: Témoignages "On se croit peut-être plus forts qu'on ne l'est" : consulter un psy, pleurer en public… Le difficile rapport des hommes à leur santé mentale
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Les hommes sont-ils suffisamment attentifs à leur santé mentale ? D'après les premiers concernés, parler de leurs émotions reste compliqué, surtout avec leurs pairs masculins.
Les trois quarts des suicides comptabilisés en France, en 2022, sont masculins, d'après le dernier rapport de l'Observatoire national du suicide, paru mardi 25 février. Toutes tranches d'âges confondues, le taux de suicide des hommes est constamment supérieur à celui des femmes, trois fois supérieur en moyenne. Pourtant, seuls 30% des Français qui consultent un psy sont des hommes. Les questions de santé mentale, la psychologie et les émotions sont encore souvent associées à un univers féminin.
"Je ne pleure pas facilement devant les gens." Antoine, 34 ans, reconnaît qu'il a du mal à exposer sa vulnérabilité. "Il m'arrive de pleurer mais j'essaye de retenir un peu mes larmes, de tourner la tête ou de fuir le regard des gens autour de moi."
Pourtant, le trentenaire le sait : "Un homme est aussi sensible qu'une femme, un homme peut avoir les mêmes problèmes qu'une femme. Il n'y a pas de différence mais on l'exprime moins. On a plutôt tendance à retenir nos émotions. Si on ne va pas bien, on n'en parle pas spontanément."
"Cette culture de l'homme censé être fort"
Un schéma qu'Antoine retrouve chez les hommes de sa famille et aussi dans son groupe d'amis. Rares sont les après-midi ou les diners entre hommes propices aux confidences, même lorsque l'un d'eux traverse un épisode douloureux : "Quand on commence à aborder des sujets sensibles, il faut leur tirer les vers du nez pour obtenir des informations. La discussion n'est pas simple avec l'immense majorité des hommes autour de moi."
D'après lui, c'est "par pudeur, par gêne." Mais aussi pour se conformer à certains idéaux : "On a l'impression que les hommes n'ont pas le droit d'aller mal. C’est de la fierté mal placée. Il y a cette culture de l'homme qui est censé être fort. Même si c'est une perception assez sexiste, on doit toujours être un pilier. On se croit peut-être plus forts qu'on ne l'est réellement." Des convictions qui s'installent dès l'enfance, quand les petits garçons sont, encore aujourd'hui, souvent assignés à être plus solides, plus costauds psychologiquement.
"Aller vers les autres pour parler de nos problèmes, ce n'est pas forcément naturel."
Antoine, 34 ansà franceinfo
Un peu avant ses 30 ans, Antoine traverse une période compliquée. Il se plonge d'abord dans le travail avant d'être poussé par son entourage à consulter un psy. "Ça a été difficile au départ et puis j'ai accepté". La thérapie l'a aidé, dit-il, à "faire le point sur [sa] vie".
"Aborder des sujets sensibles, c'est plus facile avec une femme"
Davy, 49 ans, n'a "jamais ressenti le besoin" de consulter un psy. Il reconnaît pourtant avoir traversé des moments difficiles et assure qu'il "comprend tout à fait qu'on puisse avoir envie d'en voir un, quand certaines galères s'accumulent les unes après les autres." Il ajoute même que cela peut être "important" de consulter à un moment donné. Mais pas pour lui, "pas pour l'instant."
Lui, se confie peu ses proches masculins : "Entre hommes, je ne pense pas que ce soit quelque chose de facile de parler ouvertement de ses émotions. On parle du travail, des difficultés qu'on peut rencontrer, des choses qu'on ne comprend pas. Mais aborder des sujets sensibles, c'est plus facile avec une femme."
C'est ce qu'a constaté Maud Le Rest, autrice du livre Tu devrais voir quelqu'un, publié en octobre dernier, aux éditions Anne Carrière. La journaliste est allée à la rencontre d'hommes de tous âges et de tous milieux, dans différentes régions de France. "Ils m'ont tous dit que les discussions plus profondes, ils les avaient avec des femmes", rapporte Maud Le Rest à franceinfo.
"Je n'irai pas voir un psy car intellectuellement, je l'explose"
Une partie de son livre est consacrée aux amitiés masculines : "Ce qui revient souvent c'est qu'entre hommes, ils veulent plutôt décompresser, pas parler de choses d'ordre sentimental. Tous ceux que j'ai rencontrés m'ont dit que c'était très rare qu'ils abordent, entre eux, des sujets sérieux."
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Au fil de ses entretiens, la journaliste constate que la question du jugement revient régulièrement : "Les hommes ont peur du jugement des autres hommes. Ils n'ont pas envie d'être perçus comme faibles par rapport aux autres. Parce qu'il y a une espèce de compétition, même entre amis." Le résultat, dit-elle, d'une mysoginie ordinaire encore particulièrement ancrée.
La compétition intellectuelle se retrouve jusque sur le divan, raconte Maud Le Rest : "On m'a dit 'Je n'irai pas voir un psy car intellectuellement je l'explose'. Ça fait rire dit comme ça mais en fait c'est navrant. Parce qu'il n'est pas question d'être plus intelligent que son psy." La volonté de résultats immédiats est aussi récurrente : "Ils ont un rapport très utilitariste à la santé. Beaucoup d'hommes m'ont dit : 'J'ai fait une séance et ça ne marche pas, je veux que ça marche tout de suite.' Pourtant, la grande majorité d'entre eux n'a aucune difficulté à être assidue à une activité sportive pour développer leur musculature, ou entretenir leur forme physique, par exemple. Pour ça, ils acceptent que ça puisse prendre du temps."
"Ils ont vraiment une difficulté à imaginer qu'il faut se projeter sur le long terme, être régulier, faire de l'introspection."
Maud Le Rest, autriceà franceinfo
Finalement, parmi les hommes que Maud Le Rest a rencontrés, "tous ceux qui avaient vu un psy ou qui avaient songé à le faire, c'était grâce à une femme de leur entourage qui avait fait germer l'idée, souvent après une rupture difficile."
Sport, travail, consommation d'alcool et de stupéfiants
Cette difficulté à extérioriser leur mal-être peut avoir des conséquences bien plus importantes qu'il n'y parait. Boris Chaumette est psychiatre et chercheur : "Du fait de ce tabou autour de leur santé mentale, quand ils viennent à des soins, les hommes viennent plus tard que les femmes et souvent à des stades de mal-être plus avancés. Plus on attend, plus les symptômes progressent." C'est notamment ce qui explique un taux de suicide particulièrement plus élevé chez les hommes que chez les femmes.
L'excès de sport, de travail, la consommation d'alcool et de stupéfiants sont parfois des refuges, même inconscients : "On va se surinvestir, pour éviter de se retrouver seul avec ses symptômes ou d'y penser. Généralement, ça ne marche qu'un certain temps parce que, quand les symptômes deviennent trop bruyants, on ne peut plus les masquer." Le psychiatre alerte sur la consommation d'alcool et de stupéfiants qui peut aggraver les pathologies.
"Il y a l'idée que, quand on va consulter, c'est une forme de faiblesse. Alors qu'au contraire, reconnaître ses symptômes, être en mesure d'en parler, c'est déjà une preuve de force."
Boris Chaumette, psychiatreà franceinfo
Pour participer à l'évolution des mentalités, Boris Chaumette salue les "coming-out psychiatriques" de certaines personnalités, ces dernières années : "Des artistes ou des sportifs qui disent 'Moi je suis extrêmement viril et pourtant, à un moment, j'ai eu besoin d'un suivi psychiatrique'."
Le psychiatre prend pour exemple le champion olympique du 100m, Noah Lyles : "Il a dit qu'il était allé voir quelqu'un et pourtant il a gagné la médaille d'or. C'est quelqu'un qui dit : 'Vous me voyez sur le devant de la scène, je suis quelqu'un qui illustre la masculinité. Ça ne m'a pas empêché d'avoir besoin d'un suivi.' Ça déconstruit les a priori qu'on peut avoir sur la santé mentale."
Le psychiatre note aussi que les manifestations de la dépression sont souvent différentes chez les hommes et les femmes. Ces dernières ont plus tendance à se faire du mal à elles-mêmes (scarifications, troubles du comportement alimentaire...). Alors que les hommes auront plus tendance à être agressifs, irritables et à faire exploser leur colère : des symptômes de dépression moins bien identifiés.
Si vous avez des pensées suicidaires, si vous êtes en détresse ou si vous voulez aider une personne en souffrance, il existe des services d'écoute anonymes et gratuits. Le numéro national 3114 est joignable 24h/24 et 7j/7 et met à disposition des ressources sur son site. L'association Suicide écoute propose un soutien similaire au 01 45 39 40 00. D'autres informations sont disponibles sur le site du ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles).
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