot, atteinte d'endométriose

à franceinfo

Il faut aussi penser aux maladies qui ont des "poussées" ou des crises comme l'endométriose. Comment faire pour avoir un arrêt de travail plus facilement ? J'ai peur que le congé menstruel soit une nouvelle stigmatisation des femmes. Alors que les femmes qui ont de l'endométriose sont tout aussi compétentes, parce que le fait d'avoir une maladie, ça nous fait développer plein de compétences.

L'endométriose, cette maladie "connue, mais mal connue" qui peut freiner la carrière des femmes. Reportage de Camille Laurent

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