Reportage "On ne soigne pas une addiction avec une amende" : à Amiens, un dispositif judiciaire unique pour les consommateurs de drogue

Depuis bientôt deux ans, le parquet d'Amiens propose à des consommateurs de drogue interpellés de se soigner de leur addiction pour éviter une condamnation. Plus de la moitié des participants atteignent cet objectif.

Article rédigé par Gaële Joly
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Palais de justice d'Amiens, dans la Somme. (FRANÇOIS SAUVESTRE / FRANCE-BLEU PICARDIE)
Palais de justice d'Amiens, dans la Somme. (FRANÇOIS SAUVESTRE / FRANCE-BLEU PICARDIE)

C'est une initiative singulière pour un procureur dans la lutte contre le narcotrafic, inspirée de nos voisins britanniques et américains. À Amiens, le parquet a mis en place depuis presque deux ans une alternative aux poursuites pour les consommateurs de stupéfiants : une obligation de soins qui permet d'éviter l'amende ou la condamnation. L'objectif est de tarir le nombre d'usagers de drogues et le dispositif fait ses preuves.

L'an dernier, quand les policiers ont interpellé Mathias, 19 ans, il fumait beaucoup trop de cannabis à son goût : "Je tirais entre 15 à 20 joints par jour". Ça lui coûtait "entre 300 et 400 euros" par mois, estime-t-il. Le parquet d'Amiens lui a alors proposé un suivi judiciaire, plutôt qu'une amende, et Mathias a saisi la balle au bond : "Je n'allais pas rester toute ma vie comme ça à fumer. C'était l'occasion, parce que d'un côté je voulais arrêter mais c'est dur d'arrêter du jour au lendemain".

"Avec les dispositifs que j'ai eus, ça m'a bien aidé. Mais j'avais quand même des suées la nuit, je n'arrivais plus à dormir."

Mathias

à franceinfo

De longs mois qui n'ont pas été faciles non plus pour Pierre, 44 ans, dépendant à la cocaïne et sans domicile fixe. Il a dû faire régulièrement des prélèvements sanguins, se rendre aux convocations de la justice. "Je fumais de la cocaïne dehors, la police est arrivée et on m'a mis dans ce dispositif, pour ne pas aller en prison. Je ne peux que remonter", raconte-t-il. Six mois plus tard, tout n'est pas réglé, mais "ça avance doucement. Si j'arrive à avoir un logement, le travail viendra ensuite", espère-t-il.

65% des participants sont sortis de leur addiction

Pour l'aider, Léa Vézien, chargée de la prévention au sein de l'Association d'enquête et de médiation l'accompagne au quotidien : "On peut avoir des personnes insérées socialement mais avec des fragilités psychiques, qui amènent à de nouvelles consommations. On peut accompagner des personnes pour lesquelles le versant du logement, de l'hébergement est important, parce que dans des contextes de grande précarité, les consommations peuvent être plus faciles, dans l'entourage par exemple. En réalité, on amène un accompagnement personnalisé, selon les besoins des personnes."

En 18 mois, 305 consommateurs ont suivi ce dispositif, insiste le procureur d'Amiens, Jean-Philippe Vicentini, qui en est à l'origine. 65% d'entre eux sont sortis de leur addiction, avec un classement sans suite. Et moins de 4% sont en situation de récidive : "Dans un précédent poste, les services de police venaient me voir en disant : 'Regardez les photos des usagers qui viennent s'approvisionner en drogue, ce sont toujours les mêmes', explique le procureur. Si on n'a pas de solutions efficaces pour lutter contre ces addictions, ce sera difficile de lutter contre le narcotrafic."

"C'est un dispositif judiciaire contraignant : quand on ne le respecte pas, on va devant le tribunal", rappelle Jean-Philippe Vicentini.

"Sortir d'une addiction, c'est très compliqué et beaucoup plus contraignant que de payer une amende. Ce n'est ni gentil, ni angélique, ça se veut efficient."

Jean-Philippe Vicentini, procureur d'Amiens

à franceinfo

"Et regardons ce que ça coûte, propose le procureur. Aujourd'hui, une place de prison, ça coûte 100 euros par jour, un bracelet électronique 20 euros par jour, un suivi dans le cadre de ce dispositif 4 euros par jour. Il ne faut pas oublier aussi que le jour où vous les sortez de cette addiction, l'argent qu'ils y consacraient va servir à autre chose qu'enrichir les narcotrafiquants". Mais le procureur d'Amiens le reconnaît, pour être pleinement efficace, le dispositif gagnerait à être élargi à d'autres juridictions.

A Amiens, un dispositif judiciaire unique pour les consommateurs de drogue. Reportage de Gaële Joly

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