Déficit public, dette, intérêts... Alors que François Bayrou alerte sur la situation économique de la France, que disent les chiffres ?
Le Premier ministre, qui va jouer le sort de son gouvernement sur un vote de confiance, présente son plan d'économies comme inévitable pour redresser les finances du pays. Franceinfo a passé au crible les indicateurs avec des économistes pour tenter d'y voir plus clair.
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François Bayrou est au bord du gouffre et, selon lui, la France aussi, ou du moins ses finances. "La question principale, c'est de savoir si, oui ou non, nous sommes d'accord pour reconnaître qu'il y a urgence", a lancé le Premier ministre, lundi 25 août, lors de sa tonitruante conférence de rentrée. Il y a annoncé que son gouvernement se soumettrait à un vote de confiance à l'Assemblée nationale, le 8 septembre, à l'issue d'une séance autour de la question de "la maîtrise de nos finances".
La situation est-elle aussi grave que le martèle le Premier ministre ? Franceinfo tente de faire le point sur l'état de santé du pays en interrogeant des économistes et en passant au crible les principaux indicateurs économiques.
Des comptes publics déficitaires, comme depuis 50 ans
Cette année, comme les précédentes, les comptes publics français sont déficitaires, c'est-à-dire que les dépenses des administrations publiques au sens large (l'Etat, mais aussi les collectivités territoriales, la Sécurité sociale et les organismes divers d'administration centrale) sont supérieures à leurs recettes. Le dernier budget excédentaire de la France remonte à l'année 1974, quand le premier choc pétrolier de 1973 n'avait pas encore pleinement frappé le pays. En 2024, le déficit public avait atteint 5,8% du PIB. Pour 2025, le gouvernement entend l'empêcher de dépasser la barre de 5,4%.
Il est encouragé dans ce sens par la Cour des comptes, qui appelle à rectifier le tir drastiquement et voudrait voir le déficit passer sous les 3% de PIB à l'horizon 2029, pour garantir la "soutenabilité de la dette".
Une dette publique élevée
"Notre pays est en danger parce que nous sommes au bord du surendettement", a martelé François Bayrou lors de sa conférence de rentrée. Pour assener une telle mise en garde, le chef du gouvernement se repose sur les données de l'Insee : la dette publique française, qui correspond au total des emprunts contractés par les administrations publiques, représentait 3 345,8 milliards d'euros au premier trimestre 2025 et 114% du produit intérieur brut (PIB), en légère hausse par rapport à fin 2024 (113,2%). Le compteur grimpe à toute vitesse, de plus de 5 000 euros chaque seconde, soulignait le Premier ministre.
La France a ainsi le troisième endettement le plus lourd de l'Union européenne. "Les deux autres pays en haut du classement sont l'Italie [135,3%] et la Grèce [153,6%], qui font, eux, des efforts d'assainissements que la France n'opère pas", analyse Eric Dor, économiste et directeur des études économiques à l'Ieseg School of Management.
"La situation budgétaire de la France est dégradée, et il ne s'agit en aucun cas d'une crise européenne, mais bien d'une singularité française", complète Mathieu Plane, directeur adjoint de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Selon l'économiste, "la France est en train de se réveiller d'une forme de gueule de bois" après la crise du Covid-19, et alors que "beaucoup de mesures budgétaires permanentes ont été adoptées au cours des dernières années sans que la question du financement ne se soit posée".
Des intérêts de la dette qui pèsent plus lourd
Cette dette record s'avère de plus en plus pesante. Le remboursement de ses intérêts, aussi appelé "charge d'intérêt de la dette", coûtera 66 milliards d'euros à la France cette année, selon l'estimation avancée par François Bayrou. "Il est possible qu'on aille vers les 100 milliards d'euros de remboursement", a même alerté le patron de la Cour des comptes, Pierre Moscovici. En comparaison, la France ne remboursait que 35 milliards d'intérêts à ses créanciers en 2018. "La charge de la dette va devenir cette année le budget le plus important de la Nation. Les annuités que nous devons rembourser vont être plus lourdes que le budget de l'Education nationale et que le budget des Armées", a ainsi prévenu François Bayrou.
Si cette charge s'alourdit, c'est en grande partie parce que le taux auquel la France emprunte pour 10 ans sur les marchés financiers, considéré comme l'indicateur le plus important pour juger des finances d'un pays, a grimpé en flèche depuis 2021, et avoisine 3,5%. Il dépasse ainsi celui de l'Espagne, du Portugal ou de la Grèce, et talonne celui de nos voisins italiens. "Je vous parie que dans les quinze jours qui viennent, nous payerons notre dette plus cher que l'Italie", s'est même avancé mardi le ministre de l'Economie et des Finances, Eric Lombard. Le spread, c'est-à-dire la mesure de l'écart de taux d'emprunt entre la France et l'Allemagne, qui fait figure de réference, a augmenté depuis la dissolution de l'Assemblée nationale, à l'été 2024, et a rarement été aussi élevé. "Jusqu'à présent, le pays bénéficiait de charge d'intérêt très faible ; en 2021, le niveau de la dette était déjà très élevé, mais les taux étaient très bas. Ce n'est plus le cas", contextualise Mathieu Plane.
Mais la situation n'inquiète pas pour autant les économistes contactés par franceinfo. "Cela montre simplement une préoccupation des marchés, mais le mouvement reste relativement modéré, je ne pense pas que l'on soit menacé d'une envolée des taux d'intérêt comme l'était la Grèce au moment de la crise [financière de 2010]", fait valoir Eric Dor, qui poursuit : "Cela rend cependant toujours plus douloureux l'effort qu'il faudra réaliser pour assainir les finances publiques".
Une dette qui reste convoitée malgré tout
Alors que la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, avait agité le spectre d'une mise sous tutelle de la France par des institutions internationales comme le FMI, son collègue Eric Lombard a temporisé, mardi, mettant en avant la "solidité" de l'économie française. "La signature de la France sur les marchés" reste "reconnue", juge le ministre de l'Economie et des Finances ; en somme, les investisseurs font toujours confiance en la capacité de la France à rembourser ce qu'elle emprunte. "Nous finançons notre dette sans difficulté", a-t-il affirmé.
Et pour cause, la dette française est toujours très recherchée par les investisseurs internationaux : "A chaque fois que Bercy fait une publication, il y a des amateurs pour trois fois le montant qu'on veut emprunter !", souligne Eric Dor. Il faut dire que la France fait partie des pays de la zone euro les mieux évalués par les agences de notation. La grande diversification sectorielle de son économie, la bonne santé de son système bancaire et la grande liquidité de la dette française sont autant éléments explicatifs de cette notation favorable.
Mais rien n'est inscrit dans le marbre. "Ce qui faisait un des atouts de la France, c'était aussi sa stabilité politique", rappelle Mathieu Plane. Quatre jours après le vote de confiance à l'Assemblée nationale, qui risque de provoquer la chute du gouvernement, l'agence de notation Fitch doit actualiser la notation de la dette souveraine de la France, et pourrait bien décider de la dégrader.
Une croissance faible, mais qui a le mérite d'exister
Tous les indicateurs économiques de la France ne sont pas au rouge. Avec un excédent de 2,7 milliards d'euros en 2024, la balance courante nationale, rassemblant l'ensemble des flux économiques, se porte bien, rapporte la Banque de France. L'épargne record des Français est également un signal positif qui a de quoi rassurer les investisseurs.
Surtout, malgré la guerre commerciale américaine et les tensions géopolitiques, les prévisions de croissance restent positives ; le troisième trimestre 2025 devrait voir le PIB augmenter à un rythme proche de celui observé au trimestre précédent (+0,3%), selon des estimations de la Banque de France. "La croissance française est bien au-dessus de celle l'Allemagne, il n'y a pas eu de récession malgré tout ce qui s'est passé et malgré l'incertitude économique depuis la dissolution. On ne peut pas dire qu'on est en crise économique", insiste Mathieu Plane.
Toute la question est à présent de ne pas risquer, en tentant de rééquilibrer les comptes publiques, d'étouffer cette croissance fragile. "Dans la soutenabilité [de la dette], la question du PIB est importante, il faut à la fois réussir à redresser les comptes sans trop dégrader la croissance, met ainsi en garde l'économiste de l'OFCE. Le risque, c'est de taper trop fort, avec des effets contre-productifs."
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