: Vrai ou faux Bruno Retailleau a-t-il voté un amendement à l'origine de l'annulation de l'OQTF visant l'influenceur algérien Doualemn ?
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L'annulation par la justice administrative de l'obligation de quitter le territoire français de cet influenceur algérien repose sur la dernière loi immigration. Et spécifiquement sur un amendement proposé par les sénateurs Les Républicains et voté par Bruno Retailleau, alors chef de leur groupe au Sénat.
La séquence tourne en boucle depuis l'interview de Bruno Retailleau dans la matinale de France Inter, mercredi 12 février. Un homme se présentant comme un magistrat du tribunal administratif de Melun, dont la juridiction a annulé le 6 février l'obligation de quitter le territoire français (OQTF) délivrée contre l'influenceur algérien surnommé Doualemn, a interpellé le ministre de l'Intérieur sur sa remise en cause de ce jugement.
L'intervenant a affirmé que cette décision n'était "que la stricte application du droit" et, surtout, qu'elle se basait sur la dernière loi immigration 2024, précisément sur une disposition introduite par les sénateurs Les Républicains et votée par Bruno Retailleau en personne.
Invité à réagir, le locataire de Beauvau a botté en touche : "Ça m'étonne, peu importe". Il a pourtant bien voté un amendement introduisant dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile l'article L432-12, qui n'existait pas auparavant, et qui dispose qu'un étranger à qui l'administration retire sa carte de résident ne peut pas faire l'objet d'une OQTF, comme c'est le cas dans le dossier de l'influenceur algérien Doualemn.
La méthode d'expulsion de l'influenceur contestée, pas sa motivation
En réalité, ce jugement technique et complexe est la conséquence d'un enchaînement de décisions dans l'affaire Doualemn. Ce ressortissant algérien de 59 ans, aux 168 000 abonnés sur TikTok, a été épinglé pour avoir tenu des propos relevant d'une incitation à "attraper" un homme présenté comme un opposant au régime algérien et lui infliger une "correction sévère", selon la justice. Il a été interpellé le 5 janvier à Montpellier, mis dans un avion vers l'Algérie le 9 janvier, puis renvoyé vers la France à son arrivée sur le territoire algérien, ce qui a encore plus détérioré les relations entre les deux pays.
Le ministère de l'Intérieur avait prononcé à l'encontre de l'Algérien un retrait de son titre de séjour et une procédure d'expulsion "en urgence absolue". Ce dispositif radical, qui empêche à un ressortissant étranger de se défendre devant une commission, "est prononcé dans des situations très graves, liées à la protection de l'ordre public ou en cas d'atteinte à la sûreté de l'Etat", selon le site de l'administration française. "Cela peut être pris pour des affaires de terrorisme", illustre Serge Slama, professeur de droit public à l'université de Grenoble.
Le 29 janvier, le tribunal administratif de Paris a suspendu cette expulsion, au motif que la procédure d'urgence n'était, selon lui, pas justifiée, et estime, dans sa décision, que l'Etat devra passer par une procédure d'expulsion ordinaire. Le tribunal juge en revanche que le retrait du titre de séjour de l'influenceur est justifié. Doualemn, qui réside régulièrement en France depuis quinze ans, était en possession d'un titre de séjour français qui avait été renouvelé fin décembre 2024 pour une durée de dix ans.
"Le tribunal administratif a juste appliqué la loi"
C'est alors que le préfet de l'Hérault prend à l'encontre de l'influenceur une obligation de quitter le territoire français. Et c'est précisément cette décision que le tribunal administratif de Melun a annulé (le ministère de l'Intérieur a fait appel), comme l'évoque l'auditeur de France Inter. Le juge a estimé, dans sa décision, que "la procédure de l'OQTF n'est pas légalement applicable" et justifie ce choix en citant l'article L432-12, introduit dans la loi immigration 2024 et voté par Bruno Retailleau. Comme le tribunal administratif de Paris, celui de Melun a considéré que Doualemn "ne pouvait être éloigné du territoire français que selon la procédure d'expulsion ordinaire".
Cet article L432-12 prévoit qu'un étranger à qui l'administration refuse le renouvellement de sa carte de résident ou la lui retire – ce qui est le cas pour l'influenceur Doualemn – ne peut pas faire l'objet d'une OQTF. "Le préfet a voulu profiter d'un effet d'aubaine et joueur sur deux tableaux, en prenant une OQTF alors qu'un retrait de la carte de résident avait été prononcé à l'encontre de l'influenceur, et cet article L432-12 empêche précisément de le faire. Une expulsion avec un retrait de carte de résident et une OQTF sont deux procédures différentes", explique Serge Slama. "Le tribunal administratif de Melun a juste appliqué la loi", résume l'avocat Nicolas De Sa-Pallix, qui exerce principalement en droit d'asile et droit des étrangers.
Cet article L432-12 est né de l'adoption de la loi immigration 2024. Il est entré dans la législation grâce à un amendement proposé par la sénatrice Les Républicains Muriel Jourda, corapporteuse du texte, et voté par Bruno Retailleau, comme le montre une archive de Public Sénat ressortie mercredi. Présenté par la sénatrice LR comme "un amendement pour rassurer le Conseil d'Etat", il n'avait pas fait l'objet de scrutin public ni d'explication de vote et avait été adopté lors d'une discussion commune sur une série d'amendements. Ces derniers avaient été intégrés au projet de loi voté par Bruno Retailleau, alors président du groupe LR à la chambre haute, comme le montre le site du Sénat. Sollicité par franceinfo, le cabinet du ministre de l'Intérieur n’avait pas répondu à nos questions au moment de la publication de cet article.
Bruno Retailleau et Gérald Darmanin veulent changer la loi
Sans cette disposition votée par Bruno Retailleau, l'influenceur algérien Doualemn aurait-il pu être expulsé via une OQTF ? L'avocat Nicolas De Sa-Pallix estime que non. "Il aurait pu a priori bénéficier du régime de protection contre les OQTF en vigueur jusqu'au 28 janvier 2024. Mais il aurait pu dans tous les cas faire l'objet d'une procédure d'expulsion, comme cela peut toujours être enclenché contre une personne étrangère, a condition de qualifier une menace pour l'ordre public suffisante", explique cet avocat.
L'expert rappelle que la dernière loi a d'ailleurs drastiquement réduit les régimes de protection contre les OQTF. "Cet article a été voté pour éviter ce type de situation, dans laquelle des personnes ayant un temps de présence significatif sur le territoire français en situation régulière feraient l'objet d'une tentative de procédure expéditive et sans contradictoire", ajoute-t-il.
Alors que l'influenceur Doualemn peut toujours être expulsé via une procédure d'expulsion ordinaire, Bruno Retailleau a dénoncé sur France Inter "un échafaudage juridique qui protège tellement les étrangers, parfois en situation irrégulière, que l'Etat régalien est désavoué". Il a aussi appelé à "revoir profondément un certain nombre de règles" sur certains textes. Le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, qui a porté la loi immigration 2024 lorsqu'il était en charge de l'Intérieur, a lui aussi appelé sur BFMTV à "modifier la loi" après cette décision du tribunal administratif de Melun.
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