Vidéo Maltraitance en Ehpad : "Quand je rentrais dans sa chambre, ça puait la pisse", confie le fils d'un résident dans le documentaire "Les Fossoyeurs"

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Article rédigé par Isabelle Malin
France Télévisions

Un documentaire en deux parties, diffusé ce soir sur France 2 et adapté du livre-enquête de Victor Castanet, retrace le scandale Orpea, fleuron des Ehpad privés accusé de maltraitance.

" J'ai vu des gens couverts de merde parce qu'il n'y avait pas de protections. J'ai vu des soignantes le matin qui me disaient : 'On n'a rien pour leur donner à manger'." Laurent Garcia, ancien cadre infirmier d'une luxueuse maison de retraite du groupe Orpea, ne décolère pas, dans Les Fossoyeurs, scandale au cœur des Ehpad. Réalisé par Vincent Trisolini et diffusé mardi 25 mars à partir de 21h10 sur France 2, ce documentaire en deux parties est une adaptation du livre-enquête du journaliste Victor Castanet, Les Fossoyeurs : révélations sur le système qui maltraite nos aînés, paru en janvier 2022. A travers des scènes jouées par des acteurs sur la base de faits réels vécus par d'anciens salariés d'Orpea qui ont aidé le journaliste dans son enquête, le film, coécrit par Victor Castanet, relate les différentes étapes de ses investigations.

Cet ouvrage a provoqué un séisme dans le monde des Ehpad en dénonçant les graves dysfonctionnements du numéro un mondial du secteur, Orpea, rebaptisé Emeis : maltraitance des personnes âgées, réduction des effectifs, rationnement de la nourriture, violence managériale, captation irrégulière d'argent public... Quelques jours après la publication du livre, les actions de la multinationale dévissent en Bourse. Plusieurs informations judiciaires sont ouvertes et deux anciens dirigeants sont placés en détention provisoire. Le gouvernement de l'époque s'empare du problème et diligente des enquêtes administratives et financières.

Rationnement à tous les étages

Faire du profit coûte que coûte au détriment du droit et de la santé de ses résidents, tel est le mantra des dirigeants des luxueuses maisons de retraite d'Orpea. Une course à la rentabilité pour ce groupe qui facturait entre 7 000 et 15 000 euros de loyer par mois aux personnes âgées dans certains de ses établissements et qui, dans le même temps, réalisait des économies drastiques sur des postes essentiels.

D'abord sur les effectifs, comme l'assure Laurent Garcia. "J'ai retrouvé une résidente nue sous la douche qu'une soignante débordée avait oubliée", confie le cadre infirmier. Un manque de moyens humains que confirme Guillaume Gobet, chef de cuisine chez Orpea de 2002 à 2020. "On est en sous-effectif chronique. Apporter le plateau et de la nourriture à tout le monde est déjà un exploit !", affirme-t-il.

Orpea rogne aussi sur le matériel nécessaire au bien-être des résidents. Laurent Garcia a travaillé dans la très chic résidence vitrine des Bords de Seine, fleuron du groupe, à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Dans cet Ehpad décoré avec faste, avec sa grande réception ornée d'orchidées, tout respire le luxe. Mais c'est une tout autre odeur qui se dégage des chambres.

"Au fil des étages, notamment à l'unité protégée [qui s'occupe des malades d'Alzeihmer], ce n'est plus le hall avec les odeurs d'orchidées, mais c'est plutôt (...) des odeurs de pisse intenables."

Laurent Garcia, ancien cadre infirmier chez Orpea et lanceur d'alerte

Dans le documentaire "Les Fossoyeurs, au coeur du scandale des Ehpad"

Alors que les services de santé recommandent de changer les protections urinaires contre l'incontinence toutes les trois à cinq heures, les personnes âgées ne sont changées, dans le meilleur des cas, que trois fois par jour. Des couches souvent de mauvaise qualité, qui passent à deux par jour pour ceux qui n'ont pas de famille et donc pas de visites.    

Antoine K., le fils d'un résident de cet Ehpad, témoigne anonymement dans le documentaire. "Mon père, ce qui m'a choqué, c'est quand je rentrais dans sa chambre, ça puait la pisse. J'arrivais, je ne pouvais pas respirer (...) Personne n'est méchant là-dedans, mais à un moment, quand il n'y a pas le personnel qu'il faut...", confie cet homme qui a fini par retirer son père de cette résidence après avoir su qu'il était régulièrement enfermé dans sa chambre.

Un taux de dénutrition "anormalement élevé"

Toujours pour maîtriser les coûts, la nourriture est rationnée. Les portions, validées par le service médical, sont bien en dessous des apports caloriques nécessaires aux résidents. "En 2002, j'étais à un budget de 3,98 euros par jour par résident, précise Guillaume Gobert, l'ancien chef de cuisine. Cela comportait le petit déjeuner, le repas du midi, le quatre-heures et le repas du soir. On en était à peser au gramme près nos quantités pour pouvoir réussir à respecter les budgets qui nous étaient imposés."

"Les taux de dénutrition chez Orpea étaient anormalement élevés, parce que les personnes âgées n'avaient pas assez à manger", raconte Victor Castanet dans le documentaire. Pour pallier les carences de cette alimentation, des compléments protéinés sont ajoutés aux plats. "Guillaume [Gobet], comme d'autres, me racontent effectivement qu'ils se sont retrouvés obligés de verser des seaux entiers de Protiplus dans leurs marmites de potage, poursuit Victor Castanet. Ça sent l'œuf pourri, ça ne sent pas bon." Les plateaux-repas repartent intacts en cuisine, les résidents ne se nourrissent plus, tant la nourriture est infecte.

"Tu te dis : 'Elle n'a pas mangé hier soir, se désole Laurent Garcia. Peut-être qu'elle ne mangera pas demain matin et peut-être qu'à un moment, elle ne mangera plus, parce que justement, on ne lui lave pas les dents et qu'elle a des mycoses dans la bouche, et voilà."

L'ancien cadre infirmier, effaré par les moyens misérables mis à la disposition des soignants, ne travaillera que huit mois dans cet établissement et fera en sorte de se faire licencier. Il sera le premier ex-salarié d'Orpea qui lancera l'alerte et contactera Victor Castanet pour lui raconter son expérience et l'inciter à enquêter.


Le documentaire Les Fossoyeurs, scandale au cœur des Ehpad, réalisé par Vincent Trisolini et coécrit par Victor Castanet, est diffusé mardi 25 mars à partir de 21h10 sur France 2 et visible sur la plateforme france.tv.

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