Témoignages "Pourquoi ça serait à moi de partir ?" : à la campagne, les personnes LGBT+ en quête de visibilité pour rompre l'isolement

Article rédigé par Alice Galopin
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
Longtemps cantonnés aux villes, les organisations et événements LGBT+ gagnent les zones rurales, avec notamment des marches des fiertés. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
Longtemps cantonnés aux villes, les organisations et événements LGBT+ gagnent les zones rurales, avec notamment des marches des fiertés. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

Après le suicide de Caroline Grandjean, directrice d'école d'un petit village du Cantal victime de harcèlement lesbophobe, des personnes queer racontent à franceinfo leur quotidien en milieu rural. Elles témoignent du manque de représentation et du besoin d'exister dans l'espace public pour favoriser leur acceptation.

Un rassemblement pour ne pas oublier Caroline Grandjean, près de deux semaines après son suicide. Le collectif Queer Auvergne appelle à rendre hommage à l'enseignante de 42 ans, samedi 13 septembre, devant le rectorat de Clermont-Ferrand. La directrice de l'école de Moussages (Cantal), petit village de 250 habitants, était victime depuis des mois d'insultes lesbophobes proférées par un corbeau qui n'a toujours pas été retrouvé.

"Les menaces de mort que Caroline Grandjean a subies, ce sont des témoignages qu'on reçoit aussi à l'association de la part de personnes queer qui vivent en ruralité", déplore Hugo, trésorier de Queers des champs, en Occitanie. Un constat qui ne constitue cependant pas une généralité sur l'acceptation des personnes LGBT+ dans les campagnes. Les actes commis contre la communauté sont d'ailleurs principalement recensés dans les grandes villes de plus de 200 000 habitants, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur.

"On ne peut pas avoir l'anonymat des grandes villes"

"Il y a un présupposé selon lequel il y aurait plus de LGBTphobies à la campagne, mais j'ai été victime de plus de lesbophobie dans l'espace public quand j'habitais à Lyon", assure Maurianne, qui s'est installée avec sa compagne dans un village près de Cluny (Saône-et-Loire), il y a quatre ans. Dans son territoire de Bourgogne, la jeune trentenaire observe surtout de la "méconnaissance" sur le vécu des personnes LGBT+, qu'elle tente de balayer en "acceptant la discussion". A la campagne, il y a "davantage d'interconnaissance", "c'est-à-dire qu'on connaît au moins quelqu'un qui connaît quelqu'un", ce qui "autorise les gens à poser plus de questions". "Il y a une injonction à la pédagogie qui est plus forte, mais à laquelle je réponds volontiers", ajoute-t-elle.

"Dans nos petits villages, on ne peut pas avoir l'anonymat des grandes villes", abonde Pauline, 37 ans, qui vit avec sa femme transgenre dans l'ouest de la France. "A Paris, il est rare qu'on croise deux fois les mêmes personnes, et c'est une vraie chance pour exprimer pleinement qui on est", estime cette ancienne francilienne.

"Ici, tout le monde se connaît et notre fille est scolarisée dans la commune, donc on est obligées de se montrer."

Pauline

à franceinfo

Le couple doit composer avec "les regards insistants" et "les petites remarques entendues au loin". Après leurs deux coming out en 2023, Pauline et son épouse ont, "comme tous les couples queer", longuement réfléchi aux marques d'affection qu'elles expriment en public. "Nous avons décidé de continuer de nous tenir la main dans la rue, et même de nous embrasser devant la sortie de l'école quand nous allons chercher notre enfant, témoigne-t-elle. C'est important pour nous d'imposer notre état, de montrer qu'on est là, et qu'on va y rester."

"Dans une carapace" face à "l'homophobie ordinaire"

Le poids des regards est accentué par la sensation d'être une exception. "Dans le fond de ma vallée des Pyrénées, le dogme de la famille nucléaire hétérosexuelle est très fort, et tout ce qui sort de cette norme n'est pas très bien perçu", raconte Marilyn, 32 ans, depuis son village reculé de moins de 200 habitants. "Les premières insultes qui fusent pendant les fêtes de village sont des propos homophobes, poursuit cette graphiste. Depuis chez moi, j'ai entendu mes voisins se plaindre qu'il y avait des homos partout." "Pour se protéger", Marilyn préfère être discrète. "Mon ex-copine venait aux événements du comité des fêtes, mais il n'était pas question de montrer quoi que ce soit."

Dans le Lot, Jérôme s'est, lui aussi, "mis dans une carapace" face à "l'homophobie ordinaire". "En règle générale, derrière les propos maladroits, il n'y a pas de méchanceté", veut croire cet homme gay de 60 ans, pour qui il faut toutefois "rester dans les clous" pour se faire accepter. "Je sais que je ne devrais pas dire ça, qu'il faudrait qu'on puisse être libre de circuler comme bon nous semble."

"Compliqué de créer une vie communautaire dans les villages"

A l'autre bout de la France, près de Fécamp (Seine-Maritime), Aurélien regrette que des personnes LGBT+ préfèrent ne pas se montrer et s'extraire de la vie communale. "Il y a des couples qui s'installent dans des villages et pour qui ça se passe très bien, mais souvent parce qu'elles ne sont pas visibles", estime le cofondateur de l'association Rainbow'n'Caux.

"On est dans une société qui tolère les personnes queer tant qu'elles ne sont pas trop visibles. Je le perçois dans les propos qu'on nous adresse : 'Vous faites ce que vous voulez, mais chez vous, dans votre chambre'."

Aurélien

à franceinfo

Les représentations LGBT+ sont donc moins nombreuses que dans les grandes villes. Tout comme les espaces pour se retrouver. "C'est plus compliqué de créer une vie communautaire dans les villages et les petites villes, observe Aurélien. Dans les environs de Fécamp, il n'y a pas de bars ou de lieux qui nous sont dédiés." "On met aussi du temps pour trouver des endroits sécurisés, pour s'assurer que le gérant va nous accepter, c'est tout un travail de préparation du terrain en amont", insiste le quadragénaire. Pour faciliter l'identification de structures accueillantes, son association travaille à la création d'une charte à destination des commerçants qui pourraient l'afficher sur leur façade.

Après la découverte de sa pansexualité, c'est-à-dire de son attirance pour des personnes indépendamment de leur genre, Pauline a eu "l'impression de quitter un monde qui ne [lui] ressemblait plus" et a ressenti le besoin de faire de nouvelles rencontres "pour se sentir comprise". Mais l'animatrice de podcast se heurte à son "isolement". Elle doit parcourir 50 km pour rejoindre son association : "Faire des soirées avec des gens qui nous ressemblent et qui nous aiment, ça demande de faire des choix financiers, ça demande d'avoir une voiture. C'est aussi ça la réalité de la ruralité."

"Il faut être beaucoup plus fort pour faire son coming out trans ici"

Sacha, lui, a fait son coming out il y a sept ans. a n'a pas été facile, d'autant plus dans ce milieu rural", commente l'homme de 54 ans, originaire du Sud-Ouest. "J'ai le sentiment qu'il faut être beaucoup plus fort pour faire son coming out trans ici plutôt que dans une grande ville, car il ne faut pas s'attendre à avoir une vie sociale très développée", souffle-t-il. "Dans un désert rural, tout est plus compliqué", y compris pour être accompagné dans sa transition. "Une gynéco m'a dit dans la salle d'attente, devant tout le monde, qu'elle ne recevait pas les hommes", se souvient-il. "Je ne sais pas si les soignants en ville sont tous plus formés, mais je me dis qu'il y aurait au moins quelqu'un parmi eux capable de me prendre en charge", continue Sacha.

Pour trouver une communauté et un accompagnement, certains choisissent l'exode vers les métropoles. "La plupart des jeunes queer se disent qu'il n'y a rien qui les retient à la campagne", regrette Aurélien, de l'association Rainbow'n'Caux. Lui a décidé de rester dans le village de 700 âmes qu'il l'a vu grandir. "Pourquoi ça serait à moi de partir ? Pourquoi ça serait à moi, personne LGBT+, de m'expatrier, parce qu'on ne m'accepte pas pleinement ici ?", interroge-t-il avec amertume.

"La première chose que j'ai ressentie après le suicide de Caroline Grandjean, c'est le sentiment qu'on disait à tous les petits gays et lesbiennes du Cantal : 'Fuyez l'Auvergne ou mourez-en'."

Maurianne

à franceinfo

"L'Auvergne, ce n'est pas ça. Je ne dis pas que le Cantal est le lieu le plus facile à vivre quand on est queer, mais j'aimerais qu'on change la focale : le problème, ce n'est pas le Cantal et ses habitants, c'est la lesbophobie de la société", s'émeut Maurianne, originaire de la région où vivait la directrice d'école, pour qui "on a perdu une lesbienne à cause d'un corbeau, pas à cause d'un village". "Que cette commune, par manque d'informations sur ces questions, ait été démunie pour répondre collectivement aux agissements du corbeau et qu'il n'y ait pas eu un propos public plus fort pour la soutenir, ça c'est peut-être plus propre à la ruralité", avance cette travailleuse sociale, bien que la mairie et les parents d'élèves de Moussages aient signé un communiqué pour condamner les actes du corbeau, en mars 2024. "Alors, questionnons-nous ensemble sur comment on outille nos campagnes."

"L'important en ruralité, c'est de se mélanger"

Longtemps cantonnés aux villes, les organisations et événements LGBT+ gagnent les zones rurales. Ces dernières années, les marches des fiertés en dehors des grandes agglomérations se sont multipliées. L'une des plus emblématiques de cette décentralisation a lieu depuis 2022 à Chenevelles, dans la Vienne. La fête des Fiertés rurales, racontée dans un documentaire disponible sur france.tv, attire chaque année environ 3 000 participants venus de toute la France dans cette commune de 400 habitants.

La fête des Fiertés Rurales à Chenevelles (Vienne) pour promouvoir les droits, la visibilité et l'acceptation des personnes LGBT+ en milieu rural, le 26 juillet 2025. (JEAN-FRANCOIS FORT / HANS LUCAS / AFP)
La fête des Fiertés Rurales à Chenevelles (Vienne) pour promouvoir les droits, la visibilité et l'acceptation des personnes LGBT+ en milieu rural, le 26 juillet 2025. (JEAN-FRANCOIS FORT / HANS LUCAS / AFP)

De nombreux collectifs et associations fleurissent aussi pour promouvoir la visibilité et l'acceptation des personnes LGBT+. "La nouvelle génération qui a grandi à la campagne a envie d'être plus militante et d'exister, pointe Aurélien. Elle ne veut plus raser les murs comme ses aînés." "Elle bouscule ma génération, celle des années 1980-1990, qui s'était un peu endormie sur ses lauriers", développe le Normand de 43 ans. Pour celui qui a cofondé l'association Rainbow'n'Caux en 2023, "cette reconnexion" est aussi liée à un climat de "danger". "On sent que nos existences redeviennent fragiles, qu'à tout moment, on peut retomber dans l'horreur", s'inquiète-t-il, alors que les associations alertent sur une "banalisation" des discours hostiles aux personnes LGBT+ et la montée des infractions homophobes et transphobes.

Tables rondes, drag shows, ciné-débats… Avec son collectif Queer des champs, lancé en mars dans le sud de l'Occitanie, Hugo multiplie les événements, tant pour "servir de relais à des personnes LGBT+ isolées" que pour "créer de l'échange entre les gens". "L'important en ruralité, c'est de se mélanger, quitte à avoir des conversations compliquées, pour montrer qu'on vit comme elles et eux", acquiesce Marilyn, qui œuvre dans les Pyrénées avec l'association Queer Lesbienne Alternative du Comminges.

Même s'il est parfois difficile de mobiliser. "Certains de nos membres, issus de petits villages, ne veulent pas venir à des actions parce qu'elles sont trop proches de chez eux et qu'ils veulent éviter les répercussions sur leur vie, alors même qu'on est une association de visibilisation de la communauté queer", reconnaît Hugo. Pas de quoi le décourager pour autant : "On n'a pas envie de se taire et d'être encore plus invisibilisés qu'on ne l'est déjà."

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.